Le but visé par Fausta et d’Espinosa était atteint. Pardaillan n’était plus.
C’était un pauvre fou qui, maintenant, hagard, échevelé, écumant, hurlait son désespoir et sa terreur. Et ce fou, d’une voix qui s’efforçait de couvrir le tonitruant roulement de la machine à hacher, criait de toutes ses forces, déjà épuisées:
– Arrêtez!… Arrêtez!… Je ne veux pas mourir!… je ne veux pas!…
Mais on ne l’entendait pas sans doute. Ou peut-être l’implacable volonté de l’inquisiteur avait-elle décidé de pousser l’expérience jusqu’au bout.
Car le plancher continuait de s’abaisser avec une régularité désespérante. Maintenant, ce n’étaient plus cinq losanges, mais dix qui fonctionnaient simultanément, avec la même rapidité, avec le même roulement formidable qui remplissait le cachot de son bruit de tonnerre.
L’instinct de la conservation, si puissant, à défaut du raisonnement, à jamais aboli, peut-être, fit que Pardaillan découvrit l’unique chance qui lui restait de sauver cette vie à laquelle il tenait tant maintenant. Voici quelle était cette chance:
Ce plancher mobile était maintenu d’un côté par des charnières puissantes. Ces charnières n’étaient pas placées contre le mur qui soutenait le plancher. Elles étaient sous le plancher même. C’est-à-dire que, du côté opposé à la pente, on avait posé une forte traverse de métal.
C’est sur cette traverse qu’étaient vissées les charnières. Si cette traverse avait eu quelques centimètres de plus dans sa largeur, Pardaillan eût pu à la rigueur se poser là-dessus et attendre aussi longtemps que ses forces le lui eussent permis. Malheureusement, la traverse était trop étroite. Mais s’il n’était pas possible de se poser là-dessus, on pouvait du moins s’y accrocher et s’y maintenir en se couchant à plat ventre, suspendu par le bout des doigts. Le fou – nous ne voyons pas d’autre nom à lui donner – avait vu cela.
C’était, tout bonnement, une manière de prolonger son supplice de quelques secondes. Il était évident qu’il ne pourrait se maintenir longtemps dans cette position et même, en admettant que le mouvement de descente s’arrêtât, la pente était déjà assez raide pour rendre la chute inévitable.
Le fou ne raisonna pas tant. Il vit là une chance de prolonger son agonie et désespérément, il s’accrocha à ce rebord sauveur. Il y gagna du moins qu’il ne vit plus les épouvantables hachoirs qui avaient le don de l’affoler.
Le plancher continuait sa descente. Bientôt, l’extrémité descendante irait s’appuyer sur le sol de la pièce qui devait être au-dessous… en admettant qu’il y eût une pièce au-dessous. Sinon la pente se changerait insensiblement en ligne verticale et alors ce serait la chute dans quelque mystérieux abîme.
Maintenant, la cloison était tapissée du haut en bas et dans toute sa largeur de faux qui continuaient immuablement leur mouvement de hachoir et semblaient appeler la proie convoitée.
Pardaillan, suspendu dans le vide, sentait ses forces l’abandonner de plus en plus; ses doigts, gonflés par l’effort, s’engourdissaient; la tête lui tournait et, malgré son état, il comprenait que bientôt, dans un instant, il lâcherait prise, et ce serait fini: il roulerait là-bas se faire hacher par la hideuse machine, qui semblait l’appeler de son ronronnement formidable.
Il râlait, et cependant son désir de vivre était si prodigieusement tenace qu’il trouvait encore, et malgré tout, la force de crier presque sans discontinuer:
– Arrêtez! Arrêtez!…
Bientôt, il fut à bout de force. Sa main gauche glissa, lâcha prise. Il se maintint un instant de sa seule main droite. Les doigts de cette main, à leur tour, le trahirent un à un. Deux doigts seuls restèrent désespérément incrustés dans le métal et supportèrent le poids de son corps un inappréciable instant.
Alors, il ferma les yeux, un soupir atroce gonfla sa poitrine, un cri terrible, un cri de bête qu’on égorge jaillit de ses lèvres tuméfiées, et il roula, roula là-bas sur les hachoirs qui le saisirent.