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– Que mes plans aient été dérangés, cela se peut expliquer, à la rigueur, par ce fait que le roi est sorti deux heures avant l’heure qu’il avait fixée lui-même… Mais, qu’est venu faire là, si inopinément, M. de Neuvy?… Saêtta, Saêtta, pourrais-tu me dire qui est allé si malencontreusement informer le grand prévôt?

Saêtta haussa les épaules, et s’en s’émouvoir, le plus paisiblement du monde:

– Eh! corbacco, signora, dit-il, ne m’assassinez pas du regard, ainsi que vous le faites!… Vous savez bien que vous êtes le seul être au monde que je ne trahirais pas!… C’est moi qui ai avisé le sire de Neuvy.

– Pourquoi? gronda Léonora.

– Parce que, dit Saêtta, toujours imperturbable, si vous aviez vos projets, j’avais les miens auxquels je tenais pour le moins autant que vous tenez aux vôtres. Mais, et vous devez bien le savoir, corpo di Cristo! mes plans personnels ne pouvaient en rien contrarier les vôtres… sans quoi, je vous en eusse avertie.

Léonora le fixa longuement d’un regard aigu. Il soutint l’examen avec assurance. Peu à peu, l’expression de courroux répandue sur le visage de la Galigaï s’effaça. Ses traits reprirent leur impassibilité. Elle murmura:

– C’est vrai, je t’ai soupçonné. J’ai oublié un instant que tu ne peux pas ne pas m’être fidèle. N’en parlons plus.

Et d’une voix où vibrait une sourde rancœur:

– Il n’en est pas moins vrai que, grâce à toi sans doute, mes projets sont renversés.

– Signora, dit gravement Saêtta, vos projets sont non pas renversés comme vous dites mais simplement remis. Tenez pour assuré que je ne suis pour rien dans ce contretemps. Je ne suis pas un enfant, que diable! et mes précautions étaient prises pour que M. de Neuvy arrivât trop tard pour vous gêner. Ce n’est donc pas lui, comme vous paraissez le croire, qui nous a fait échouer. Non, croyez-moi, il s’est passé quelque chose d’imprévu dont ni vous ni moi ne sommes responsables… Et je le saurai aujourd’hui même.

Léonora réfléchissait. Saêtta, à n’en pas douter, était sincère. Il faut croire, d’ailleurs, qu’elle avait des raisons particulières de ne pas douter de lui, puisqu’elle-même prétendait qu’il ne pouvait pas ne pas lui être fidèle.

– C’est aussi mon avis, dit froidement Saêtta, parce que je commence à croire que seul je ne parviendrai pas à atteindre le but que je poursuis depuis plus de vingt ans.

La Galigaï approuva gravement de la tête et:

– Le nom de ses parents, d’abord, dit-elle.

– Il est le fils de la princesse Fausta.

Léonora ne put réprimer un mouvement de surprise et, avec une sorte de crainte superstitieuse, surprenante chez une femme d’un caractère aussi énergique, avec aussi une sorte de vénération, elle s’exclama:

– La petite-fille de la signora Lucrezia!… La rivale de Sixte Quint!… La papesse!…

On eût dit que ces marques de respect et de sourde terreur que la femme de Concini ne prenait pas la peine de cacher indisposaient Saêtta, car il interrompit brusquement et, avec une soudaine irritation dans la voix:

– Celle-là même, oui! Eh! corbacco! signora. Il n’y a jamais eu qu’une Fausta!

D’un air rêveur et sur un ton qui trahissait une secrète et admirative approbation, Léonora murmura:

– Je comprends maintenant l’immense orgueil de ce gueux!… Bon chien chasse de race!…

Et avec un intérêt passionné que le seul nom de Fausta avait suffi à déchaîner en elle:

– Et le père?… Qui est-ce?… Pour le moins un prince souverain… un roi, peut-être!

– Le père, dit Saêtta d’un air railleur, est un modeste gentilhomme, sans feu ni lieu… qui fut la pierre d’achoppement contre laquelle Fausta vit se briser, une à une, toutes ses entreprises.

– Pardaillan! s’écria Léonora en frappant dans ses mains d’un air émerveillé.

– Vous l’avez nommé, dit Saêtta en s’inclinant.

Léonora demeura un moment songeuse, une vague expression d’attendrissement répandue sur son visage, qu’elle ne songeait pas à dissimuler, soit que la surprise eût été trop forte, soit qu’elle eût jugé inutile de masquer ses impressions.

«Et Saêtta, qui ne la quittait pas des yeux, fronça les sourcils et saisi à la gorge par une inexprimable angoisse, il se demanda:

«Est-ce qu’elle va se faire l’alliée du fils par respect et admiration pour la mère?»

