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– Mais, fit Neuvy interloqué, je parle des assassins du roi… ces deux scélérats que vous gardez si mal.

– On devait donc meurtrir le roi?

– Ne le saviez-vous pas?

– Je ne sais rien, cornes du diable!… Ceux-ci ne sont pas mes prisonniers et je ne les garde pas, ni bien ni mal… Quant à être des assassins, franchement ils n’en ont pas la figure.

Il y eut une explication.

Dans la soirée, vers neuf heures, on était venu aviser le grand prévôt qu’un spadassin, chef d’une bande de malandrins, avait résolu d’attenter à la vie du roi. Ce truand, ce chevalier de proie [5] , était un jeune homme qui se faisait appeler Jehan le Brave, que des rapports avaient déjà signalé à l’attention du grand prévôt. Le coup devait être fait à onze heures du soir, au moment où le roi se rendrait, accompagné seulement d’un ou deux intimes, chez une dame qui habitait rue de l’Arbre-Sec. Le grand prévôt s’était mis aussitôt à la tête d’une cinquantaine d’archers et il était parti sans perdre une minute. Mais de la rue Saint-Antoine, où se trouvait son hôtel, à, la rue de l’Arbre-Sec, la route était encore assez longue. Malgré tout, cependant, il arrivait une bonne demi-heure avant l’heure indiquée.

Ceci était l’explication de Neuvy.

La Varenne, qui triomphait, expliqua comme quoi le roi, dans son impatience, avait devancé l’heure fixée et était parti à neuf heures au lieu de onze. Il raconta l’agression de Jehan le Brave en l’amplifiant et en l’arrangeant à sa manière, bien entendu. Et comme preuve palpable et flagrante, il montra complaisamment son visage contusionné et son œil tuméfié.

Praslin raconta ce qui s’était passé entre Pardaillan et lui.

Ces explications étaient échangées à voix basse. Mais Pardaillan et Jehan le Brave avaient l’oreille fine. Ils purent saisir à peu près tout ce qui les concernait.

Pardaillan avait fixé son œil perçant sur son compagnon et il songeait:

– Ce jeune homme serait donc un redoutable chef de truands?… C’est possible après tout. Il faut bien vivre… Et bien des grands seigneurs, à commencer par cet illustre cuisinier créé marquis de La Varenne, en continuant par cet honnête grand prévôt qui s’indigne si fort, en montant ainsi jusqu’au roi, tous – ou presque tous – ne vivent que de pillage et de rapine… Mais je crois que le sire de Neuvy exagère quelque peu… ou qu’il est mal informé. Il n’est pas besoin d’être grand physionomiste pour deviner qu’avec cette physionomie si fine, si étincelante, ces yeux si clairs, si loyaux, on ne peut pas être le lâche criminel dont parlent ces gens. Quant au prétendu attentat, je sais mieux que personne en quoi il consiste, puisque j’ai assisté à toute l’algarade. L’attentat – puisque attentat il y a – se réduit à avoir croisé le fer contre le roi… Je sais bien qu’on qualifie cela de crime de lèse-majesté!… Qu’est-ce que cela peut bien signifier, ce mot: lèse-majesté?… Et pourquoi majesté?…

«Ce jeune homme a défendu celle qu’il aime sans s’inquiéter de savoir si le larron d’honneur portait une couronne. Il me semble qu’il n’a fait que suivre la loi de la nature. Ainsi le père, l’époux, le frère, le fiancé qui livre sa fille, sa femme, sa sœur, sa fiancée à une Majesté sera couvert de titres, de richesses et, qui mieux est, sera honoré de tous, tandis que celui qui se refusera à cette honteuse complaisance sera honni, vilipendé, déchiré, meurtri!… Est-ce là la vraie justice?… Moi aussi, il y a bien longtemps, hélas! j’ai aimé une jeune fille, belle, pure, innocente, adorable, en tous points semblable à la jeune fille que ce jeune homme adore. Et je me souviens comme j’ai dû la défendre contre ces bêtes féroces titrées, maréchaux, ducs, princes et rois… Moi aussi, j’ai été couvert d’ignominie, pourchassé, traqué comme une bête malfaisante… Et si je ne suis pas mort cent fois déjà, c’est que, Dieu merci, j’avais, j’ai encore des griffes et des crocs de force à tenir tête à la meute enragée. Et pour défendre ma carcasse de pauvre hère hors la loi, j’ai dû en découdre plus d’un, et la meute était composée de princes, de ducs, de rois, de grands inquisiteurs, de papes… voire même de papesse!… et c’est, paraît-il, l’aberration, l’abomination, la désolation, la damnation, la fin des fins de tout ce qui est respectable et sacré!…»

Jehan le Brave de son côté se disait:

«Le grand prévôt a été avisé que je tuerais le roi, ce soir, à onze heures!… Et c’est moi qu’on a désigné, nommé par mon nom!… Qui pouvait savoir?… Quand je me suis posté, sur le perron, j’ignorais à qui j’aurais affaire… Celui qui m’a dénoncé le savait, lui!… J’ai donc dans l’ombre un ennemi acharné à ma perte?… Qui?… Qui?… Cherchons!… Nul au monde ne savait que je viendrais veiller ici, résolu à tuer quiconque essayerait d’entrer dans le logis par force ou par ruse… Nul, hormis la signora Léonora Galigaï!… Or, c’est la Galigaï qui m’a averti qu’un larron chercherait à s’introduire ce soir chez celle que j’aime… La Galigaï!… Elle savait donc, elle, que ce larron c’était le roi?… Et c’est elle qui aurait fait avertir le grand prévôt!… Pourquoi?… Le grand prévôt serait arrivé trop tard pour sauver le roi… oui, mais tudiable: il ne serait pas arrivé trop tard pour m’arrêter, moi!… Oh! je devine!… J’entrevois un abîme d’infamies! Ces machinations ténébreuses sont-elles possibles?… Mais non, j’ai la fièvre, je suis fou!… Et pourtant!… Oh! je saurai!… et alors, malheur à toi, Léonora! malheur à toi, Concini! si je ne me suis pas trompé!»

