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VI

Il avait eu soin d’élever la voix de manière que Pardaillan entendit les excuses détournées qu’il lui adressait.

– Au fait, murmura Praslin, ils sont deux!…

Il se tourna alors vers Pardaillan et se découvrant dans un geste galant:

– Veuillez m’excuser, monsieur de Pardaillan, mes paroles sont le fait d’un malentendu qui ne se fût pas produit si j’avais pu voir à qui j’avais l’honneur de parler.

– Monsieur de Praslin, fit Pardaillan en rendant courtoisement le salut, je l’ai bien compris ainsi et c’est à moi de m’excuser de la vivacité de ma réplique.

Et cérémonieusement, comme s’ils avaient été dans les antichambres du Louvre, les deux hommes se saluèrent pour marquer que l’incident était clos.

– Monsieur, dit alors Praslin, c’est à votre compagnon que j’en ai. Jehan le Brave allait répondre. Pardaillan lui coupa vivement la parole. En même temps un léger coup de coude lui disait: «Laissez-moi faire!»

– Que lui voulez-vous donc, à mon compagnon?

– Le prier de me suivre. Tout simplement.

– Impossible, monsieur, dit froidement Pardaillan.

– Ah!… Pourquoi?…

– Parce que mon compagnon et moi nous attendons ici Sa Majesté… Service commandé, monsieur de Praslin. Vous qui êtes capitaine, vous devez connaître mieux que quiconque la valeur de ces mots.

– Diantre! Je crois bien! fit Praslin abasourdi. Et puis-je sans indiscrétion, savoir pourquoi vous attendez le roi?

– Pour l’escorter jusqu’au Louvre.

Pardaillan parlait avec une imperturbable assurance. Le connaissant de réputation, Praslin n’avait aucune raison de douter de sa parole. Et au bout du compte, on remarquera que Pardaillan disait la vérité. Au fur et à mesure que se déroulait le dialogue que nous venons de transcrire, le capitaine perdait de son assurance et sa mauvaise humeur contre La Varenne allait en grandissant. Celui-ci le sentait. En outre, il comprenait que sa proie allait lui échapper. Son instinct malfaisant l’avertissait de quelque chose de louche que la présence du roi éclaircirait. Arrêter Pardaillan? Il n’y pensait pas, et d’ailleurs il comprenait que Praslin refuserait d’agir contre un homme qui avait l’estime et la confiance du roi. Gagner du temps, amener Praslin et ses hommes à attendre la sortie du roi, voilà ce qu’il décida. Et prenant le capitaine à part:

– Faites attention, monsieur, lui dit-il à voix basse. Je ne suspecte pas M. de Pardaillan, qui est des amis à Sa Majesté, bien qu’on ne le voie jamais à la cour; mais je vous donne ma parole que l’homme qui l’accompagne est bien celui qui a osé menacer le roi, celui qui m’a traîtreusement frappé et mis dans l’état que vous voyez. J’ajoute que cet homme me connaissait, puisqu’il m’a appelé par mon nom, en m’injuriant grossièrement. J’en conclus qu’il a reconnu mon compagnon et que c’est bien sciemment et méchamment qu’il a menacé le roi. Voyez quelle est votre responsabilité… Quant à moi, j’ai fait ce que mon devoir me commandait de faire. Quoi qu’il arrive, je suis couvert aux yeux de Sa Majesté.

– Diable! diable! murmura Praslin perplexe. Que faire? Et en lui-même il ajoutait:

«La peste soit du ruffian qui m’a fourvoyé dans cette sotte aventure.»

– Il faut, dit vivement La Varenne, répondant à la question machinale du capitaine, il faut rester ici jusqu’à ce que le roi sorte.

– Cela est bel et bien, fit Praslin qui réfléchissait, mais j’ai entendu des personnages qui s’y connaissent un peu en loyauté et en bravoure, comme M. de Crillon, comme M. de Sully, comme M. de Sancy, sans compter le roi lui-même, j’ai entendu proclamer que le chevalier de Pardaillan était la loyauté et la bravoure mêmes. Je n’ai pas envie de me faire un ennemi de ce galant homme en lui faisant injure de le garder à vue comme un larron.

– Qu’à cela ne tienne. Retirez-vous ostensiblement. Seulement embusquez vos hommes dans le cul-de-sac Courbâton. De là, vous surveillerez la rue et pourrez intervenir s’il y a lieu.

Praslin lui jeta un coup d’œil de travers et, haussant les épaules, il s’approcha de Pardaillan.

– Monsieur de Pardaillan, dit-il, me donnez-vous votre parole que vous êtes ici sur l’ordre du roi et pour l’escorter?

