– Comment, vous aussi, chevalier, vous allez me donner du monseigneur? fit en riant le Torero.
– Je le devrais, dit sérieusement le chevalier. Si je ne le fais pas, c’est uniquement parce que je ne veux pas attirer sur vous l’attention d’ennemis tout puissants.
– Vous aussi, chevalier, vous croyez mon existence menacée?
– Je crois que vous ne serez réellement en sûreté que lorsque vous aurez quitté à tout jamais le royaume d’Espagne. C’est pourquoi la proposition que vous m’avez faite de m’accompagner en France m’a comblé de joie.
Le Torero fixa Pardaillan et, d’un accent ému:
– Ces ennemis qui veulent ma mort, je les dois à ma naissance mystérieuse. Vous, Pardaillan, vous connaissez ce secret. Comment l’étranger que vous êtes a-t-il pu, en si peu de temps, soulever le voile d’un mystère qui reste toujours impénétrable pour moi, après des années de patientes recherches? Ce secret n’est-il donc un secret que pour moi? Ne me heurterai-je pas toujours et partout à des gens qui savent et qui semblent s’être fait une loi de se taire?
Vivement ému Pardaillan dit avec douceur:
– Très peu de gens savent, au contraire. C’est par suite d’un hasard fortuit que j’ai connu la vérité.
– Ne me la ferez-vous pas connaître?
Pardaillan eut une seconde d’hésitation et:
– Oui, dit-il, vous laisser dans cette incertitude serait vraiment trop pénible. Je vous dirai donc tout.
– Quand? fit vivement le Torero.
– Quand nous serons en France.
Le Torero hocha douloureusement la tête.
– Je retiens votre promesse, dit-il.
Et il ajouta:
– Savez-vous ce que prétend Mme Fausta?
Et devant l’interrogation muette du chevalier qui se tenait sur la réserve:
– Elle prétend que c’est le roi, le roi seul qui est mon ennemi acharné, et veut ma mort. Et vous, vous me dites que le frapper serait un crime.
– Je le dis et je le maintiens, morbleu!
Le Torero remarqua que Pardaillan évitait de répondre à sa question. Il n’insista pas, et le chevalier demanda d’un air détaché:
– Vous prendrez part à la course de demain?
– Sans doute.
– Vous êtes absolument décidé?
– Le moyen de faire, autrement? Le roi m’a fait donner l’ordre d’y paraître. On ne se dérobe pas à un ordre du roi. Puis il est une autre considération qui me met dans l’obligation d’obéir. Je ne suis pas riche, vous le savez… d’autres aussi le savent. La mode s’est instituée de jeter des dons dans l’arène quand j’y parais. Ce sont ces dons volontaires qui me permettent de vivre. Et bien que je sois le seul pour qui le témoignage des spectateurs se traduise par des espèces monnayées, je n’en suis pas humilié. Le roi d’ailleurs prêche l’exemple. À tout prendre, c’est un hommage comme un autre.
– Bien, bien, j’irai donc voir de près ce que c’est qu’une course de taureaux.
Les deux amis passèrent le reste de la journée à causer et ne sortirent pas de l’hôtellerie. Le soir venu, ils s’en furent se coucher de bonne heure, tous deux sentant qu’ils auraient besoin de toutes leurs forces le lendemain.