– Va donc, Luis, et que Dieu te garde!
Il se sentit doucement ému. Luis, c’était son prénom. Très rarement – autant dire jamais – elle ne l’avait appelé par son petit nom. Et quelle inflexion, douce comme une caresse, elle avait mise dans ce mot! C’était tout son cœur qu’elle avait mis là, la pauvre petite Juana.
Vaguement, un inappréciable instant, il eut l’intuition que tous deux ils faisaient fausse route. Un mot, un seul, dit en ce moment, pouvait dissiper le malentendu qui les séparait. Il eut peur de se tromper, il eut peur de la froisser, il eut peur surtout de paraître abuser de son désarroi et de ce que les événements lui donnaient une certaine importance pour lui manquer de respect. Il se raidit donc et surmonta encore une fois cette dernière tentation.
Elle, cependant, le dévisageait de son œil limpide, et toute son attitude était un cantique d’amour. Il ne vit rien. Il ne comprit rien. Comme il avait déjà fait, il s’inclina devant elle et dit en insistant sur les mots:
– Au revoir, Juana!
Et comme il ébauchait un mouvement de retraite:
– Tu ne m’embrasses pas avant de partir?
Le cri lui avait échappé. Ç’avait été plus fort qu’elle. Et elle lui tendait les mains en disant ces mots.
Cette fois-ci, il n’y avait plus à douter ni à reculer.
Le Chico se courba lentement, effleura le bout des doigts qu’elle lui tendait et s’enfuit précipitamment.
Un long moment elle resta debout, regardant fixement la porte par où il venait de sortir. Et elle songeait:
«Il m’a à peine effleuré du bout des lèvres. Autrefois il se fût prosterné, eût couvert mes pieds, le bas de ma basquine et mes mains de baisers fous. Aujourd’hui, il s’est incliné comme un galant qui sait les usages fleuris. Il ne m’aime pas… il ne m’aimera jamais, alors.»
Elle se laissa tomber dans son fauteuil, mit sa tête dans ses deux mains et se mit à pleurer doucement, longuement, secouée de petits sanglots convulsifs, comme un tout petit à qui on vient de faire une grosse peine.