– Monsieur de Praslin, fit Pardaillan avec hauteur, puisque vous me connaissez, vous devez savoir que jamais je ne m’abaisse à mentir. J’ai eu l’honneur de vous dire que monsieur et moi attendons Sa Majesté pour l’escorter. Jusqu’au Louvre… Cela doit vous suffire, je pense.

– Il suffit, en effet, monsieur, dit Praslin en s’inclinant, je vous cède la place et vous exprime tous mes regrets du rôle ridicule qu’on vient de me faire jouer.

Et furieux, grommelant force injures à l’adresse de La Varenne, il se tourna vers ses hommes et commanda:

– En route pour le Louvre!… que nous aurions bien dû ne pas quitter.

À ce moment, venant de la rue Saint-Honoré, une troupe qui devait être nombreuse, à en juger par le bruit cadencé des pas, débouchait de la rue de l’Arbre-Sec. En même temps une autre troupe, précédée d’un homme à cheval, apparaissait dans le bas de la rue. Les deux troupes marchaient à la rencontre l’une de l’autre, en sorte que le groupe compact qui stationnait devant la maison de Bertille se trouvait pris entre ces deux forces, et que de Praslin et ses gardes, en se retirant, devaient forcément se heurter à la troupe guidée par le cavalier.

Pardaillan et Jehan le Brave avaient tout de suite aperçu les deux troupes. Ils se regardèrent une seconde. Ils souriaient tous les deux. Mais ce sourire devait être terrible, car ils s’admirèrent tous les deux intérieurement, un inappréciable instant. Et, d’un même mouvement, sans s’être concertés, mus par la même pensée, sans hâte, ils franchirent les trois marches et se postèrent sur le perron.

– Toutes les troupes de la garnison se sont donc donné rendez-vous ici? remarqua Jehan avec un rire silencieux.

Pardaillan ne dit rien. Il paraissait réfléchir profondément et en réfléchissant, il laissait tomber sur le jeune homme, dont le visage étincelant semblait appeler la bataille, un regard chargé de compassion.

La Varenne, qui écumait de rage en voyant que Praslin, s’en rapportant à l’affirmation de Pardaillan, allait se retirer, La Varenne avait remarqué, lui aussi, la venue de ces deux troupes. Évidemment, ce ne pouvait être que des archers. Aussitôt, il résolut d’utiliser ces auxiliaires que le hasard semblait lui envoyer à point nommé. Dans cette intention, il se porta vivement au-devant du cavalier.

– Halte!… On ne passe pas! lança une voix brève.

Docilement, La Varenne obéit à l’ordre. Mais il venait de reconnaître la voix, et débordant de joie haineuse, il rugit en lui-même:

– Le grand prévôt!… C’est le ciel qui me l’envoie!

Et à haute voix:

– Est-ce vous, monsieur de Neuvy?

Avant que de répondre, le cavalier lança un ordre à voix basse, et aussitôt des torches furent allumées. Immédiatement, la troupe qui venait en sens inverse en fit autant. Et la rue se trouva éclairée par la lueur rougeâtre et fumeuse d’une demi-douzaine de torches que brandissaient des archers.

La Varenne put constater avec une intense satisfaction qu’il se trouvait bien en présence de messire de Bellangreville, seigneur de Neuvy, prévôt de l’hôtel du roi, grand prévôt de ferme, conduisant en personne un gros d’archers.

Le grand prévôt, de son côté, reconnut le confident du roi et, d’une voix étranglée par l’émotion:

– Le roi? cria-t-il.

La Varenne comprit:

– Sain et sauf! Dieu merci! dit-il vivement.

– Jour de Dieu! gronda Neuvy qui était livide, j’ai cru que j’arrivais trop tard!

Il aperçut alors le capitaine de Praslin et ses gardes:

– Ah! vous étiez là, monsieur de Praslin?… Il paraît que Sa Majesté avait été prévenue aussi… et c’est fort heureux, puisque malgré la plus grande diligence, j’arrive après la bataille.

Ses yeux se portèrent sur les deux statues sombres placées sur le perron.!

– Ah! ah! fit-il en souriant, ce sont les assassins?… Je vais vous décharger de vos prisonniers, monsieur de Praslin, d’autant que, soit dit sans reproche, vous les gardez bien mal… Jour de Dieu! ces sacripants devraient être au milieu de vos hommes et convenablement ficelés par de bonnes et solides cordes.

Le grand prévôt paraissait fort se réjouir de la maladresse de ce capitaine des gardes qui gardait si mal des prisonniers de cette importance.

Le capitaine, lui, ne comprenait rien aux paroles de Neuvy. En revanche, il comprenait très bien que quelque grave événement avait dû se produire, puisque le grand prévôt se donnait la peine de diriger lui-même une expédition. Et il se sentait pâlir à la pensée qu’il pouvait être rendu responsable.

– Voyons, voyons, fit de Praslin, de quelle bataille, de quels assassins, de quels prisonniers parlez-vous?

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