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Lui, l’homme des violences spontanées, des colères soudaines aussitôt apaisées, il venait de prendre la résolution de se composer un visage impassible, de recueillir une à une des preuves d’innocence ou de culpabilité, d’imposer silence à son ressentiment, de n’éclater, enfin, que lorsqu’il aurait pour lui l’évidence.

Il avait, au surplus, un moyen bien simple de vérification.

Les diamants de sa femme avaient été, lui écrivait-on, portés au Mont-de-Piété. Il lui était aisé de s’assurer de l’exactitude de cette assertion.

Si la lettre mentait sur ce point, il n’y avait pas à tenir compte du reste. Si au contraire, elle disait vrai!…

M. André Fauvel en était là de ses méditations, lorsqu’on vint le prévenir que le déjeuner était servi. Il s’agissait de ne pas se laisser pénétrer. Avant de sortir de son cabinet, il se regarda dans la glace, il était si affreusement pâle qu’il se fit peur.

Manquerais-tu donc d’énergie? se dit-il.

À table, il pensait à se maîtriser assez pour éviter toutes les questions, dont, pour la moindre des choses, l’accablait la sollicitude de sa femme. Même, il causa beaucoup, il dit des histoires, espérant ainsi détourner l’attention.

Mais, tout en parlant, il ne songeait qu’aux moyens de visiter le plus tôt possible les tiroirs de sa femme sans qu’elle pût s’en apercevoir.

Cette idée le préoccupait à ce point qu’il ne put s’empêcher de demander à sa femme si elle sortirait ce jour-là.

– Oui, répondit-elle, le temps est affreux, mais Madeleine et moi avons quelques courses pressées à faire.

– Et à quelle heure comptez-vous sortir?

– Aussitôt après le déjeuner.

Il respira fortement, comme s’il eût été soulagé d’une terrible oppression.

Dans quelques instants il allait donc savoir à quoi s’en tenir.

Or, si poignante et si intolérable était l’incertitude de cet homme infortuné, qu’il lui préférait tout, même la plus atroce réalité.

Le déjeuner fini, il alluma un cigare, mais il ne resta pas dans la salle à manger, comme il avait coutume de le faire; il passa dans son cabinet, prétextant un travail urgent.

Il poussa la précaution jusqu’à se faire suivre de son fils, Lucien, qu’il chargea d’une commission. Il voulait rester seul à la maison.

Enfin, au bout d’une demi-heure, qui lui parut un siècle, il entendit le roulement d’une voiture sous la voûte d’entrée. Mme Fauvel et sa nièce sortaient.

Sans plus attendre, il se précipita dans la chambre de sa femme, et ouvrit le tiroir du chiffonnier où elle serrait ses parures.

Beaucoup des écrins qu’il lui connaissait manquaient, ceux qui restaient – il y en avait dix ou douze – étaient vides.

La lettre anonyme disait vrai.

Cette certitude éclata comme un obus dans le cerveau de M. Fauvel. Et cependant!…

– Non, balbutia-t-il, ce n’est pas possible!

Aussitôt, avec le fol acharnement de l’angoisse et comme si, condamné à mort, il eût l’espoir de trouver sa grâce, il se mit à fouiller partout, à chercher dans tous les meubles, avec un certain ordre cependant, prenant bien garde de ne pas laisser de traces de ses perquisitions.

Mme Fauvel, il le comprenait vaguement, pouvait avoir changé ses bijoux de place, en avoir donné quelques-uns à raccommoder ou à remonter.

Rien, il ne trouvait rien!…

Alors il se souvint du grand bal qu’avaient donné les messieurs Jandidier. Lui, vaniteux, il avait dit à sa femme:

– Pourquoi ne mets-tu pas tes diamants?

Elle avait répondu en souriant:

– À quoi bon? tout le monde les connaît; en n’en portant pas, je serai mieux remarquée; d’ailleurs, ils n’iraient pas avec mon costume.

Oui, elle lui avait dit cela sans se troubler, sans rougir, sans un tremblement dans la voix.

Quelle impudence! quelles corruptions se cachaient donc sous ces apparences de vierge qu’elle gardait après vingt années de mariage!

Mais tout à coup, dans le désarroi de ses pensées, un espoir lui vint, chétif, à peine acceptable, auquel cependant il se raccrocha comme le noyé à son épave.

Ses diamants, Mme Fauvel pouvait les avoir placés dans la chambre de Madeleine.

Sans réfléchir à l’odieux de ses investigations, il courut à cette chambre de jeune fille, et là, comme chez sa femme, il porta partout ses mains brutales, oublieux du respect qu’il devait à ce sanctuaire.

Il ne trouva pas les diamants de Mme Fauvel; mais, dans le coffre à bijoux de Madeleine, il aperçut sept ou huit écrins vides.

Elle aussi, elle avait donné ses parures, elle savait les hontes de la maison, elle était complice.

Ce dernier coup brisa le courage de M. Fauvel.

– Elles s’entendaient pour me tromper, murmurait-il, elles s’entendaient!…

Et anéanti, sans forces, il se laissa tomber sur un fauteuil. De grosses larmes silencieuses tombaient le long de ses joues, et par moments, un soupir profond soulevait sa poitrine.

C’en était fait de sa vie. En un instant, l’édifice de son bonheur, de sa sécurité, de son avenir, qu’il avait mis vingt ans à élever, qu’il croyait d’une solidité à l’épreuve de tous les caprices du sort, volait en éclats, plus fragile que le verre.

En apparence, rien n’était changé dans son existence; il n’était point atteint matériellement; les objets autour de lui restaient les mêmes avec les mêmes aspects, et cependant un bouleversement était survenu, plus inouï, plus surprenant que l’interversion du jour et de la nuit.

Quoi! Valentine, la chaste et jeune fille autrefois tant aimée, dont il avait acheté la possession au prix de sa fortune; Valentine, cette femme qui lui était devenue de plus en plus chère, à mesure qu’ils avaient vieilli, ensemble; cette épouse, incomparable en apparence, le trahissait!…

Elle le trompait… elle… la mère de ses fils!

Cette dernière pensée surtout révoltait tout son être jusqu’au dégoût.

Ses fils!… Amère dérision! Étaient-ils bien à lui? Celle qui maintenant, lorsque déjà des cheveux blancs argentaient ses tempes, le trompait, ne l’avait-elle pas trompé autrefois?

Et non seulement il était torturé dans le présent, mais il souffrait dans le passé, payant par des angoisses inouïes de quelques minutes des années de félicité, transporté de fureur au souvenir de certaines joies intimes, comme un homme qui tout à coup apprendrait que les vins exquis dont il s’est enivré renfermaient du poison.

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