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XX

Saêtta suivit la litière qui emportait Bertille prisonnière de Concini jusqu’à ce qu’il le vît entrer avec son escorte dans la maison de la rue des Rats, Il s’approcha, reconnut les lieux et murmura:

– Maison isolée, à l’angle du quai!… Bon! on retrouvera cela les yeux fermés.

Et il s’éloigna d’un pas allongé, frappant le sol d’un talon ferme et vigoureux, ne cherchant plus à se dissimuler et ne redoutant rien, ni personne… Et il songeait avec un ricanement:

– Ce pauvre Concini n’a vraiment pas de chance!… Voilà son nouveau nid d’amour éventé une fois de plus. Oui, mais la signora Léonora sera contente… contente? heu!… enfin elle paye bien la signora… cela me suffit!

Rentré chez lui, il se jeta tout habillé sur son grabat et mâchonna:

– Je ne dormirai pas, c’est certain… mais que faire jusqu’à demain?… Demain!… Que je voudrais donc être à demain, pour savoir si vraiment le fils de Fausta est pris!… (Il gronda furieusement.) Et pourquoi ne le serait-il pas?… Le grand prévôt a tenu compte de mon avis… il est accouru à l’endroit que je lui avais indiqué… J’en suis sûr… J’ai vu le sol foulé comme si une troupe nombreuse avait piétiné là… J’ai vu le sang… Il y a eu lutte, c’est certain!… À l’heure actuelle, le fils de Fausta est solidement enchaîné dans l’un quelconque de ces mignons cachots, comme il y en a au Châtelet ou à la Conciergerie!… Eh! Eh!… le fils de Fausta!… régicide?… écartelé!… tenaillé!…

Dans l’ombre, il eut un éclat de rire terrible. Mais son inquiétude le reprit et:

– N’importe! Je voudrais être à demain pour savoir! C’est un rude athlète que le petit Jehan! (Avec une sorte d’orgueil sauvage.) C’est mon élève!… Et jamais élève, je puis dire, ne fut formé avec tant de soins vigilants!… Il est de force à s’en tirer, le fils de Fausta et de Pardaillan!…

À ce nom de Pardaillan, brusquement rapproché de son fils Jehan, il eut un frisson. Il demeura plongé dans une sombre rêverie, et répéta:

– Le fils de Pardaillan!… Pardaillan!… C’est vrai que Fausta me fait toujours oublier qu’il est le père, lui! Tant qu’il a été loin de Paris, je n’ai pas pensé à lui. Maintenant que je le sais revenu, maintenant que je sais qu’il s’est rencontré avec son fils, malgré moi, je songe: Pardaillan est le père, et Pardaillan ne m’a rien fait, lui. Au contraire, je lui dois l’inoubliable joie d’avoir vu Fausta, qu’il a toujours combattue, toujours vaincue, humiliée, ruinée par lui, dans toutes ses entreprises. Oui, mais est-ce pour moi qu’il a agi ainsi? Non. Alors?… Alors, au diable le Pardaillan! Vais-je renoncer à ma vengeance pour lui? Autant vaudrait me couper la gorge à l’instant. D’ailleurs, il est trop tard, maintenant. Puis, quoi?… Est-ce qu’il s’en soucie de son fils? Saura-t-il jamais, seulement?… Alors?… Alors, dormons!… Mais il eut beau se tourner et se retourner, le sommeil ne voulut pas venir. Rageusement, il se leva, ceignit sa longue rapière et sortit en grondant:

– L’impatience me dévore… L’air frais de la nuit et le mouvement me calmeront.

Il s’en fut tout droit rue de l’Arbre-Sec et s’arrêta devant le logis de Bertille. Il avait déjà, et très minutieusement, étudié le perron et ses abords. N’importe, il recommença ses investigations, comme s’il avait voulu arracher aux choses le récit des événements dont elles avaient été les témoins muets.

Ses observations premières se trouvèrent corroborées.

Plus tranquille, il s’éloigna et, au hasard, sans but précis, sans se rendre compte, peut-être, des endroits par où il passait, il errait par les rues désertes, durant des heures. Au matin, exténué, il se décida à retourner chez lui y prendre une heure ou deux de repos avant de se rendre près de la Galigaï.

Comme il arrivait à la Croix-du -Trahoir, il reçut un choc terrible au cœur: il venait de reconnaître Jehan qui sortait de la rue du Four. Il n’eut que le temps de se jeter dans un renfoncement.

Le jeune homme passa sans le voir. Il paraissait d’ailleurs trop profondément absorbé pour prêter la moindre attention à ce qui se passait autour de lui.

Il était déjà loin que Saêtta, secoué d’un tremblement convulsif, tant le coup avait été rude pour lui, le suivait encore d’un sombre regard chargé de haine et bégayait, pris d’un accès de fureur:

– Libre!… O Dio ladro!… Dio porco!… Un traquenard que j’avais si bien préparé!… Il s’en est tiré… il est libre… et il rentre chez lui!… Tout est à refaire!

