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Dans sa stupeur, il ne put que bégayer:

– M’épouser! Vous! madame! vous!

Fausta comprit que c’était l’instant critique. Elle se redressa de toute sa hauteur. Elle prit cet air de souveraine qui la faisait irrésistible, et adoucissant l’éclat de son regard:

– Regardez-moi, dit-elle. Ne suis-je pas assez jeune, assez belle? Ne ferai-je pas une souveraine digne en tous points du puissant monarque que vous allez être?

– Je vois, dit don César, qui recouvrait toute sa lucidité, je vois que vous êtes, en effet, la jeunesse même, et quant à la beauté, jamais, je le crois sincèrement, nulle beauté n’égala la vôtre. Vous êtes déjà, madame, un modèle accompli de majesté souveraine, et près de vous les plus grandes reines paraîtraient de simples dames d’atours, Mais…

– Mais?… Dites toute votre pensée, dit Fausta, très froide.

– Eh bien, oui, je dirai toute ma pensée. Vous n’êtes pas une femme ordinaire, madame; la franchise la plus absolue me paraît seule digne d’un caractère noble et fier tel que le vôtre. Je vous dirai donc en toute sincérité, sans fausse humilité, que je me crois tout à fait indigne du très grand honneur que vous me voulez faire. Vous êtes trop souveraine et pas assez… femme.

Fausta eut un sourire quelque peu dédaigneux.

– Si je suis trop souveraine, selon vous, vous ne l’êtes pas assez de votre côté. Il serait temps de faire abstraction de votre ancienne personnalité et de bien vous pénétrer de cette pensée que vous êtes, dès maintenant, le premier personnage du royaume après le roi. Demain, vous serez peut-être roi vous-même. Vous allez jouer un rôle important sur la scène du monde. Vous ne vous appartenez plus. Les pensées, les sentiments qui pouvaient vous paraître très naturels quand vous n’étiez qu’un simple gentilhomme ne sont plus de mise avec votre nouvelle situation. Vous n’êtes plus un homme: vous êtes un roi. Il faut vous habituer à voir et à penser en roi. Auriez-vous commis cette erreur extravagante de penser qu’il pouvait être question d’amour entre nous? Je ne veux pas le croire. Je suis et je dois rester souveraine avant d’être femme, de même que l’homme doit s’effacer en vous devant le souverain.

Le Torero hocha la tête d’un air peu convaincu:

– Ces sentiments vous sont naturels à vous qui êtes née souveraine et avez vécu en souveraine. Mais moi, madame, je suis un simple mortel, et si mon cœur parle, j’écoute ce qu’il me dit.

Audacieusement, elle dit:

– Et votre cœur est pris.

Très simplement, en regardant en face sans provocation, mais avec fermeté, il répondit en s’inclinant très bas:

– Oui, madame.

– Je le savais; monsieur. Cela ne m’a pas retenue un seul instant. L’offre de ma main que je vous ai faite, je la maintiens.

– C’est que vous ne me connaissez pas, madame. Lorsque mon cœur s’est donné une fois, il ne se reprend plus.

Fausta haussa dédaigneusement les épaules.

– Le roi, dit-elle, oubliera les amours de l’aventurier. Il ne saurait en être autrement.

Et comme le Torero allait protester, elle l’interrompit vivement en ajoutant:

– Ne dites rien! N’accomplissez pas l’irréparable. Vous réfléchirez, vous comprendrez. Vous me donnerez une réponse… tenez, après-demain. Les événements qui vont se dérouler demain vous feront comprendre mieux que tous les discours la valeur de l’alliance que je vous offre. Ils vous feront comprendre aussi à quels périls vous seriez exposé si vous commettiez la folie de refuser mes ordres. Vous pourrez voir de vos propres yeux que ces périls sont tels que vous succomberez infailliblement si je retire la main que j’ai étendue sur votre tête.

Et sans lui laisser le temps de placer un mot, elle se leva et, plus doucement:

– Allez, prince, et revenez après-demain. Ne parlez pas, vous dis-je. J’attends votre retour avec confiance. Votre réponse ne peut pas ne pas être conforme à mes désirs. Allez.

