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XXVIII

Concini, en reconduisant sa femme, avait laissé la porte du petit cabinet entrouverte. En effet, il avait déposé son manteau et son épée sur une chaise et il lui fallait nécessairement revenir les y prendre.

Dès qu’il fut hors de ce cabinet, où, sûr que nulle oreille indiscrète ne pouvait l’entendre, il venait de s’entretenir librement de choses terribles, un homme sortit de derrière une lourde portière de velours broché.

Avec un calme parfait, une aisance merveilleuse, comme s’il avait été chez lui, cet homme ferma à double tour la porte masquée par la portière et mit la clé dans sa poche.

Il jeta un coup d’œil sur la chaise qui supportait l’épée et le manteau du maître de la maison, il vit la porte entrebâillée et il murmura en souriant:

– Il va revenir ici. C’est parfait.

Il s’en fut jeter un coup d’œil par l’entrebâillement et vit Concini comme pétrifié, cramponné au battant de la porte extérieure. Et il s’en revint paisiblement au milieu du cabinet.

La porte s’ouvrait à l’intérieur. L’homme se plaça à côté, de façon à être masqué par le battant lorsque Concini reviendrait. Il s’aperçut alors que l’épée et le manteau se trouvaient à sa droite, masqués comme lui par le battant de la porte et que, par conséquent, il pouvait empêcher qu’on ne saisît l’arme.

Il eut une moue de répugnance et murmura:

– Je ne veux pas que ce sacripant me prenne pour un assassin comme lui.

Il s’empara de l’épée et la mit du côté opposé, sur un meuble, bien en évidence, de façon à ce qu’elle frappât l’œil de Concini, dès son entrée dans le cabinet. Et il revint se placer derrière le battant de la porte.

Cet homme qui agissait ainsi, avec une telle assurance, c’était le chevalier de Pardaillan. Comment se trouvait-il là? C’est ce qu’il nous faut expliquer. Et pour ce faire, il nous faut revenir aux trois compagnons de Jehan.

Carcagne, Escargasse et Gringaille, après avoir quitté leur chef devant la maison aux Taureaux, avaient poursuivi leur route dans la direction de Saint-Eustache.

Nous savons qu’ils avaient la bourse bien garnie, grâce à la libéralité de Concini. Riches, ils eurent faim et soif, deux besoins qu’ils étaient à même de satisfaire, malgré l’heure indue et les ordonnances de police.

En conséquence, au bout de la rue du Four, ils s’engagèrent dans la rue Coquillière, tournèrent à gauche, dans la rue de Grenelle, et vinrent aboutir rue Saint-Honoré, à côté de l’église. Il y avait là un pilori. Surmontant leur répugnance, ils passèrent vivement devant, et en quelques enjambées, ils gagnèrent la rue Champ-Fleuri, laquelle allait de la rue Saint-Honoré à la rue de Beauvais, derrière les jardins du Louvre.

La rue Champ-Fleuri était une rue hospitalière où tous leurs appétits eurent de quoi se satisfaire.

L’après-midi de ce même jour, ils se trouvèrent dans la rue, la bouche pâteuse, les jambes molles, délestés d’un nombre respectable de pistoles, mais contents d’eux.

Après le tour qu’ils lui avaient joué la veille, ils jugèrent prudent de ne pas se présenter chez Concini. Ils se doutaient bien de l’accueil qui leur serait fait. N’ayant plus de maître, plus d’occupation régulière, ils se trouvèrent quelque peu désemparés.

Ne sachant que faire de leur corps, ils vinrent échouer dans un cabaret de la rue Tirechappe, laquelle était parallèle à la rue de l’Arbre-Sec. L’instinct les ramenait près du logis de leur chef, Jehan.

Naturellement, ce fut de lui qu’ils parlèrent. Et de la donzelle – comme ils disaient – qui était fille du roi. Et de ce digne gentilhomme (Pardaillan) qu’ils étaient allés réveiller au milieu de la nuit. Ils retracèrent en un mot toutes les péripéties de cette nuit qui avait été si bien remplie.

– En attendant, fit remarquer Carcagne qui était pratique, nous voici sans emploi. Il va nous falloir assurer notre pitance au petit bonheur. Je prévois que les beaux jours sont passés.

– Bah! et notre Jehan, est-ce qu’il n’est pas là pour un coup?

– Vé, il épousera sa donzelle, qui doit être riche comme… une fille de roi, outre! Et il nous prendra à son service.

Cette perspective calma les perspectives de Carcagne.

– Je pense, dit soudain Gringaille en éclatant de rire, je pense à la tête du Concini lorsque messire Jehan est revenu le détacher.

Tu crois donc qu’il est retourné là-bas?

– Alors, Carcagne, tu te figures que Jehan n’avait pas à s’expliquer un peu avec le Concini?

– Ce pauvre Carcagne, fit Escargasse d’un air apitoyé, il est presque aussi simple que Parfait Goulard!

