Литмир - Электронная Библиотека

– Madame, nous allons partir; vous ne voulez rien prendre? dit obséquieusement le bourreau.

– Merci… ce soir je prendrai une gorgée de terre.

Et la veuve, après ce nouveau sarcasme, se leva droite; ses mains étaient attachées derrière son dos, et un lien assez lâche pour qu’elle pût marcher la garrottait d’une cheville à l’autre. Quoique son pas fût ferme et résolu, le bourreau et un aide voulurent obligeamment la soutenir; elle fit un geste d’impatience et dit d’une voix impérieuse et dure:

– Ne me touchez pas, j’ai bon pied, bon œil. Sur l’échafaud, on verra si j’ai une bonne voix, et si je dis des paroles de repentance…

Et la veuve, accostée du bourreau et d’un aide, sortant du cachot, entra dans le corridor.

Les deux autres aides furent obligés de transporter, Calebasse sur sa chaise; elle était mourante.

Après avoir traversé le long corridor, le funèbre cortège monta un escalier de pierre qui conduisait à une cour extérieure.

Le soleil inondait de sa lumière chaude et dorée le faîte des hautes murailles blanches qui entouraient la cour et se découpaient sur un ciel d’un bleu splendide: l’air était doux et tiède, jamais journée de printemps ne fut plus riante, plus magnifique.

Dans cette cour on voyait un piquet de gendarmerie départementale, un fiacre et une voiture longue, étroite, à caisse jaune, attelée de trois chevaux de poste qui hennissaient gaiement en faisant tinter leurs grelots retentissants.

On montait dans cette voiture comme dans un omnibus, par une portière située à l’arrière. Cette ressemblance inspira une dernière raillerie à la veuve.

– Le conducteur ne dira pas… Complet, dit-elle. Puis elle gravit le marchepied aussi lestement que le lui permettaient ses entraves.

Calebasse, expirante et soutenue par un aide, fut placée dans la voiture en face de sa mère; puis on ferma la portière.

Le cocher du fiacre s’était endormi, le bourreau le secoua.

– Excusez, bourgeois, dit le cocher en se réveillant et en descendant pesamment de son siège; mais une nuit de mi-carême, c’est rude. Je venais justement de conduire aux Vendanges de Bourgogne une tapée de débardeurs et de débardeuses qui chantaient la mère Godichon, quand vous m’avez pris à l’heure.

– Allons, c’est bon. Suivez cette voiture, et… boulevard Saint-Jacques.

– Excusez, bourgeois… il y a une heure aux Vendanges, maintenant à la guillotine! Ça prouve que les courses se suivent et ne se ressemblent pas, comme dit c’t’autre.

Les deux voitures, précédées et suivies du piquet de gendarmerie, sortirent de la porte extérieure de Bicêtre et prirent au grand trot la route de Paris.

II Martial et le Chourineur

Nous avons présenté le tableau de la toilette des condamnés dans toute son effroyable vérité, parce qu’il nous semble qu’il ressort de cette peinture de puissants arguments.

Contre la peine de mort.

Contre la manière que cette peine est appliquée.

Contre l’effet qu’on en attend comme exemple donné aux populations.

Quoique dépouillé de cet appareil à la fois formidable et religieux dont devraient être au moins entourés tous les actes de suprême châtiment que la loi inflige au nom de la vindicte publique, la toilette est ce qu’il y a de plus terrifiant dans l’exécution de l’arrêt de mort, et c’est cela que l’on cache à la multitude.

Au contraire, en Espagne, par exemple, le condamné reste exposé pendant trois jours dans une chapelle ardente, son cercueil est continuellement sous ses yeux; les prêtres disent les prières des agonisants, les cloches de l’église tintent jour et nuit un glas funèbre [24].

On conçoit que cette espèce d’initiation à une mort prochaine puisse épouvanter les criminels les plus endurcis, et inspirer une terreur salutaire à la foule qui se presse aux grilles de la chapelle mortuaire.

Puis le jour du supplice est un jour de deuil public; les cloches de toutes les paroisses sonnent les trépassés; le condamné est lentement conduit à l’échafaud avec une pompe imposante, lugubre, son cercueil toujours porté devant lui; les prêtres, chantant les prières des morts, marchent à ses côtés; viennent ensuite les confréries religieuses, et enfin des frères quêteurs demandent à la foule de quoi dire des messes pour le repos de l’âme du supplicié… Jamais la foule ne reste sourde à cet appel…

Sans doute, tout cela est épouvantable, mais cela est logique, mais cela est imposant, mais cela montre que l’on ne retranche pas de ce monde une créature de Dieu pleine de vie et de force comme on égorge un bœuf, mais cela donne à penser à la multitude, qui juge toujours du crime par la grandeur de la peine… que l’homicide est un forfait bien abominable, puisque son châtiment ébranle, attriste, émeut toute une ville.

Encore une fois, ce redoutable spectacle peut faire naître de graves réflexions, inspirer un utile effroi… et ce qu’il y a de barbare dans ce sacrifice humain est au moins couvert par la terrible majesté de son exécution.

Mais, nous le demandons, les choses se passant exactement comme nous les avons rapportées (et quelquefois même moins gravement), de quel exemple cela peut-il être?

De grand matin on prend le condamné, on le garrotte, on le jette dans une voiture fermée, le postillon fouette, touche à l’échafaud, la bascule joue, et une tête tombe dans un panier… au milieu des railleries atroces de ce qu’il y a de plus corrompu dans la populace!…

Encore une fois, dans cette exécution rapide et furtive, où est l’exemple? où est l’épouvante?…

Et puis, comme l’exécution a lieu pour ainsi dire à huis clos, dans un endroit parfaitement écarté, avec une précipitation sournoise, toute la ville ignore cet acte sanglant et solennel, rien ne lui annonce que ce jour-là on «tue un homme»… les théâtres rient et chantent… la foule bourdonne insoucieuse et bruyante…

Au point de vue de la société, de la religion, de l’humanité, c’est pourtant quelque chose qui doit importer à tous que cet homicide juridique commis au nom de l’intérêt de tous…

Enfin, disons-le encore, disons-le toujours, voici le glaive, mais où est la couronne? À côté de la punition, montrez la récompense; alors seulement la leçon sera complète et féconde… Si, le lendemain de ce jour de deuil et de mort, le peuple, qui a vu la veille le sang d’un grand criminel rougir l’échafaud, voyait rémunérer et exalter un grand homme de bien, il redouterait d’autant plus le supplice du premier qu’il ambitionnerait davantage le triomphe du second; la terreur empêche à peine le crime, jamais elle n’inspire la vertu.

Considère-t-on l’effet de la peine de mort sur les condamnés eux-mêmes?

49
{"b":"125191","o":1}