Et d’un geste doux et impérieux à la fois, elle le congédia sans qu’il eût pu dire ce qu’il avait à dire.

Le Torero parti, Fausta réfléchit longuement. Elle avait très bien compris ce qui s’était passé dans l’esprit du Torero. Elle avait vu dans son esprit que si elle le laissait parler, il allait proclamer hautement son amour pour la petite bohémienne: mis en demeure de choisir entre l’amour et la couronne qu’elle lui faisait entrevoir, le prince, sans hésiter, eût refusé la couronne pour conserver son amour. Fausta avait senti cela, et c’est en pensant à cela qu’elle avait dit: «N’accomplissez pas l’irréparable».

Elle restait à sa place, très soucieuse. L’entrevue n’avait pas tourné au gré de ses désirs. Le prince lui échappait. Tout n’était pas perdu cependant. Le seul obstacle venait de la Giralda: elle supprimerait l’obstacle, voilà tout. La Giralda morte, disparue, enlevée, déshonorée, elle ne doutait pas qu’il ne vînt à elle, soumis et obéissant.

Elle allongea la main et frappa sur un timbre.

À son appel, Centurion, dégrimé, ayant repris sa personnalité, parut avec son sourire obséquieux.

Fausta eut un long entretien avec lui au cours duquel elle lui donna des instructions détaillées concernant la Giralda, ensuite de quoi le bravo s’éclipsa sans doute pour procéder à l’exécution immédiate des ordres reçus.

Fausta demeura encore une fois seule.

Elle alla droit à un cabinet de travail merveilleux, ouvrit un tiroir secret et en sortit un parchemin qu’elle considéra longuement avant de le cacher dans son sein en murmurant:

– Je n’ai plus de raisons de garder ce parchemin. Le mieux est de le remettre à M. d’Espinosa. Je fais ainsi d’une pierre deux coups. D’abord, je me concilie l’amitié du grand inquisiteur et du roi. S’ils ont des soupçons au sujet de cette conspiration, je les endors. Je trouve sécurité et liberté d’action. Ensuite, tout ce que le roi Philippe entreprendra avec ce parchemin tournera au profit de son successeur. Sans qu’il s’en doute il travaillera pour le bien et pour la gloire de mon futur époux – car le Torero acceptera – partant, pour mon propre bien et ma propre gloire.

Elle réfléchit une seconde et: «Pardaillan!… Que dira-t-il quand il saura que j’ai remis ce parchemin à M. d’Espinosa? Voilà sa mission manquée, lui qui a promis de rapporter ce parchemin à Henri de Navarre. Qui sait? Si d’Espinosa le manque, je me débarrasse peut-être en même temps de Pardaillan. Avec ses idées spéciales, il est capable de se croire déshonoré!»

Et avec un sourire terrible: «Lorsqu’un homme comme Pardaillan se croit déshonoré et qu’il ne peut laver son honneur dans le sang de son ennemi, il n’a qu’une ressource: le laver dans son propre sang. Pardaillan pourrait bien se tuer!… C’est à voir!…»

Elle demeura encore, un moment rêveuse, et ce nom de Pardaillan appela dans son esprit celui de son fils, et elle songea: «Myrthis! Où peut bien être Myrthis? Et mon fils, le fils de Pardaillan? Il serait temps pourtant de rechercher cet enfant.»

Elle réfléchit encore un moment et murmura:

– Oui, tout ceci sera liquidé rapidement, soit que je réussisse, soit que j’échoue. Il sera temps alors de rechercher mon fils.

Ayant pris cette résolution, elle frappa de nouveau sur un timbre et jeta un ordre à la suivante, accourue.

Quelques instants plus tard, la litière de Fausta s’arrêtait devant le vestibule d’honneur du grand inquisiteur, logé au palais.

Fausta eut un long entretien avec d’Espinosa, à qui, en échange de certaines conditions qu’elle posa, elle remit spontanément la fameuse déclaration du feu roi Henri de Valois proclamant Philippe II d’Espagne héritier de la couronne de France.

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