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XXIX

Pardaillan entra et mit la clé dans sa poche.

Il se trouvait dans un large couloir qui précédait le vestibule. À sa gauche, une porte entrouverte, à sa droite une autre porte, fermée. Au fond du couloir, deux portières dont une rabattue et l’autre relevée par une embrasse.

Il écouta et entendit, assez distinctement pour la reconnaître, quoique lointaine et assourdie, la voix de Jehan. Il murmura:

– Il est vivant! C’est parfait. Je n’ai pas à craindre d’être surpris par la valetaille, puisque «la belle enfant» l’a dit à la Galigaï, «monseigneur» a enfermé tout le monde à l’office. Voyons un peu à nous reconnaître ici.

Il poussa la porte entrouverte et entra. Tout de suite, il vit le manteau et l’épée de Concini. Il sourit. Il vit la portière. Il la souleva. Une porte, la clé sur la serrure. Il ouvrit. Le battant donnait dans l’intérieur de la pièce qui suivait. Il eut un second sourire de satisfaction, jeta un coup d’œil circulaire dans cette seconde pièce, et, satisfait sans doute, il laissa tomber la portière en laissant la porte ouverte derrière. Il songea, avec un sourire railleur:

– La retraite est assurée. Allons écouter un peu ce que peut bien dire Concini à son prisonnier.

Il revint dans le couloir, se plaça contre la portière rabattue, écarta un petit coin et là, invisible, il put voir et entendre.

Concini était accroupi à terre, penché sur un trou, le dos tourné à la portière. Il croyait avoir bien pris ses précautions pour que nul ne vînt le surprendre. Il n’avait aucune inquiétude à ce sujet. Et sa conversation avec Jehan l’absorbait si complètement qu’il ne s’aperçut pas que Léonora venait de s’accroupir à côté de lui, si près qu’elle le touchait presque. Elle aussi, comme Concini, elle tournait le dos à la portière, et comme Concini encore, elle était bien tranquille et à mille lieues de soupçonner qu’un indiscret les épiait.

Pardaillan écouta donc. Lorsqu’il entendit Jehan raconter cette histoire d’audience royale et de compagnon prêt à révéler au roi le complot de Concini, il eut un demi-sourire et murmura.

– Pas mal imaginé. Ma foi, si le Concini le relâche, et c’est probable, je me serai donné bien du mal inutilement. Enfin, attendons, tout n’est pas dit encore.

Lorsqu’il vit Léonora intervenir, il comprit que les affaires de Jehan se gâtaient et il ne regretta plus la peine qu’il s’était donnée. Enfin, lorsqu’il entendit Concini dire qu’il se souciait fort peu des révélations dont on le menaçait, il se dit que le moment était venu de battre en retraite. Et il alla se poster derrière la tenture, tenant le battant de la porte d’une main, prêt à le pousser à la moindre alerte.

Là, il entendit à peu près toute la conversation des deux époux. Nous disons: à peu près. En effet, il y eut des moments où le geste remplaça la parole et d’autres où les mots furent prononcés à voix si basse que, malgré qu’il eût l’ouïe extrêmement fine, il ne parvint pas à les saisir.

Cependant, Concini se remettait un peu du coup que sa femme lui avait asséné avant de le quitter. Il repoussa la porte et d’un pas chancelant, il revint dans le cabinet, où il se laissa tomber dans un fauteuil en étouffant un sanglot.

Aussitôt, il bondit, effaré.

Pardaillan fermait la porte à double tour et mettait tranquillement la clé dans sa poche. Ceci fait, son sourire le plus gracieux aux lèvres, Pardaillan saluait avec une aisance un peu dédaigneuse.

La stupeur laissa Concini muet. Ses yeux effarés regardaient tour à tour cet intrus et faisaient le tour du cabinet, comme s’il eût cherché à se rendre compte par où il avait pénétré. Dans cette sorte d’inspection rapide, il vit son épée à côté de lui et il se rappela très bien ne pas l’avoir laissée là. Machinalement, ses yeux se portèrent sur la chaise où se trouvait encore son manteau.

Pardaillan vit cette pantomime et, avec un flegme déconcertant, il expliqua:

– C’est moi, monsieur, qui ai placé votre épée là, à seule fin de vous rassurer sur mes intentions.

Concini saisit l’épée et l’accrocha vivement au pendant d’épée. En même temps, il retrouva la parole. Il s’avança menaçant et gronda:

– Qui êtes-vous?… Que faites-vous ici?… Savez-vous que je pourrais vous tuer comme un chien?…

– Pour ce qui est de ceci, soyez assuré que je ne vous laisserai pas faire sans me défendre un peu… Et, soit dit sans me vanter, j’ai la main plutôt lourde. Ce que je fais ici, je vais vous l’expliquer dans un instant. Qui je suis: le compagnon de ce Jehan le Brave que vous voulez laisser mourir de faim et de soif… Vous savez, ce compagnon qui doit se rendre à certaine audience et raconter au roi comment vous avez voulu le faire assassiner rue de l’Arbre-Sec?