Il se ressaisit bien vite, ses traits reprirent leur expression rude, un peu narquoise, habituelle et, avec un demi-sourire:

«Je ne l’entends pas ainsi, moi!… Minute, je vais souffler sur ce bel enthousiasme, et d’un souffle si puissant qu’il sera emporté comme fétu par la tourmente.»

À ce moment, Léonora redressait la tête et, fixant sur le bravo son œil de feu, curieusement elle dit:

– Raconte-moi, Saêtta, ce que t’a fait la signora Fausta… Ce doit être quelque sombre et terrible histoire que je suis curieuse de connaître.

Paroles très simples. Il sembla pourtant à Saêtta qu’il y avait comme une imperceptible ironie dans le ton dont elles furent prononcées. Peut-être sa défiance mise en éveil lui faisait-elle entrevoir des intentions qui n’existaient pas. Quoi qu’il en soit, il ne laissa rien paraître de ses impressions. Il secoua doucement la tête, et sans que rien dans ses intonations trahît sa secrète pensée, avec un naturel parfait, il dit:

– Ce n’est pas une histoire sombre et terrible, comme vous le dites. C’est une histoire bien banale, bien vulgaire, comme il en doit exister plus d’une dans la vie de l’illustrissime Fausta… comme il en existe de semblables dans l’existence de tous ceux qui détiennent la puissance souveraine.

– N’importe, insista doucement Léonora, terrible ou banale, je désire… j’ai besoin de connaître cette histoire.

– Je le sais, signora. Aussi vous la ferai-je connaître, dit Saêtta avec le même naturel. Mais, voyez-vous, cette histoire très banale fut aussi, pour moi, très douloureuse – et avec un grincement de fureur, il insista d’une voix qui devint rauque – très douloureuse… atrocement douloureuse… Cependant, je me rends compte que telle qu’elle est, elle peut maintenant vous laisser très indifférente. Aussi, je vous demande la permission de vous faire, avant, quelques petites révélations; quand je vous aurai dit ce que j’ai à vous dire, je pourrai vous conter cette histoire. Je crois – il eut un petit sourire énigmatique -, oui, je crois qu’alors elle vous intéressera, vous serez dans de bonnes conditions pour me comprendre et m’approuver.

Sa curiosité vivement surexcitée, elle acquiesça doucement:

– Comme tu voudras, Saêtta. Parle donc, je t’écoute.

Saêtta jeta un coup d’œil furtif autour de lui pour s’assurer qu’il ne pouvait être entendu et, baissant la voix, il lâcha à brûle-pourpoint:

– Puisque vous connaissez l’histoire de Fausta, vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de son trésor.

Une flamme passa dans l’œil noir de Léonora. Ce ne fut qu’un éclair. Saêtta le surprit et il eut un mince sourire de satisfaction. Léonora commençait à entrevoir que l’entretien serait plus intéressant encore qu’elle n’avait pensé. Elle prit un air détaché pour dire:

– Ce fameux trésor qui, chuchote-t-on, est enfoui dans l’abbaye de Montmartre?… Depuis vingt ans qu’on en parle, je crois, quant à moi, qu’il doit être loin… si tant est qu’il ait jamais existé.

Avec une gravité impressionnante, Saêtta dit:

– Erreur, madame!… Le trésor existe et nul n’y a touché, j’en réponds.

Et, la regardant droit dans les yeux, avec un ricanement singulier:

– Eh! eh! signora, dix millions!… C’est un joli denier, cela!… Dix millions!… [11] . Figurez-vous une somme pareille tombant dans les coffres d’une personne ayant une haute intelligence et de vastes ambitions!… À quoi ne pourrait-elle prétendre?… Jusqu’où ne pourrait-elle monter?

Un peu de sang monta aux joues de Léonora, ses yeux clignotèrent comme s’ils eussent été éblouis par le ruissellement de l’or, et d’un air rêveur, machinalement, elle répéta:

– Dix millions!…

Saêtta, son énigmatique sourire aux lèvres, ne la quittait pas des yeux. Et voyant l’effet produit par l’énoncé de cette somme énorme, brusquement, brutalement, il cassa l’aile aux rêves prêts à s’envoler de ce cerveau qu’il venait de surexciter, en disant d’un air négligent:

– Cette somme fabuleuse, elle appartient pourtant à Jehan le Brave… au fils de Fausta!

Léonora tressaillit comme si un coup violent l’avait frappée à la nuque. Elle pâlit, ses lèvres se pincèrent, son œil noir, étincelant, se fit brusquement dur, d’une froideur mortelle. Et elle gronda sur un ton menaçant:

[11] Valeur réelle de notre monnaie actuelle: 27 millions 1/2 et en valeur relative; près de 83 millions 1/2 (Note de M Zévaco).


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