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Le compliment sembla transporter Dubois-Fanferlot.

– Maintenant que je suis paré, patron, demanda-t-il, que faire?

– Rien de difficile pour un homme adroit. Cependant, note-le bien, de la précision des manœuvres dépend le succès de mon plan. Avant de m’occuper de Lagors, je veux en finir avec Clameran; or, puisque les gredins sont séparés, il faut les empêcher de se rejoindre.

– Compris! fit Fanferlot, en clignant de l’œil; je vais opérer une diversion.

– Tu l’as dit. Donc, tu vas sortir par la rue de la Huchette et gagner le pont Saint-Michel. Là, tu descendras sur la berge et tu iras te poster sur un des escaliers du quai, bien maladroitement, de telle sorte que Clameran puisse, d’où il est, te découvrir et comprendre que tandis qu’il épie, il est épié lui-même. S’il ne t’aperçoit pas, tu es assez intelligent pour attirer son attention.

– Parbleu! je jetterai une pierre dans l’eau.

Ravi de son idée, Dubois-Fanferlot se frottait les mains.

– Va pour la pierre, poursuivit M. Verduret. Dès que Clameran t’aura vu, l’inquiétude l’empoignera et il décampera. Toi, tu le suivras, sottement en apparence, mais avec acharnement. Reconnaissant qu’il a affaire à la police, la peur le prendra, et il mettra tout en jeu pour te dépister. C’est ici qu’il te faudra ouvrir l’œil; il est rusé, le gaillard.

– Bon! je ne suis pas né d’hier.

– Tant mieux! tu le lui prouveras. Ce qui est sûr, c’est que te sentant à ses trousses, il n’osera pas rentrer à l’hôtel du Louvre, craignant d’y trouver des curieux. C’est là pour moi le point capital.

– Mais s’il rentrait, cependant? demanda Fanferlot.

Le gros homme parut évaluer l’objection.

– Ce n’est pas probable, répondit-il. Si cependant il avait cette audace, tu le laisserais faire, tu l’attendrais, et à sa sortie tu recommencerais à le suivre. Mais il ne rentrera pas. L’idée lui viendrait plutôt de prendre un chemin de fer quelconque. Auquel cas, tu ne le lâcherais pas, dût-il te conduire en Sibérie. As-tu de l’argent?

– Je vais en demander à madame Alexandre.

– Bien! je n’examinerai pas ta note de trop près. Ah!… deux mots encore. Si le gredin prend le chemin de fer, envoie un mot ici. Ensuite, s’il se fait battre jusqu’à ce soir, défie-toi, la nuit venue, des endroits écartés. Le gredin est capable de tout.

– Puis-je tirer dessus?

– Halte-là! pas d’enfantillage. Cependant, s’il t’attaquait!… Allons, mon garçon, en route.

Dubois-Fanferlot sorti, M. Verduret et Prosper reprirent leur poste d’observation.

– Pourquoi tant de peines? murmurait le caissier. Je n’avais pas contre moi toutes les charges qui accablent Clameran, et on n’y a pas mis tant de façons…

– Comment, répondit le gros homme, vous en êtes encore à comprendre que je veux séparer la cause de Raoul de celle du marquis… mais chut!… Regardez…

Clameran avait quitté son poste d’observation pour s’approcher du parapet du pont, et il se promenait comme s’il eût cherché à bien distinguer quelque chose d’insolite.

– Ah! murmura M. Verduret, il vient de découvrir notre homme.

En effet, l’inquiétude de Clameran était manifeste; il fit quelques pas comme s’il eût voulu traverser le pont; puis, tout à coup réfléchissant, il fit volte-face et s’élança dans la direction de la rue Saint-Jacques.

– Il est pris! s’écria joyeusement M. Verduret.

Mais au même moment, le bruit de la porte le fit se retourner ainsi que Prosper.

Mme Nina Gypsy, c’est-à-dire Palmyre Chocareille, était debout au milieu de la chambre.

Pauvre Nina! Chacun des jours écoulés depuis qu’elle était entrée au service de Madeleine avait pesé autant qu’une année sur sa tête charmante.

Les larmes avaient éteint la flamme amoureuse de ses grands yeux noirs; ses joues fraîches avaient pâli et s’étaient creusées, le sourire s’était glacé sur ses lèvres jadis si provocantes et plus rouges que la grenade entrouverte.

Pauvre Gypsy! Elle si vive autrefois, si gaie, si remuante, elle était maintenant affaissée sous le poids de chagrins trop lourds pour elle. Après avoir eu toutes les insolences du bonheur, elle était humble comme la misère.

Prosper s’imaginait que, folle de la joie de le revoir, toute fière de s’être si noblement dévouée pour lui, Nina allait se jeter à son cou et l’étreindre entre ses bras. Il se trompait; et, bien que tout entier à Madeleine depuis qu’il connaissait les raisons de sa dureté, cette déception l’affecta.

C’est à peine si Mme Gypsy eut l’air de le reconnaître. Elle le salua timidement, presque comme un étranger.

Toute son attention se concentrait sur M. Verduret. Les regards qu’elle attachait sur lui avaient cette timidité craintive et aimante du pauvre animal souvent rudoyé par son maître.

Lui, cependant, se montrait excellent pour elle, paternel, affectueux.

– Eh bien, chère enfant, lui demanda-t-il de sa bonne voix, quels renseignements m’apportez-vous?

– Il doit y avoir du nouveau à la maison, monsieur, et j’avais hâte de vous prévenir, mais j’étais retenue par mon service, et il a fallu que mademoiselle Madeleine prît la peine de me trouver un prétexte de sortir.

– Vous remercierez mademoiselle Madeleine de sa confiance, reprit le gros homme, en attendant que je lui exprime moi-même toute ma reconnaissance. J’imagine que, pour le reste, elle est fidèle à nos conventions?

– Oui, monsieur.

– On reçoit le marquis de Clameran?

– Depuis que le mariage est arrêté, il vient tous les soirs, et mademoiselle le reçoit bien. Il a l’air ravi.

Ces assurances, qui renversaient toutes les idées de Prosper, le transportèrent de colère. Le pauvre garçon qui ne comprenait rien aux manœuvres savantes de M. Verduret, qui se sentait ballotté au gré de volontés inexplicables, se vit tout à coup trahi, bafoué, joué.

– Quoi! s’écria-t-il, ce misérable marquis de Clameran, cet infâme voleur, cet assassin est admis familièrement chez monsieur Fauvel, il fait sa cour à Madeleine!… Que me disiez-vous donc, monsieur, de quelles espérances me berciez-vous pour m’endormir?…

D’un geste impérieux M. Verduret coupa court à ses récriminations.

– Assez, dit-il durement, en voilà assez. Vous êtes par trop… honnête homme, à la fin, mon camarade. Si vous êtes incapable de rien tenter de sérieux pour votre salut, au moins laissez agir, sans les importuner sans cesse de vos puérils soupçons, ceux qui travaillent pour vous. Ne trouvez-vous pas en avoir fait assez pour me gêner?

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