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– Mais les conversations, demanda Prosper, ces conversations si précises…

– Vous croyez que je les ai prises sous mon bonnet, n’est-ce pas? Erreur. Pendant que je travaillais là-bas, mes aides, ici, ne mettaient pas leurs mains dans le même gant. Se défiant l’un de l’autre, Clameran et Raoul ont été assez ingénieux pour garder les lettres qu’ils s’écrivaient. Ces lettres, Joseph Dubois les a trouvées, il en a copié la majeure partie, il a fait photographier les plus décisives et il m’a expédié le tout. De son côté, Nina passait sa vie à écouter aux portes et m’envoyait le résumé fidèle de ce qu’elle entendait. Enfin, j’ai eu chez les Fauvel un dernier moyen d’investigation que je vous révélerai plus tard.

C’était net, précis, indiscutable.

– Je comprends, murmurait Prosper, je comprends.

– Et vous, mon jeune camarade, interrogea M. Verduret, qu’avez-vous fait?

Prosper, à cette question, se troubla et rougit. Mais il comprit que taire son imprudence serait une folie et une mauvaise action.

– Hélas! répondit-il, j’ai été fou, j’ai lu dans un journal que Clameran allait épouser Madeleine.

– Et alors? insista M. Verduret devenu inquiet.

– J’ai écrit à monsieur Fauvel une lettre anonyme où je lui donne à entendre que sa femme le trahit pour Raoul…

D’un formidable coup de poing, M. Verduret brisa la table près de laquelle il était assis.

– Malheureux!… s’écria-t-il, vous avez peut-être tout perdu!

En un clin d’œil, la physionomie du gros homme changea. Sa face joviale prit une expression menaçante.

Il s’était levé, et il arpentait rageusement la plus belle chambre de l’hôtel du Grand-Archange, sans souci des locataires de l’étage inférieur.

– Mais vous êtes donc un enfant, disait-il à Prosper consterné, un insensé, pis encore… un sot!…

– Monsieur…

– Quoi! il se trouve un brave homme qui, lorsque vous vous noyez, se jette à l’eau, et quand il est sur le point de vous sauver, vous vous accrochez à ses jambes pour l’empêcher de nager!… Que vous avais-je dit?

– De me tenir tranquille, de ne pas sortir.

– Eh bien!…

Le sentiment de ses torts rendait Prosper plus timide que le lycéen auquel son professeur demande compte de ses heures d’étude, et qui s’excuse.

– C’était le soir, monsieur, répondit-il, je souffrais, je me suis promené le long des quais, j’ai cru pouvoir entrer dans un café, on m’a donné un journal, j’ai vu l’épouvantable nouvelle…

– N’était-il pas arrêté que vous aviez confiance en moi?

– Vous étiez absent, monsieur, l’annonce de ce mariage m’a bouleversé; vous étiez loin, on peut être surpris par les événements…

– Il n’y a d’imprévu que pour les imbéciles! déclara péremptoirement M. Verduret. Écrire une lettre anonyme! Savez-vous à quoi vous m’exposez? Vous êtes cause que je manquerai peut-être à une parole sacrée donnée à une des rares personnes que j’estime ici-bas. Je passerai pour un fourbe, pour un lâche, moi qui…

Il s’interrompit comme s’il eût craint d’en trop dire, et ce n’est qu’après un certain temps que, devenu relativement calme, il reprit:

– Revenir sur ce qui est fait est idiot. Tâchons de sortir de ce mauvais pas. Où et quand avez-vous mis votre lettre à la poste?

– Hier soir, rue du Cardinal-Lemoine. Ah! elle n’était pas au fond de la boîte que j’avais déjà des regrets.

– Il eût mieux valu les avoir avant. Quelle heure était-il?

– Près de dix heures.

– C’est-à-dire que votre poulet [7] est arrivé à monsieur Fauvel ce matin avec son courrier; donc il était probablement seul dans son cabinet, quand il l’a décacheté et lu.

– Ce n’est pas probable, c’est sûr.

– Vous rappelez-vous les termes de votre lettre? Ne vous troublez pas, ce que je vous demande est important; cherchez…

– Oh! je n’ai pas besoin de chercher. J’ai les expressions présentes à la mémoire comme si je venais d’écrire.

Il disait vrai, et c’est presque textuellement qu’il récita sa lettre à M. Fauvel.

C’est avec l’attention la plus concentrée que l’écoutait M. Verduret, et les plis de son front trahissaient le travail de sa pensée.

– Voilà, murmurait-il, une rude lettre anonyme, pour qui n’en fait pas son état. Elle laisse tout entendre, sans rien préciser, elle est vague, railleuse, perfide… Répétez encore une fois.

Prosper obéit, et sa seconde version ne varia pas.

– C’est que tout y est, poursuivait le gros homme, répétant après Prosper les phrases de la lettre. Rien de plus inquiétant que cette allusion au caissier. Ce doute: «Est-ce aussi lui qui a volé les diamants de Mme Fauvel?» est tout simplement affreux. Quoi de plus irritant que cet ironique conseil: «À votre place, je ne ferais pas d’esclandre; je surveillerais ma femme»?

Sa voix s’éteignit; c’est intérieurement qu’il poursuivait son monologue.

À la fin, il revint se planter droit, les bras croisés devant Prosper.

– L’effet de votre lettre, dit-il, a dû être terrible; passons. Il est emporté, n’est-ce pas, votre patron.

– Il est la violence même.

– Alors, le mal n’est peut-être pas irréparable.

– Quoi! vous supposez…

– Je pense que tout homme d’un naturel violent se redoute et n’obéit jamais à un premier mouvement. Là est notre chance de salut. Si, au reçu de vos obus, monsieur Fauvel n’a pas su se contenir, s’il s’est précipité dans la chambre de sa femme en criant: «Où sont vos diamants?» N, i, ni, adieu nos projets. Je connais madame Fauvel, elle confessera tout.

– Serait-ce un si grand malheur?

– Oui, mon jeune camarade, parce qu’au premier mot prononcé haut entre madame Fauvel et son mari, nos oiseaux s’envoleront.

Prosper n’avait pas prévu cette éventualité.

– Ensuite, continua M. Verduret, ce serait causer à quelqu’un une immense douleur.

– À quelqu’un que je connais?

– Oui, mon camarade, et beaucoup. Enfin, je serais désolé de voir filer ces deux gredins sans être absolument édifié à leur endroit.

– Il me semble pourtant que vous savez à quoi vous en tenir?

M. Verduret haussa les épaules.

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[7] Billet doux. (N. d. E.)

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