– Ah! rugit Concini avec une joie furieuse, c’est toi le compagnon?… Attends!…

Et portant son petit sifflet d’argent à ses lèvres, il fit entendre le signal qui appelait toute la valetaille à la rescousse, oubliant qu’il n’avait pas encore eu le temps de remplacer les trois bravi.

Pardaillan le laissa faire. Seulement, lui, sans hâte aucune, il s’en fut à la fenêtre et l’ouvrit d’un geste brusque, sans perdre de vue Concini. Et il appela:

– Gringaille!

– Monseigneur!

– Entrez ici et gardez-moi à l’office les domestiques de M. Concini. Gardez-les-moi de telle sorte que nul ne vienne me déranger.

En même temps qu’il parlait, Pardaillan jetait à travers les épais barreaux qui défendaient la fenêtre, la clé que la virago lui avait remise.

Pendant ce temps, les domestiques de Concini, trouvant la porte du cabinet fermée à clé, appelaient leur maître. Concini s’était rué sur la porte masquée par la tenture, pensant sortir par là. Et une énorme imprécation fusa de ses lèvres convulsées en constatant qu’elle était fermée.

Pardaillan referma la fenêtre et attendit très calme, ne paraissant pas s’occuper de Concini, mais en réalité ne perdant pas un de ses mouvements.

On entendit le bruit de la porte qui se refermait violemment, un bruit de lutte, des jurons, une galopade effrénée dans le couloir ponctuée de cris perçants poussés par des voix féminines, puis le silence le plus complet.

Concini, livide, hébété, se demandait s’il rêvait ou s’il ne devenait pas fou. Quoi? Il trouvait un étranger chez lui, cet étranger possédait une clé de son domicile et y faisait entrer des truands qui rossaient ses gens. Lui-même était enfermé à double tour, prisonnier chez lui de cet homme qu’il ne connaissait pas. On conviendra qu’il y avait, en effet, de quoi l’effarer.

À ce moment, on frappa à la porte du cabinet. Pardaillan, avec ce calme qui stupéfiait et exaspérait Concini, alla ouvrir. Escargasse et Gringaille firent deux pas et saluèrent militairement Pardaillan. Et ils virent Concini qui, acculé dans un angle de son cabinet, grinçait des dents.

Escargasse lui adressa un sourire amical, puis il lui dit bonjour par des petits mouvements de tête accompagnés de clins d’œil engageants et des petits gestes protecteurs de la main et enfin il lâcha:

– Eh vé! le signor Concini!… Et autrement, comment va depuis que nous vous avons laissé proprement ficelé?…

Gringaille le rappela à l’ordre d’un coup de coude à défoncer une côte et, voyant que Pardaillan ne se décidait pas à l’interroger, il prit sur lui de parler sans y être autorisé.

– Monseigneur, dit-il en s’inclinant respectueusement, c’est pour vous dire que les valets du signor Concini n’étant que deux, Carcagne suffit pour les garder avec les filles de chambre qui sont à moitié pâmées de terreur. Ce qui fait que nous venons prendre vos ordres.

Pardaillan approuva d’un léger signe de tête et avec douceur:

– Vous, mon brave (il s’adressait à Gringaille), poussez-moi les verrous de la porte extérieure, placez-vous devant et ne laissez entrer ou sortir personne. Vous (à Escargasse), allez trouver vôtre camarade et gardez les gens de monsieur. Que nul n’approche de ce cabinet. Attendez.

Et se tournant vers Concini, très poliment:

– Monsieur, dit-il, je ne veux pas vous laisser croire que ces braves sont ici pour vous menacer. J’aime assez faire mes affaires moi-même et je ne suis pas si vieux que j’aie besoin d’une aide quelconque, lorsque je n’ai qu’un homme devant moi. Je vous engage ma parole que quoi qu’il advienne, ces trois braves n’interviendront pas.

Et se tournant vers Gringaille et Escargasse:

– Vous avez compris? Quoi que vous entendiez, vous ne bougerez pas.

– Bien, monseigneur! dirent les deux braves en chœur.

– Maintenant, si les choses se passent comme je l’espère, monsieur et moi nous sortirons d’ici ensemble et d’accord, et tout cela sera pour le mieux. Sinon c’est que monsieur m’aura tué.

Gringaille et Escargasse montrèrent les crocs en roulant des yeux terribles. Pardaillan sourit et:

– Non, mes braves, dit-il. En ce cas, vous vous en irez sans toucher à monsieur. Vous m’entendez?… Sans le toucher et en le laissant absolument libre et maître chez lui. Jurez qu’il en sera ainsi.

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