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Il sortit à demi le pistolet qu’il avait dans sa poche, et ajouta avec un sourire forcé:

– Voilà qui arrange tout.

Mme Fauvel était trop hors de soi pour réfléchir à l’horreur de la conduite de Raoul, pour reconnaître dans ses horribles menaces un suprême expédient.

Oubliant le passé, sans souci de l’avenir, tout entière à la situation présente, elle ne voyait qu’une chose, c’est que son fils allait mourir, se tuer, et qu’elle ne pouvait rien pour l’arracher au suicide.

– Je veux que tu attendes, dit-elle. André va rentrer, je lui dirai que j’ai besoin de… Combien t’avait-on confié?

– Trente mille francs.

– Tu les auras demain.

– C’est ce soir qu’il me les faut.

Elle se sentait devenir folle, elle se tordait les mains de désespoir.

– Ce soir, disait-elle, que n’es-tu venu plus tôt? Manquais-tu donc de confiance en moi?… Ce soir, il n’y a plus personne à la caisse… sans cela!…

Ce mot, Raoul l’attendait, il le saisit au passage; il eut une exclamation de joie comme si une lueur eût éclairé les ténèbres d’un désespoir réel.

– La caisse! s’écria-t-il, mais tu sais où est la clé?

– Oui, elle est là.

– Eh bien!…

Il regardait Mme Fauvel avec une si infernale audace qu’elle baissa les yeux.

– Donne-la-moi, mère, supplia-t-il.

– Malheureux!…

– C’est la vie que je te demande.

Cette prière la décida, elle prit un des flambeaux, passa rapidement dans sa chambre, ouvrit le secrétaire et y trouva la clé de M. Fauvel…

Mais, au moment de la remettre à Raoul, la raison lui revint.

– Non, balbutia-t-elle, non, ce n’est pas possible.

Il n’insista pas et même parut vouloir se retirer.

– En effet, dit-il… alors, mère, un dernier baiser.

Elle l’arrêta.

– Que feras-tu de la clé, Raoul? as-tu le mot?

– Non, mais on peut essayer.

– Ne sais-tu pas qu’il n’y a jamais d’argent en caisse?

– Essayons toujours. Si j’ouvre, par miracle, s’il y a de l’argent en caisse, c’est que Dieu aura eu pitié de nous.

– Et si tu ne réussis pas? Me jures-tu d’attendre jusqu’à demain?

– Sur la mémoire de mon père, je le jure.

– Alors, voici la clé, viens.

Pâles et tremblants, Raoul et Mme Fauvel traversèrent le cabinet du banquier et s’engagèrent dans l’étroit escalier tournant qui met en communication les appartements et les bureaux.

Raoul marchait le premier, tenant la lumière, serrant entre ses doigts crispés la clé de la caisse.

En ce moment, Mme Fauvel était convaincue que la tentative de Raoul serait inutile.

Elle était donc presque rassurée sur les suites de cette révoltante entreprise, et elle ne redoutait guère que le désespoir de Raoul après un échec.

Si elle prêtait les mains à une action dont la pensée lui paraissait affreuse, si elle avait livré la clé, c’est qu’elle se fiait à la parole de Raoul, et qu’elle voulait surtout gagner du temps.

Quand il aura reconnu l’inanité de ses espérances et de ses efforts, pensait-elle, il attendra, il me l’a juré, jusqu’à demain, et moi, alors, demain… demain…

Ce qu’elle ferait, le lendemain, elle l’ignorait et ne se le demandait même pas. Mais dans les situations extrêmes, le moindre délai rend l’espérance, comme si un court répit était le salut définitif.

Ils étaient arrivés dans le bureau de Prosper, et Raoul avait placé la lampe sur une tablette assez élevée pour que, malgré l’abat-jour, elle éclairât toute la pièce.

Il avait alors recouvré sinon tout son sang-froid, au moins cette précision mécanique des mouvements presque indépendante de la volonté, et que les hommes accoutumés au péril trouvent à leur service, alors qu’il est le plus pressant.

Rapidement, avec la dextérité de l’expérience, il plaça successivement les cinq boutons du coffre-fort sur les lettres composant le nom de Gypsy.

Ami intime de Prosper, étant venu le voir, le chercher cinquante fois, à la fermeture des bureaux, Raoul savait parfaitement, pour l’avoir étudié et même essayé – c’était un garçon prévoyant – comment il fallait manœuvrer la clé dans la serrure.

Il l’introduisit doucement, donna un tour; la poussa davantage, tourna une seconde fois; l’enfonça tout à fait avec une secousse et tourna encore. Il avait des battements de cœur si violents que Mme Fauvel eût pu les entendre.

Le mot n’avait pas été changé; la caisse s’ouvrit.

Raoul et sa mère, en même temps, laissèrent échapper un cri, elle de terreur, lui de triomphe.

– Referme!… s’écria Mme Fauvel, épouvantée de ce résultat inexplicable, incompréhensible… laisse… reviens…

Et, à moitié folle, elle se précipita sur Raoul, s’accrocha désespérément à son bras et le tira à elle avec une telle violence que la clé sortit de la serrure, glissa le long de la porte du coffre et y traça une longue et profonde éraillure.

Mais Raoul avait eu le temps d’apercevoir sur la tablette supérieure de la caisse trois liasses de billets de banque. Il les saisit de la main gauche et les glissa sous son paletot entre son gilet et sa chemise.

Épuisée par l’effort qu’elle venait de faire, succombant à la violence de ses émotions, Mme Fauvel avait lâché le bras de Raoul, et, pour ne pas tomber, se soutenait au dossier du fauteuil de Prosper.

– Grâce, Raoul, disait-elle, je t’en conjure, remets ces billets de banque dans la caisse, j’en aurai demain, je te le jure, dix fois plus, et je te les donnerai, mon fils, je t’en prie, aie pitié de ta mère!

Il ne l’écoutait pas; il examinait l’éraillure laissée sur le battant; cette trace du vol était très visible et l’inquiétait.

– Au moins, poursuivait Mme Fauvel, ne prends pas tout, garde juste ce qu’il te faut pour te sauver, et laisse le reste.

– À quoi bon? La soustraction en sera-t-elle moins découverte?

– Oui, parce que moi, vois-tu bien, j’arrangerai tout. Laisse-moi faire, je saurai bien trouver une explication plausible, je dirai à André que c’est moi qui ai eu besoin d’argent…

Avec mille précautions, Raoul avait refermé le coffre-fort.

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