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Ou ils la bravent avec un cynisme audacieux…

Ou ils la subissent inanimés, à demi morts d’épouvante…

Ou ils offrent leur tête avec un repentir profond et sincère…

Or, la peine est insuffisante pour ceux qui la narguent…

Inutile pour ceux qui sont déjà morts moralement…

Exagérée pour ceux qui se repentent avec sincérité.

Répétons-le: la société ne tue le meurtrier ni pour le faire souffrir, ni pour lui infliger la loi du talion… Elle le tue pour le mettre dans l’impossibilité de nuire… elle le tue pour que l’exemple de sa punition serve de frein aux meurtriers à venir.

Nous croyons, nous, que la peine est trop barbare, et qu’elle n’épouvante pas assez…

Nous croyons, nous, que dans quelques crimes, tels que le parricide, ou autres forfaits qualifiés, l’aveuglement et un isolement perpétuel mettraient un condamné dans l’impossibilité de nuire, et le puniraient d’une manière mille fois plus redoutable, tout en lui laissant le temps du repentir et de la rédemption.

Si l’on doutait de cette assertion, nous rappellerions beaucoup de faits constatant l’horreur invincible des criminels endurcis pour l’isolement. Ne sait-on pas que quelques-uns ont commis des meurtres pour être condamnés à mort, préférant ce supplice à une cellule?… Quelle serait donc leur terreur, lorsque l’aveuglement, joint à l’isolement, ôterait au condamné l’espoir de s’évader, espoir qu’il conserve et qu’il réalise quelquefois même en cellule et chargé de fers?

Et à ce propos, nous pensons aussi que l’abolition des condamnations capitales sera peut-être une des conséquences forcées de l’isolement pénitentiaire: l’effroi que cet isolement inspire à la génération qui peuple à cette heure les prisons et les bagnes étant tel que beaucoup d’entre ces incurables préféreront encourir le dernier supplice que l’emprisonnement cellulaire, alors il faudra sans doute supprimer la peine de mort pour leur enlever cette dernière et épouvantable alternative.

Avant de poursuivre notre récit, disons quelques mots des relations récemment établies entre le Chourineur et Martial.

Une fois Germain sorti de prison, le Chourineur prouva facilement qu’il s’était volé lui-même, avoua au juge d’instruction le but de cette singulière mystification, et fut mis en liberté après avoir été justement et sévèrement admonesté par ce magistrat.

N’ayant pas alors retrouvé Fleur-de-Marie, et voulant récompenser de ce nouvel acte de dévouement le Chourineur, auquel il devait déjà la vie, Rodolphe, pour combler les vœux de son rude protégé, l’avait logé à l’hôtel de la rue Plumet, lui promettant de l’emmener à sa suite lorsqu’il retournerait en Allemagne. Nous l’avons dit, le Chourineur éprouvait pour Rodolphe l’attachement aveugle, obstiné du chien pour son maître. Demeurer sous le même toit que le prince, le voir quelquefois, attendre avec patience une nouvelle occasion de se sacrifier à lui ou aux siens, là se bornaient l’ambition et le bonheur du Chourineur, qui préférait mille fois cette condition à l’argent et à la ferme en Algérie que Rodolphe avait mis à sa disposition.

Mais, lorsque le prince eut retrouvé sa fille, tout changea; malgré sa vive reconnaissance pour l’homme qui lui avait sauvé la vie, il ne put se résoudre à emmener avec lui en Allemagne ce témoin de la première honte de Fleur-de-Marie… Bien décidé d’ailleurs à combler tous les désirs du Chourineur, il le fit venir une dernière fois et lui dit qu’il attendait de son attachement un nouveau service. À ces mots, la physionomie du Chourineur rayonna; mais elle devint bientôt consternée, lorsqu’il apprit que non-seulement il ne pourrait suivre le prince en Allemagne, mais qu’il faudrait quitter l’hôtel le jour même.

Il est inutile de dire les compensations brillantes que Rodolphe offrit au Chourineur: l’argent qui lui était destiné, le contrat de vente de la ferme en Algérie, plus encore, s’il le voulait… tout était à sa disposition.

Le Chourineur, frappé au cœur, refusa; et, pour la première fois de sa vie peut-être, cet homme pleura… Il fallut l’instance de Rodolphe pour le décider à accepter ses premiers bienfaits.

Le lendemain, le prince fit venir la Louve et Martial; sans leur apprendre que Fleur-de-Marie était sa fille, il leur demanda ce qu’il pouvait faire pour eux; tous leurs désirs devaient être accomplis. Voyant leur hésitation, et se souvenant de ce que Fleur-de-Marie lui avait dit des goûts un peu sauvages de la Louve et de son mari, il proposa au hardi ménage une somme d’argent considérable, ou bien la moitié de cette somme et des terres en plein rapport, dépendantes d’une ferme voisine de celle qu’il avait fait acheter pour le Chourineur, et qui était aussi à vendre. En faisant cette offre, le prince avait encore songé que Martial et le Chourineur, tous deux rudes, énergiques, tous deux doués de bons et valeureux instincts, sympathiseraient d’autant mieux qu’ils avaient aussi tous deux des raisons de rechercher la solitude, l’un à cause de son passé, l’autre à cause des crimes de sa famille.

Il ne se trompait pas; Martial et la Louve acceptèrent avec transport; puis, ayant été, par l’intermédiaire de Murph, mis en rapport avec le Chourineur, tous trois se félicitèrent bientôt des relations que promettait leur voisinage en Algérie.

Malgré la profonde tristesse où il était plongé, ou plutôt à cause même de cette tristesse, le Chourineur, touché des avances cordiales de Martial et de sa femme, y répondit avec affection. Bientôt une amitié sincère unit les futurs colons: les gens de cette trempe se jugent vite et s’aiment de même… Aussi, la Louve et Martial, n’ayant pu, malgré leurs affectueux efforts, tirer leur nouvel ami de sa sombre léthargie, ne comptaient plus pour l’en distraire que sur le mouvement du voyage et sur l’activité de leur vie à venir; car, une fois en Algérie, ils seraient obligés de se mettre au fait de la culture des terres qu’on leur avait données, les propriétaires devant, d’après les conditions de la vente, faire valoir les fermes pendant une année encore, afin que les nouveaux possesseurs fussent en état de surveiller plus tard l’exploitation.

Ces préliminaires posés, on comprendra qu’instruit de la pénible entrevue à laquelle Martial devait se rendre pour obéir aux dernières volontés de sa mère, le Chourineur ait voulu accompagner son nouvel ami jusqu’à la porte de Bicêtre, où il l’attendait dans le fiacre qui les avait amenés, et qui les reconduisit à Paris après que Martial, épouvanté, eut quitté le cachot où l’on faisait les terribles préparatifs de l’exécution de sa mère et de sa sœur.

La physionomie du Chourineur était complètement changée: l’expression d’audace et de bonne humeur qui caractérisait ordinairement sa mâle figure avait fait place à un morne abattement; sa voix même avait perdu quelque chose de sa rudesse; une douleur de l’âme, douleur jusqu’alors inconnue de lui, avait rompu, brisé cette nature énergique.

Il regardait Martial avec compassion.

– Courage, lui disait le Chourineur, vous avez fait tout ce qu’un brave garçon pouvait faire… C’est fini… Songez à votre femme, à ces enfants que vous avez empêchés d’être des gueux comme père et mère… Et puis enfin, ce soir nous aurons quitté Paris pour n’y plus revenir, et vous n’entendrez plus jamais parler de ce qui vous afflige.

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