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– Tout est contre moi, peu importe! je saurai me justifier ou périr à la tâche. La justice humaine est sujette à l’erreur; innocent, je puis être condamné; soit, je subirai ma peine; mais on sort du bagne…

– Malheureux, que dites-vous?…

– Je dis, mon père, que je suis maintenant un autre homme. Ma vie a un but, désormais, la vengeance. Je suis victime d’une machination infâme. Tant que j’aurai une goutte de sang dans les veines, j’en poursuivrai l’auteur. Et je le trouverai, il faudra bien qu’il expie mes tortures et mes angoisses. C’est de la maison Fauvel que part le coup, c’est là qu’il faut chercher.

– Prenez garde! fit M. Bertomy, la colère vous égare!…

– Oui, je comprends, vous allez me vanter la probité de monsieur André Fauvel; vous allez me dire que toutes les vertus se sont réfugiées au sein de cette famille patriarcale. Qu’en savez-vous? Serait-ce la première fois que de beaux semblants d’honnêteté cacheraient les plus honteux secrets? Pourquoi Madeleine m’a-t-elle un jour, tout à coup, défendu de songer à elle? Pourquoi m’a-t-elle exilé, alors qu’elle souffre autant que moi de notre séparation, alors qu’elle m’aime encore, m’entendez-vous bien, qu’elle m’aime…, j’en suis sûr, j’en ai eu la preuve.

L’heure accordée à M. Bertomy pour un entretien avec son fils était écoulée, le geôlier vint l’en avertir.

Mille sentiments divers déchiraient le cœur de ce père infortuné, et lui étaient toute liberté de réflexion.

Si Prosper disait vrai, pourtant! Quels ne seraient pas plus tard ses remords d’avoir ajouté à son malheur, déjà si grand! Et qui prouvait qu’il ne disait pas vrai!

La voix de ce fils dont, si longtemps, il avait été fier, avait réveillé en lui toutes les tendresses paternelles violemment comprimées. Eh! fût-il coupable, et coupable d’un pire crime, en était-il moins son fils?

Sa figure avait perdu toute sa sévérité, ses yeux étaient brillants de larmes près de s’échapper.

Il voulait sortir grave et irrité comme il était entré: il n’eut pas ce courage cruel. Son cœur se brisa, il ouvrit les bras et pressa Prosper contre sa poitrine.

– Ô mon fils!… murmurait-il en se retirant, puisses-tu avoir dit vrai!…

Prosper l’emportait, il avait presque convaincu son père de son innocence. Mais il n’eut pas le temps de se réjouir de cette victoire.

La porte de la cellule s’ouvrit presque aussitôt après s’être refermée, et la voix du geôlier, comme la première fois, cria:

– Allons, monsieur, à l’instruction.

Il fallait obéir quand même, il obéit.

Mais sa démarche n’était plus celle des premiers jours, un changement complet venait de s’opérer en lui. Il allait le front haut, d’un pas assuré, et le feu de la résolution éclatait dans ses yeux.

Il connaissait le chemin, maintenant, et il marchait un peu en avant du garde de Paris qui l’accompagnait.

Comme il traversait la petite salle basse où se tiennent les agents et les gardes de service, il croisa cet homme à lunettes d’or, qui, dans la salle du greffe, l’avait fixé si longtemps.

– Du courage! Monsieur Prosper Bertomy, lui dit ce personnage, si vous êtes innocent, on vous aidera.

Prosper, surpris, s’arrêta; il cherchait une réponse, mais déjà l’homme était passé.

– Quel est ce monsieur? demanda-t-il au garde qui le suivait.

– Quoi! vous ne le connaissez pas! répondit le garde d’un air de surprise profonde, mais c’est monsieur Lecoq, de la sûreté.

– Qui ça, Lecoq?

– Vous pourriez bien dire «monsieur», fit le garde de Paris offensé; ça ne vous écorcherait pas la bouche. Monsieur Lecoq est un homme à qui on n’en conte pas, et qui sait tout ce qu’il veut savoir. Si vous l’aviez eu, au lieu de ce mielleux imbécile de Fanferlot, votre affaire serait depuis longtemps réglée. Avec lui, on ne languit pas. Mais il a l’air d’être de vos connaissances?

– Je ne l’avais jamais vu avant le jour où on m’a amené ici.

– Il ne faudrait pas en jurer, parce que, voyez-vous, personne ne peut se vanter de connaître la vraie figure de monsieur Lecoq. Il est ceci aujourd’hui et cela demain; tantôt brun, tantôt blond, parfois tout jeune, d’autres fois si vieux qu’on lui donnerait cent ans. Tenez, moi qui vous parle, il m’enfonce comme il veut. Je cause avec un inconnu, paf! c’est lui. N’importe qui peut être lui. On m’aurait dit que vous étiez lui, j’aurais répondu: «C’est bien possible.» Ah! il peut se vanter, celui-là, de faire tout ce qu’il veut de son corps.

Le garde de Paris aurait longtemps encore poursuivi la légende de M. Lecoq, mais il arrivait avec son prévenu à la galerie des juges d’instruction.

Cette fois, Prosper n’eut pas à attendre sur l’humble banc de bois; le juge, au contraire, l’attendait.

C’était M. Patrigent, en effet, qui, en profond observateur des mouvements de l’âme humaine, avait ménagé cette entrevue de M. Bertomy et de son fils.

Il était sûr qu’entre le père, cet homme à probité raide, et le fils accusé de vol, une scène déchirante, lamentable, aurait lieu, et il comptait que cette scène briserait Prosper.

Il s’était dit qu’il manderait aussitôt près de lui le prévenu, qu’il lui arriverait les nerfs vibrants d’émotions terribles, et qu’il arracherait la vérité à son trouble et à son désespoir.

Il ne fut donc pas médiocrement surpris de l’attitude du caissier, attitude résolue sans froideur, fière et assurée, sans impertinence ni défi.

– Eh bien! lui demanda-t-il tout d’abord, avez-vous réfléchi?

– N’étant pas coupable, monsieur, je n’avais pas à réfléchir.

– Ah! fit le juge, la prison n’a pas été pour vous bonne conseillère. Vous avez oublié qu’il faut surtout sincérité et repentir à qui veut mériter l’indulgence des juges.

– Je n’ai besoin, monsieur, ni d’indulgence ni de grâce.

M. Patrigent ne put retenir un geste de dépit. Il se tut un moment, puis, tout à coup:

– Que me répondriez-vous, fit-il, si je vous disais ce que sont devenus les trois cent cinquante mille francs?

Prosper secoua tristement la tête.

– Si on le savait, répondit-il simplement, je serais en liberté et non pas ici.

Le vulgaire moyen employé par le juge d’instruction réussit fort souvent. Mais ici avec un prévenu si maître de soi, il n’avait guère de chances de succès. Cependant il l’avait tenté à tout hasard.

– Ainsi, reprit-il, vous vous en tenez à votre premier système. Vous persistez à accuser votre patron.

– Lui, ou tout autre.

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