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Car c’est ainsi, la confiance n’admet ni accommodement ni gradations, elle est ou elle n’est pas.

Et lui, il n’avait plus confiance.

Tous les rêves, toutes les espérances de cet homme si malheureux reposaient sur l’amour de cette femme.

Découvrant, à ce qu’il croyait, qu’elle était indigne de lui, il n’admettait nulle possibilité de bonheur et il demandait à quoi bon vivre désormais et pour quelle fin.

Cependant l’état de prostration de M. Fauvel dura peu. Le feu de la colère eut vite séché ses larmes et il se redressa altéré de vengeance, décidé à faire payer cher son bonheur détruit.

Mais il comprenait que sur ce seul indice, des diamants introuvables, il ne pouvait s’abandonner aux inspirations de son ressentiment.

Heureusement, il pouvait sans peine se procurer d’autres preuves.

Pour commencer, il appela son valet de chambre et lui enjoignit de ne remettre qu’à lui seul, le maître, toutes les lettres qui arriveraient à la maison.

Puis il adressa à un notaire de Saint-Rémy, son correspondant, une dépêche télégraphique détaillée, par laquelle il demandait d’exacts renseignements sur la famille de Lagors et de Raoul en particulier.

Enfin, se conformant aux conseils de la dénonciation anonyme, il courut à la préfecture de police, espérant y trouver une biographie de Clameran.

Mais la police, c’est un bonheur pour beaucoup de gens, est discrète comme la tombe même. Ses secrets, elle les garde pour elle seule, comme un avare garde son trésor. Il faut une injonction du parquet pour faire parler les terribles cartons verts qu’elle garde au fond d’une galerie cadenassée comme un coffre-fort.

On demanda poliment à M. Fauvel quelles raisons le poussaient à s’informer du passé d’un citoyen français; et comme il ne pouvait les déduire, on l’engagea à s’adresser au procureur impérial.

Cette insinuation, il ne pouvait l’accepter. Il avait juré que le secret de ses infortunes resterait entre les trois intéressés. Mortellement offensé, il voulait être le seul juge et l’exécuteur.

Il rentra chez lui plus irrité qu’à son départ, et il trouva la dépêche de Saint-Rémy répondant à la sienne:

La famille de Lagors, lui disait-on, comme on l’avait dit à M. Verduret, est dans la dernière des détresses, et personne n’y connaît le sieur Raoul. Mme de Lagors n’a eu de son mariage que des filles, etc…

Cette révélation, c’était la dernière goutte d’eau qui fait verser la coupe. Le banquier pensa qu’il lui était donné de mesurer la profondeur de l’infamie de sa femme. Il lui voyait un raffinement de duplicité plus affreux peut-être que le crime lui-même.

– La misérable! s’écria-t-il, fou de douleur et de rage, la misérable! Pour voir plus librement son amant, pour ne jamais le perdre de vue, elle a osé me le présenter sous le nom d’un neveu qui n’a jamais existé. Elle a eu l’inconcevable impudeur de lui ouvrir ma maison, de le faire asseoir au foyer conjugal entre moi et nos fils. Et moi, honnête homme imbécile, mari confiant et crédule, je l’aimais, ce garçon, je lui serrais les mains, je lui prêtais mon argent…

Il se représentait alors Raoul et sa femme, s’égayant, à leurs rendez-vous, de sa débonnaireté candide, et les aiguillons de l’amour-propre offensé, s’ajoutant à ces horribles déchirements, il connut le plus horrible supplice qui soit ici-bas.

La mort! Il ne voyait que la mort pour punir de telles injures. Mais l’intensité même de son ressentiment lui donna la force de feindre, de se contenir.

À mon tour de tromper les misérables, se disait-il avec une affreuse satisfaction.

Il fut ce soir-là ce qu’il était toujours. Au dîner, il plaisanta. Seulement lorsque, sur les neuf heures, il vit entrer Clameran, il s’enfuit, craignant de ne pouvoir se contenir, et il ne rentra que très avant dans la nuit.

Le lendemain, il recueillit le fruit de sa prudence.

Parmi les lettres qu’à la distribution de midi lui apporta son valet de chambre, il s’en trouva une qui portait le timbre du Vésinet.

Avec d’infinies précautions, il rompit le cachet et il lut:

Chère tante,

Il est indispensable que je te voie aujourd’hui même, et je t’attends. Je te dirai quelles raisons m’empêchent d’aller chez toi.

Raoul

– Je les tiens donc! s’écria M. Fauvel, frémissant de la joie de la vengeance satisfaite.

Il se croyait si bien vengé, qu’ouvrant un des tiroirs de son bureau, il en tira un revolver dont il fit jouer la batterie.

Certes, il se croyait seul, et cependant il avait un témoin de ses moindres gestes. L’œil collé à la serrure, Nina Gypsy, de retour du Grand-Archange, observait, et les gestes du banquier lui révélaient la vérité.

M. Fauvel avait déposé son revolver sur la cheminée, et il s’occupait à rajuster le cachet de la lettre. L’opération terminée, il sortit pour aller la reporter au concierge, ne voulant pas que sa femme sût que la missive de Raoul avait passé par ses mains.

Il ne fut guère absent que deux minutes, mais, inspirée par l’imminence du danger, Gypsy eut le temps d’entrer dans le cabinet, de courir à la cheminée et d’enlever les balles du revolver.

Ainsi, pensait-elle, le péril du premier moment est conjuré, et M. Verduret, que je vais faire prévenir de ce qui se passe, par Cavaillon, aura peut-être le temps d’aviser.

Elle descendit en effet et alla donner ses instructions au jeune commis, lui enjoignant de se confier, pour être plus sûr de réussir, à Mme Alexandre.

Une heure plus tard, Mme Fauvel s’étant habillée, demanda sa voiture et sortit.

M. Fauvel, qui avait, d’avance, envoyé chercher un remise, s’élança sur ses traces.

Mon Dieu!… pensa Nina, si monsieur Verduret n’arrive pas à temps, madame Fauvel et Raoul sont perdus.

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