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Forcément, il en arrive à cette conclusion navrante qu’il n’y a pas des hommes, mais bien des événements.

Prévenu par le garçon de bureau, le commissaire de police mandé par M. Fauvel ne tarda pas à paraître.

C’est de l’air le plus calme, il faudrait dire le plus indifférent, qu’il entra dans le bureau.

Un petit homme, tout de noir habillé, portant cravate en corde autour d’un faux col douteux, le suivait.

C’est à peine si le banquier prit la peine de saluer.

– Sans doute, monsieur, commença-t-il, on vous a appris quelles circonstances pénibles me forcent à avoir recours à vos bons offices?

– Il s’agit, m’a-t-on dit, d’un vol.

– Oui, monsieur, d’un vol odieux, inexplicable, commis dans ce bureau où nous sommes, dans cette caisse que vous voyez là, ouverte, et dont mon caissier – et il montrait Prosper – a seul le mot et la clé.

Cette déclaration parut tirer le malheureux caissier de sa morne stupeur.

– Pardon, monsieur le commissaire, dit-il d’une voix éteinte, mon patron, lui aussi, a la clé et le mot.

– Bien entendu, cela va sans dire.

Ainsi, dès les premiers mots, le commissaire était fixé.

Évidemment, ces deux hommes s’accusaient réciproquement. De leur aveu même, l’un d’eux pouvait seul être le coupable.

Et l’un était le chef d’une maison de banque très importante, l’autre un simple caissier. L’un était le patron, l’autre l’employé.

Mais le commissaire de police était bien trop habitué à dissimuler ses impressions pour que rien, au-dehors, ne trahît ce qui se passait en lui. Pas un muscle de sa figure ne bougea.

Seulement, devenu plus grave, il observait alternativement le caissier et M. Fauvel, comme si de leur contenance, de leur attitude, il eût pu tirer quelque induction profitable.

Prosper était toujours fort pâle et aussi abattu que possible; il était affaissé sur sa chaise et ses bras pendaient inertes le long de son corps.

Le banquier, au contraire, se tenait debout, rouge, animé, l’œil étincelant, s’exprimant avec une violence extraordinaire.

– Et l’importance de la soustraction est énorme, poursuivait M. Fauvel; on m’a pris une fortune, trois cent cinquante mille francs! Ce vol pourrait avoir pour moi des suites désastreuses. Il est tel moment où, faute de cette somme, le crédit de la plus riche maison peut être compromis.

– Je le crois, en effet, le jour d’une échéance…

– Eh bien! monsieur, j’avais précisément pour aujourd’hui un remboursement considérable.

– Ah! vraiment!…

Il n’y avait pas à se méprendre à l’intonation du commissaire de police; un soupçon, le premier, venait d’effleurer son esprit. Le banquier le comprit, il tressaillit et reprit très vite:

– J’ai fait face à mes engagements, mais au prix d’un sacrifice désagréable. Je dois ajouter que si on eut exécuté mes ordres, ces trois cent cinquante mille francs ne se seraient pas trouvés dans la caisse.

– Comment cela?

– Je n’aime pas à avoir chez moi, la nuit, de grosses sommes. Mon caissier avait la consigne d’attendre toujours à la dernière heure pour envoyer chercher les fonds qui étaient déposés à la Banque de France. Je lui avais surtout formellement défendu de rien garder en caisse le soir.

– Vous entendez? dit le commissaire à Prosper.

– Oui, monsieur, répondit le caissier, ce que dit monsieur Fauvel est parfaitement exact.

À la suite de cette explication, le soupçon du commissaire de police, loin de s’affirmer, se dissipait.

– Enfin, reprit-il, un vol a été commis. Par qui? Le voleur est-il venu du dehors?

Le banquier hésita un moment.

– Je ne le crois pas, répondit-il enfin.

– Et moi, déclara Prosper, je suis sûr que non.

Le commissaire de police avait préparé ces réponses, il les attendait. Mais il ne pouvait lui convenir d’en poursuivre sur-le-champ toutes les conséquences.

– Cependant, objecta-t-il, on doit tout prévoir. Et s’adressant à l’homme qui l’accompagnait:

– Voyez donc, monsieur Fanferlot, dit-il, si vous ne découvrirez pas quelque indice échappé à l’attention de ces messieurs.

M. Fanferlot, dit l’Écureuil, doit à une agilité qui tient du prodige le sobriquet dont il est fier. De grêle et chétive apparence, en dépit de ses muscles d’acier, on le prendrait, à le voir boutonné jusqu’au menton dans sa mince redingote noire, pour un sixième clerc d’huissier. Sa physionomie est de celles qui inquiètent. Il a le nez odieusement retroussé, des lèvres minces et de petits yeux ronds d’une agaçante mobilité.

Employé depuis cinq ans à la police de sûreté, Fanferlot brille de se distinguer, de se faire un nom; il est ambitieux. Hélas! toujours les occasions lui ont manqué, ou le génie.

Déjà, avant que le commissaire eût parlé, il avait fureté partout, étudié les portes, sondé les cloisons, examiné le guichet, fouillé les cendres de la cheminée.

– Il me paraît bien difficile, répondit-il, qu’un étranger ait pu pénétrer ici.

Il tournait autour du bureau.

– Cette porte, demanda-t-il, est fermée le soir?

– Toujours à clé.

– Et qui garde cette clé?

– Le garçon de bureau, auquel je la remets chaque soir en me retirant, répondit Prosper.

– Lequel garçon, ajouta M. Fauvel, couche dans la pièce d’entrée sur un lit de sangle qu’il tend tous les soirs et qu’il détend tous les matins.

– Est-il ici? demanda le commissaire.

– Oui, monsieur, répondit le banquier.

Aussitôt, il entrouvrit la porte et appela:

– Anselme!

Ce garçon, homme de confiance s’il en fut, était depuis dix ans au service de M. Fauvel. Certes, il ne pouvait être soupçonné, et il le savait; mais l’idée d’un vol est terrible, et il tremblait comme la feuille en se présentant.

– Avez-vous couché cette nuit dans la pièce voisine? lui demanda le commissaire de police.

– Oui, monsieur, comme d’ordinaire.

– À quelle heure vous êtes-vous couché?

– Vers les dix heures et demie; j’avais passé la soirée au café d’à côté, avec le valet de chambre de monsieur.

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