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Fausta se taisait toujours.

Dans son attitude rien de provoquant, rien du triomphe insolent qu’il s’attendait à trouver en elle. Autant il était hérissé et provocant, autant elle paraissait simple et douce. On eût dit qu’il était, lui, le vainqueur arrogant; elle, la vaincue désemparée et humiliée.

Dans ses yeux, qu’il s’attendait à voir brillants d’une joie insultante, Pardaillan déconcerté ne lut qu’indécision et tristesse. Et l’impression qu’il ressentit fut si forte que son attitude se modifia, sans même qu’il s’en rendit compte, et qu’il murmura:

«Pourquoi, diable, m’a-t-elle poursuivi avec tant d’acharnement, si elle devait éprouver une peine aussi vive de son succès! Car il n’y a pas à dire, elle est vraiment peinée de me voir en si fâcheuse posture. La peste étouffe les femmes au caractère compliqué que je ne saurais comprendre! Il sera dit que celle-ci, jusqu’au bout, trouvera moyen de me déconcerter. Et maintenant qu’elle s’est donné un mal inouï pour s’emparer de moi, va-t-elle défaire ces cordes de ses blanches mains et me rendre la liberté? Hou! Elle en est, ma foi, bien capable! Mais non, je me suis trop hâté de lui croire un cœur accessible à la générosité. Voici la tigresse qui reparaît. Mordieu! j’aime mieux cela, du moins je reconnais ma Fausta.

Il fallait en effet que Fausta fût extraordinairement troublée pour s’oublier au point de laisser lire en partie ses impressions sur son visage qui n’exprimait habituellement que les sentiments qu’il lui plaisait de montrer.

C’est que ce qui lui arrivait là dépassait toutes ses prévisions.

Sincèrement elle avait cru que la haine, chez elle, avait tué l’amour. Et voici que, au moment où elle tenait enfin l’homme qu’elle croyait haïr, elle s’apercevait avec un effarement prodigieux que ce qu’elle avait pris pour de la haine c’était encore de l’amour. Et dans son esprit éperdu elle râlait:

«Je l’aime toujours! Ce que j’ai cru de la haine n’était que le dépit de me voir dédaignée… car il ne m’aime pas… il ne m’aimera jamais!… Et maintenant que je l’ai livré moi-même, maintenant que j’ai préparé pour lui le plus effroyable des supplices, je m’aperçois que s’il disait un mot, s’il m’adressait un sourire, moins encore: un regard qui ne soit pas indifférent, je poignarderais de mes mains ce grand inquisiteur qui me guette et je mourrais avec lui, si je ne pouvais le délivrer. Que faire? Que faire?»

Et longtemps elle resta ainsi désemparée, reculant pour la première fois de sa vie, devant la décision à prendre.

Peu à peu son esprit s’apaisa, ses traits se durcirent – et c’est ce qui fit dire à Pardaillan: «La tigresse reparaît» – puis sa résolution étant irrévocablement prise, ses traits retrouvèrent enfin ce calme souverain qui la faisait si prestigieuse.

Elle recula de deux pas, comme pour marquer qu’elle l’abandonnait à son sort, et d’une voix extrêmement douce, comme lointaine et voilée, elle dit seulement:

– Adieu, Pardaillan!

Et ce fut encore un étonnement chez lui qui s’attendait à d’autres paroles.

Mais il n’était pas hommes à se laisser démonter pour si peu.

– Non pas adieu, railla-t-il, mais au revoir.

Elle secoua la tête négativement et, avec la même intonation de douceur inexprimable, elle répéta:

– Adieu!

– Je vous entends, madame, mais, diantre! on ne me tue pas si aisément. Vous devez en savoir quelque chose. Vous avez voulu me faire tuer je ne sais combien de fois, je ne les compte plus, ce serait long et fastidieux, et cependant je suis encore bien vivant et bien solide, quoique je sois en position plutôt précaire, j’en conviens.

Avec obstination, elle fit doucement non, de la tête, et répéta encore:

– Adieu! Tu ne me verras plus.

Une idée affreuse traversa le cerveau de Pardaillan.

«Oh! songea-t-il en frissonnant, elle a dit: «Tu ne me verras plus.» Ne pouvant parvenir à me tuer, l’abominable créature aurait-elle conçu l’infernal projet de me faire aveugler? Par l’enfer qui l’a vomie, ce serait trop hideux!»

De sa voix toujours dolente et comme lointaine, elle continuait:

– Ou plutôt, je m’exprime mal, tu me verras peut-être, Pardaillan, mais tu ne me reconnaîtras pas.

«Ouais! pensa le chevalier. Que signifie cette nouvelle énigme? Je la verrai: donc j’ai des chances de ne pas mourir et de ne pas être aveuglé, comme je l’ai craint un instant. Bon! Je suis moins mal loti que je ne pensais. Mais je ne la reconnaîtrai pas. Que veut dire ce: «Tu ne me reconnaîtras pas»? Quelle menace se cache sous ces paroles insignifiantes en apparence? Bah! je le verrai bien.»

Et tout haut, avec son plus gracieux sourire:

– Il faudra donc que vous soyez bien méconnaissable! Peut-être serez-vous devenue une femme comme toutes les femmes… avec un peu de cœur et de bonté. S’il en est ainsi, je confesse qu’en effet vous serez si bien changée qu’il se pourrait que je ne vous reconnaisse pas.

Fausta le considéra une seconde, droit dans les yeux. Il soutint le regard avec cette ingénuité narquoise qui lui était particulière. Comprit-elle qu’elle n’aurait pas le dernier mot avec lui? Était-elle lasse du violent combat qui s’était livré dans son esprit? Toujours est-il qu’elle se contenta de faire un signe de tête et revint se placer auprès de d’Espinosa, qui avait assisté, muet et impassible, à cette scène.

– Conduisez le prisonnier au couvent San Pablo, ordonna le grand inquisiteur.

– Au revoir, princesse! cria Pardaillan, qu’on entraînait.

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