– Est-ce que je sais moi? bougonna Carcagne, vexé d’être comparé à frère Parfait Goulard, dont la bêtise et l’ignorance étaient proverbiales, comme on sait.

– Tu peux être sûr, reprit sérieusement Gringaille, que Jehan est retourné là-bas, dès qu’il est sorti de la maison des Taureaux, et que, par un de ces coups droits foudroyants dont il a le secret, il a démontré péremptoirement au Concini qu’il avait eu grand tort de toucher à sa donzelle.

– En sorte que, appuya Escargasse, le Concini doit être, à l’heure actuelle, bellement trépassé pour avoir avalé quelques pouces d’acier. Ce qui est un aliment difficile à digérer.

– Que Satan ait son âme! dit Gringaille avec onction. Et les deux autres, non moins pénétrés:

– Amen!

Et ils éclatèrent de rire.

Ils s’en furent au hasard, le nez au vent. Ils n’avaient pas fait cinquante pas qu’ils aperçurent qui? Celui dont ils venaient de prononcer l’oraison funèbre, Concini, en chair et en os, bien portant, toujours fringant et galant cavalier. Ils eurent juste le temps de se dissimuler. Concini passa sans les voir.

Ils se regardèrent sans mot dire. Ils étaient un peu pâles et la même pensée se lisait dans leurs yeux. Gringaille assujettit son ceinturon dans un geste qui présageait la bataille et dit simplement:

– Allons!

Il n’eut pas besoin de donner de plus amples explications. Ils avaient compris. Moins d’une minute plus tard, ils étaient devant le logis de Jehan.

Gringaille, seul, grimpa les escaliers quatre à quatre.

Il redescendit presque aussitôt, la mine déconfite.

– Eh bien? firent anxieusement les deux autres ensemble.

– La porte n’était pas fermée à clé, le lit pas défait. Donc, il n’est pas rentré chez lui.

Ils se regardèrent consternés. Gringaille réfléchissait en tortillant son nez.

– Peut-être n’est-il pas allé rue des Rats, insinua Carcagne.

– Le Concini se serait donc détaché tout seul! fit Gringaille en haussant les épaules.

– Pas moins, le Concini n’est pas de force à se mesurer avec notre Jehan, dit Escargasse. Et pourtant nous venons de le voir passer.

– Je n’admettrai pas que Concini ait touché Jehan, dit gravement Carcagne. Messire Jehan n’en ferait qu’une bouchée, du Concini.

– Vous êtes deux imbéciles! formula Gringaille sans ménagement, mais avec énergie. Ne comprenez-vous pas, bélîtres! ânes bâtés! que si le Concini est vivant et libre, c’est qu’il a pris notre Jehan par quelque coup de traîtrise? La maison, comme le maître, ne me dit rien qui vaille.

Il y eut comme une sorte de conseil de guerre, bref. En suite de quoi ils allèrent se poster devant la maison de la rue des Rats. Ils y restèrent le reste du jour sans réussir à pénétrer dans la place. La nuit vint. Ils connaissaient la maison. Ils savaient par conséquent qu’il n’y avait pas à espérer de l’escalader. Mais ils se disaient que si Jehan n’était pas mort déjà, Concini viendrait certainement pour s’en débarrasser à la douce. Et ils voulaient être là. Ils ne savaient pas au juste ce qu’ils voulaient faire. Leur idée fixe était d’entrer dans la maison.

Ils passèrent la nuit devant la maison, se relayant à tour de rôle, et pendant que l’un d’eux veillait, les deux autres dormaient enroulés dans leurs manteaux. Une nuit passée à la belle étoile n’était pas pour les gêner, heureusement. Ils étaient habitués à la dure et par chance le temps était beau.

Le lendemain matin, Gringaille qui avait pris la direction de l’affaire, envoya, avec des instructions précises, Escargasse devant le logis de la rue Saint-Honoré et Carcagne sur le Pont-Neuf. Lui-même, il resta rue des Rats.

Et les heures s’écoulèrent, lentes et énervantes, sans lasser leur patience.

Tout à coup, Gringaille se frappa le front avec colère et il s’invectiva violemment et copieusement:

– Ah! cuistre! bélître! triple brute! que la fièvre maligne me mange! Que la quartaine m’étrangle!… Comment n’ai-je pas pensé à cela plus tôt?

Et il s’élança comme une flèche, courut tout d’une traite jusqu’à l’hôtellerie du Grand-Passe-Partout rue Saint-Denis. Il allait tout bonnement chercher Pardaillan, dont il ne savait même pas le nom. Jehan, dans l’embarras, s’était adressé à lui, et il s’était empressé de lui rendre service. Pour avoir tant de complaisance, il fallait qu’il fût un ami dévoué. En conséquence, Gringaille, se trouvant à son tour dans l’embarras, trouvait très naturel de s’adresser à l’ami de son chef.

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