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– Oui, mon cousin, me répondit la princesse Amélie.

III Gerolstein (suite et fin)

LE PRINCE HENRI D’HERKAUSEN-OLDENZAAL AU COMTE MAXIMILIEN KAMINETZ

Je ne saurais vous dire, mon ami, combien je fus à la fois heureux et peiné de la paternelle cordialité du grand-duc; la confiance qu’il me témoignait, l’affectueuse bonté avec laquelle il avait engagé sa fille et moi à substituer aux formules de l’étiquette ces appellations de famille d’une intimité si douce, tout me pénétrait de reconnaissance; je me reprochais d’autant plus amèrement le charme fatal d’un amour qui ne devait ni ne pouvait être agréé par le prince.

Je m’étais promis, il est vrai (je n’ai pas failli à cette résolution) de ne jamais dire un mot qui pût faire soupçonner à ma cousine l’amour que je ressentais; mais je craignais que mon émotion, que mes regards me trahissent… Malgré moi pourtant, ce sentiment, si muet, si caché qu’il dût être, me semblait coupable.

J’eus le temps de faire ces réflexions pendant que la princesse Amélie dansait la première contredanse avec l’archiduc Stanislas. Ici, comme partout, la danse n’est plus qu’une sorte de marche qui suit la mesure de l’orchestre; rien ne pouvait faire valoir davantage la grâce sérieuse du maintien de ma cousine.

J’attendais avec un bonheur mêlé d’anxiété le moment d’entretien que la liberté du bal allait me permettre d’avoir avec elle. Je fus assez maître de moi pour cacher mon trouble lorsque j’allai la chercher auprès de la marquise d’Harville.

En songeant aux circonstances du portrait, je m’attendais à voir la princesse Amélie partager mon embarras; je ne me trompais pas. Je me souviens presque mot pour mot de notre première conversation; laissez-moi vous la rapporter, mon ami:

– Votre Altesse me permettra-t-elle, lui dis-je, de l’appeler ma cousine, ainsi que le grand-duc m’y autorise?

– Sans doute, mon cousin, me répondit-elle avec grâce; je suis toujours heureuse d’obéir à mon père.

– Et je suis d’autant plus fier de cette familiarité, ma cousine, que j’ai appris par ma tante à vous connaître, c’est-à-dire à vous apprécier.

– Souvent aussi mon père m’a parlé de vous, mon cousin, et ce qui vous étonnera peut-être, ajouta-t-elle timidement, c’est que je vous connaissais déjà, si cela peut se dire, de vue… Mme la supérieure de Sainte-Hermangilde, pour qui j’ai la plus respectueuse affection, nous avait un jour montré, à mon père, et à moi, un portrait…

– Où j’étais représenté en page du XVIe siècle?

– Oui, mon cousin; et mon père fit même la petite supercherie de me dire que ce portrait était celui d’un de nos parents du temps passé, en ajoutant d’ailleurs des paroles si bienveillantes pour ce cousin d’autrefois que notre famille doit se féliciter de le compter parmi nos parents d’aujourd’hui…

– Hélas! ma cousine, je crains de ne pas plus ressembler au portrait moral que le grand-duc a daigné faire de moi qu’au page du XVIe siècle.

– Vous vous trompez, mon cousin, me dit naïvement la princesse; car, à la fin du concert, en jetant par hasard les yeux du côté de la galerie, je vous ai reconnu tout de suite, malgré la différence du costume.

Puis, voulant changer sans doute un sujet de conversation qui l’embarrassait, elle me dit:

– Quel admirable talent que celui de M. Liszt, n’est-ce pas?

– Admirable. Avec quel plaisir vous l’écoutiez!

– C’est qu’en effet il y a, ce me semble, un double charme dans la musique sans paroles: non-seulement on jouit d’une excellente exécution, mais on peut appliquer sa pensée du moment aux mélodies que l’on écoute, et qui en deviennent pour ainsi dire l’accompagnement… Je ne sais si vous me comprenez, mon cousin?

– Parfaitement. Les pensées sont alors des paroles que l’on met mentalement sur l’air que l’on entend.

– C’est cela, c’est cela, vous me comprenez, dit-elle avec un mouvement de gracieuse satisfaction; je craignais de mal expliquer ce que je ressentais tout à l’heure pendant cette mélodie si plaintive et si touchante.

– Grâce à Dieu, ma cousine, lui dis-je en souriant, vous n’avez aucune parole à mettre sur un air triste.

Soit que ma question fût indiscrète et qu’elle voulût éviter d’y répondre, soit qu’elle ne l’eût pas entendue, tout à coup la princesse Amélie me dit, en me montrant le grand-duc, qui, donnant le bras à l’archiduchesse Sophie, traversait alors la galerie où l’on dansait:

– Mon cousin, voyez donc mon père, comme il est beau!… Quel air noble et bon! Comme tous les regards le suivent avec sollicitude! Il me semble qu’on l’aime encore plus qu’on ne le révère…

– Ah! m’écriai-je, ce n’est pas seulement ici, au milieu de sa cour, qu’il est chéri! Si les bénédictions du peuple retentissaient dans la postérité, le nom de Rodolphe de Gerolstein serait justement immortel.

En parlant ainsi, mon exaltation était sincère; car vous savez, mon ami, qu’on appelle, à bon droit, les États du prince le Paradis de l’Allemagne.

Il m’est impossible de vous peindre le regard reconnaissant que ma cousine jeta sur moi en m’entendant parler de la sorte.

– Apprécier ainsi mon père, me dit-elle avec émotion, c’est être bien digne de l’attachement qu’il vous porte.

– C’est que personne plus que moi ne l’aime et l’admire! En outre des rares qualités qui font les grands princes, n’a-t-il pas le génie de la bonté, qui fait les princes adorés?…

– Vous ne savez pas combien vous dites vrai!… s’écria la princesse encore plus émue.

– Oh! je le sais, je le sais, et tous ceux qu’il gouverne le savent comme moi… On l’aime tant que l’on s’affligerait de ses chagrins comme on se réjouit de son bonheur; l’empressement de tous à venir offrir leurs hommages à Mme la marquise d’Harville consacre à la fois et le choix de Son Altesse Royale et la valeur de la future grande-duchesse.

– Mme la marquise d’Harville est plus digne que qui que ce soit de l’attachement de mon père; c’est le plus bel éloge que je puisse vous faire d’elle.

– Et vous pouvez sans doute l’apprécier justement: car vous l’avez probablement connue en France, ma cousine?

À peine avais-je prononcé ces derniers mots, que je ne sais quelle soudaine pensée vint à l’esprit de la princesse Amélie; elle baissa les yeux, et, pendant une seconde, ses traits prirent une expression de tristesse qui me rendit muet de surprise.

Nous étions alors à la fin de la contredanse, la dernière figure me sépara un instant de ma cousine; lorsque je la reconduisis auprès de Mme d’Harville, il me sembla que ses traits étaient encore légèrement altérés…

Je crus et je crois encore que mon allusion au séjour de la princesse en France, lui ayant rappelé la mort de sa mère, lui causa l’impression pénible dont je viens de vous parler.

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