Pendant que Pardaillan et Jehan le Brave songeaient de la sorte, ce qui, d’ailleurs, ne les empêchait pas d’avoir l’œil au guet, le grand prévôt, Praslin et La Varenne, après s’être expliqués, tenaient une sorte de conseil.

– Que comptez-vous faire? demanda le capitaine, au fond enchanté d’être déchargé d’une opération scabreuse.

– Je vais arrêter ces deux hommes, dit le grand prévôt sans hésiter.

– À votre aise, fit Praslin. C’est une opération de police qui rentre dans vos attributions. Je n’ai donc pas à m’en mêler. Cependant, comme il paraît avéré que Sa Majesté est dans cette maison, comme il faudra bien qu’elle sorte tôt ou tard, enfin comme cette aventure ne me paraît pas très claire, je ne me retire pas. Je me mets à l’écart et j’attends le roi pour l’escorter ou le défendre s’il y a lieu… Ceci rentre dans mes attributions à moi.

Ayant dit, le capitaine rangea sa troupe, bien décidé à demeurer spectateur neutre de ce qui allait se passer.

Neuvy mit pied à terre aussitôt. Il s’avança jusqu’au bas du perron et, comme si Jehan le Brave n’eût pas existé pour lui, s’adressant à Pardaillan, qu’il salua très courtoisement, il dit, très poliment:

– Monsieur de Pardaillan, je me vois forcé, à mon très grand regret, de vous prier de me rendre votre épée… Ce n’est là, vous le comprenez bien, qu’une simple mesure de précaution toute provisoire.

– Monsieur de Neuvy, dit Pardaillan aussi poliment, j’ai le très grand regret de ne pouvoir accéder à votre demande.

– Vous refusez d’obéir, Monsieur? fit Neuvy, stupéfait.

– Vous m’en voyez navré, désespéré!…, Mais vous comprenez, simple mesure de précaution.

Le grand prévôt s’était efforcé de ménager un personnage qui passait pour être en grande estime auprès du roi. Malgré que le ton narquois de ses réponses commençât de lui échauffer les oreilles, il eut la force de se contenir. Il fit une dernière tentative, et sur un ton plus froid:

– Oui ou non, êtes-vous fidèle et obéissant sujet de Sa Majesté? fit-il.

– Cela dépend des moments, dit Pardaillan de son air le plus naïf. Brusquement, Neuvy changea d’attitude. Sa physionomie se fit rude et menaçante:

– Vos épées! dit-il impérieux.

– Venez les prendre! tonna Jehan le Brave exaspéré par l’attitude dédaigneuse que le grand prévôt affectait à son égard.

Neuvy mit le pied sur la première marche. Il était très froid, parfaitement maître de lui. Il était d’ailleurs bien persuadé qu’il n’aurait qu’à étendre le bras pour appréhender les deux rebelles. L’attitude de ces deux hommes lui apparaissait comme une bravade inutile, toute en paroles vaines. Quant à croire qu’ils seraient assez fous pour entrer en lutte, à eux deux, contre cinquante archers, il n’y pensa pas un instant. Pas davantage la pensée qu’il pouvait être menacé ne l’effleura. Il se sentait sous l’égide puissante de ses redoutables fonctions.

Neuvy mit donc le pied sur la première marche. Mais il n’alla pas plus loin. Il sentit la pointe d’une épée s’appuyer sur sa gorge et en même temps la voix de Jehan le Brave, effrayante à force de calme, prononça:

– Un pas de plus, monsieur, et vous êtes mort! L’étonnement et non la crainte, arrêta net l’élan du grand prévôt.

Il se remit très vite, et comme il était brave, il voulut passer outre. Il sentit la pointe pénétrer dans sa chair pendant que la même voix tranchante ordonnait impérieusement:

– Reculez, monsieur, reculez! ou, par le Christ, je vous tue!… Cette fois, le grand prévôt comprit que c’était sérieux. Il recula. Avec un calme admirable, il secoua d’une chiquenaude quelques gouttes de sang qui perlaient sur son pourpoint, et de sa voix rude:

[5] On nommait ainsi les nobles qui vivaient du vol à main armée. On raconte que Sancy, qui fut ministre, chargé par Henri IV de lever des troupes en Suisse et n’ayant pas d’argent pour les payer, alla se poster sur le chemin d’une troupe de voyageurs qu’on lui avait signalés comme portant des sommes considérables. Sancy les dépouilla complètement, et avec cet argent, put payer ses troupes. Il est vrai que c’était pour le roi!… (Note de M. Zévaco.)


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