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Durant quelques heures, il resta sans bouger dans son fauteuil. Il paraissait assoupi mais il ne dormait pas. Suivant son expression, il attendait et en même temps, il réfléchissait. Au bout de ce temps, il se leva et se mit à se promener lentement, un sourire aux lèvres.

– Je commence à croire que, décidément, il n’y avait pas le moindre poison dans les aliments que j’ai absorbés. D’Espinosa aurait-il changé d’idée, comme je le prévoyais… ou tout ceci ne serait-il qu’une comédie admirablement machinée et dont j’ai été sottement dupe?… Peut-être! Attendons encore. Voici que l’heure de la collation est passée et je n’ai pas encore aperçu mes dignes gardiens.

En effet, les moines ne reparurent pas, ni à l’heure du dîner, ni à l’heure du souper non plus. Pardaillan avait trop copieusement déjeuné, à une heure trop tardive, pour avoir faim. Mais il suivait une idée qu’il avait résolu d’élucider. Il se dirigea donc vers le judas et appela comme il avait fait la veille. Cette fois, ce fut le frère Zacarias qui lui répondit.

– Eh! mon digne révérend, fit-il de son air figue et raisin, l’heure du dîner est passée, celle du souper aussi… on ne me sert donc plus de ces magnifiques festins?… Mordieu! je commençais à y prendre goût, moi.

– Finis, les mirifiques festins, mon frère, fit le moine d’une voix pâteuse et infiniment triste. Finis… hélas!

– Ah! ah! fit Pardaillan, dont l’œil pétilla. Mais dites-moi, pourquoi cet «hélas!» Vous vous intéressez donc à moi?

Avec une franchise qui eût été du cynisme si elle n’eût été de l’inconscience, le moine répondit:

– Non, mon frère. Seulement, il paraît que vous avez commis je ne sais quelle faute, en punition de laquelle nos supérieurs ont décidé de vous priver de nourriture pendant quelque temps. Et comme frère Bautista et moi avions droit aux restes de ces mirifiques repas, que nous regrettons plus que vous, croyez-le, il se trouve que la punition dont vous êtes frappé nous atteint autant, si ce n’est plus, que vous.

– Je comprends, fit Pardaillan avec un air de compassion. En sorte que vous vous êtes régalés des reliefs de mon succulent déjeuner?

– Sans doute!… Et il était même si succulent que notre regret de voir supprimer ces merveilles n’en est que plus cuisant… Ah! mon frère, pourquoi vous êtes-vous obstiné si longtemps à refuser tout ce que nous vous offrions! Ah! nous pouvons dire que nous n’avons pas eu de chance avec vous. Tant de si bonnes choses perdues, pour nous, et dont se régalaient nos vénérables frères.

– Pourquoi vos frères et pas vous? Ceci ne me paraît pas juste, dit Pardaillan, qui paraissait s’apitoyer fort sur le sort du moine.

– Mgr d’Espinosa tenait essentiellement à ce que vous fussiez traité magnifiquement et que vous fissiez honneur aux repas confectionnés à votre intention. Pour nous punir de vos refus obstinés, dont nous étions tenus pour responsables, on nous privait de ces merveilles culinaires, qui nous fussent revenues de droit, si vous aviez consenti à en goûter tant soit peu. Et pour rendre la punition plus sensible, on les distribuait aux autres.

– C’est donc cela que vous mettiez tant d’insistance à me faire goûter à ces mets?

– Dame!… puisque les restes devaient nous revenir!

– Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit? Je ne suis pas mauvais diable. Si vous m’aviez averti, je me fusse laissé faire, uniquement pour vous être agréable.

– Hélas! on l’avait prévu. Aussi nous avait-on formellement interdit de vous prévenir.

– Pourquoi avez-vous refusé de goûter à ces mets avant moi, ainsi que je vous l’ai offert à différentes reprises?… C’eût été autant d’attrapé.

– Ceci surtout nous était défendu, par-dessus tout. Nous n’aurions eu garde de nous laisser tenter, puisque, ce faisant, nous eussions été privés du reste… sans compter le châtiment sévère qui nous était promis.

– Ah! vous m’en direz tant! fit Pardaillan qui, ayant tiré du moine ce qu’il en voulait, le quitta sans façon.

Quand il vit que le judas s’était refermé, il éclata d’un rire silencieux et murmura:

– Bien joué, ma foi! Je me suis laissé berner comme un sot!… Le souvenir du séjour que je fis dans certain caveau des «morts-vivants» et des péripéties qui le précédèrent et le suivirent aurait dû cependant me mettre en garde contre les procédés de M. d’Espinosa. La leçon ne sera pas perdue.

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