Désespéré, farouche, il reprit, tout pensif, le chemin de son logis. Chez lui, il se laissa choir lourdement sur un siège, mit la tête dans ses mains et resta longtemps à rêver, combinant de nouveaux plans de vengeance.

Vers huit heures, il se rendit rue Saint-Honoré et fut immédiatement introduit auprès de Léonora Galigaï.

– Signora Léonora, fit-il avec une familiarité narquoise et obséquieuse, si vous voulez prendre la pie au nid, vous n’avez qu’à vous rendre rue des Rats, une maison isolée, à l’angle de la rue et du quai.

Sans doute Saêtta avait toute la confiance de Léonora. Peut-être d’anciennes et mystérieuses complicités unissaient l’homme à tout faire à la grande dame. Toujours est-il qu’elle ne prit pas la peine de dissimuler avec lui et qu’elle lui laissa voir un visage décomposé par l’affreux déchirement que lui causait l’annonce de la nouvelle trahison de son époux. Et cependant la nouvelle était prévue par elle.

– Ainsi, dit-elle dans un sanglot, c’est vrai?… Je ne m’étais pas trompée?… Concini a une nouvelle maîtresse?…

Saêtta haussa les épaules d’un air détaché:

– Eh! per bacco! signora, peut-on empêcher le papillon de voleter de fleur en fleur?… Le signor Concini est un vrai papillon… vous le savez bien!

– Oui, dit Léonora avec une sombre amertume, il aime toutes les femmes… toutes… excepté moi!

– Il en est las et les abandonne plus vite encore qu’il ne s’en est épris. Et c’est toujours à vous qu’il revient. À tout prendre, vous avez encore la meilleure part.

Léonora ne parut pas avoir entendu: elle songeait. Elle étouffa un soupir et se redressant, le visage impassible, la voix très calme:

– Donne-moi des détails, fit-elle. Le nom d’abord. Comment s’appelle la maîtresse de mon mari?

– Signora, dit flegmatiquement Saêtta, laissez-moi vous dire que vous vous méprenez. La jeune personne dont il s’agit n’est pas la maîtresse de monseigneur Concini. Et je pense que si elle le devient jamais, c’est que votre illustre époux, pour la réduire, aura employé la violence, comme il a dû l’employer déjà pour s’en emparer.

Léonora ne témoigna ni surprise ni indignation.

– C’est donc une vertu si farouche? demanda-t-elle avec une pointe de scepticisme.

– Heu!… Je ne crois pas beaucoup à la vertu des filles, dit Saêtta avec un cynisme tranquille. Mais, pour tout dire, je crois que celle-là a le cœur pris ailleurs.

– Ah!… Raconte. Je verrai.

Saêtta lui fit le récit très détaillé de l’enlèvement de Bertille, et répéta, mot pour mot, ce qu’il avait entendu de la discussion de Concini avec sa prisonnière.

Léonora l’écouta très attentivement, sans rien laisser paraître de ses impressions. Quand il eut fini:

– La résistance opposée par cette jeune fille me prouve que tu avais vu juste: elle doit être éprise de ton fils, comme tu me l’as dit.

Elle ferma les yeux et s’abîma dans une profonde rêverie, sans qu’il fût possible à Saêtta, qui l’épiait avec une curiosité narquoise, de lire la moindre indication sur son visage figé dans une immobilité de marbre. Puis, sa résolution prise, sans doute, elle rouvrit les yeux et très froide:

– Sais-tu ce qui s’est passé cette nuit, entre le roi et ton fils? dit-elle. Une lueur s’alluma dans l’œil de Saêtta. Enfin, elle abordait le sujet qui lui tenait tant à cœur! Avec cette familiarité insolente et obséquieuse à laquelle, probablement, elle était accoutumée depuis longtemps car elle ne paraissait pas y prêter la moindre attention, il gronda:

– Je n’en ai pas la plus petite idée. Et j’attends, au contraire, impatiemment, que vous me fassiez connaître ce qu’il en est.

– Eh bien! fit Léonora avec cette même froideur sinistre, le roi est rentré au Louvre vers le milieu de la nuit. Il était en parfaite santé – elle insistait sur ces deux mots – et paraissait même d’assez bonne humeur, m’a-t-on dit.

– Je n’y comprends plus rien! grinça Saêtta.

– Cependant, continua Léonora impassible, il s’est passé quelque chose d’anormal. M. de Praslin et ses gardes, mandés en hâte par M. de La Varenne, sont sortis précipitamment du palais, vers les dix heures du soir. On dit aussi qu’il y a eu une bagarre sérieuse rue de l’Arbre-Sec. On parle de blessés, parmi lesquels La Varenne. Enfin, on assure que le grand prévôt se trouvait sur les lieux avec une cinquantaine d’archers.

Léonora prit un temps et, fixant sur Saêtta des yeux étincelants:

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