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– À moi, monsieur Rodolphe?

– Depuis que je vous ai vue… on a fait de grandes découvertes sur… sur… votre naissance.

– Sur ma naissance?

– On a su quels étaient vos parents. On connaît votre père. Rodolphe avait tant de larmes dans la voix en prononçant ces mots que Fleur-de-Marie, très-émue, se retourna vivement vers lui; heureusement qu’il put détourner la tête.

Un autre incident semi-burlesque vint encore distraire la Goualeuse et l’empêcher de trop remarquer l’émotion de son père: le digne squire, qui ne sortait pas de derrière son rideau et semblait attentivement regarder le jardin de l’hôtel, ne put s’empêcher de se moucher avec un bruit formidable, car il pleurait comme un enfant.

– Oui, ma chère Marie, se hâta de dire Clémence, on connaît votre père… il existe.

– Mon père! s’écria la Goualeuse avec une expression qui mit le courage de Rodolphe à une nouvelle épreuve.

– Et un jour… reprit Clémence, bientôt peut-être… vous le verrez. Ce qui vous étonnera sans doute, c’est qu’il est d’une très-haute condition… d’une grande naissance.

– Et ma mère, madame, la verrai-je?

– Votre père répondra à cette question, mon enfant… mais ne serez-vous pas bien heureuse de le voir?

– Oh! oui, madame, répondit Fleur-de-Marie en baissant les yeux.

– Combien vous l’aimerez, quand vous le connaîtrez! dit la marquise.

– De ce jour-là… une nouvelle vie commencera pour vous, n’est-ce pas, Marie? ajouta le prince.

– Oh! non, monsieur Rodolphe, répondit naïvement la Goualeuse. Ma nouvelle vie a commencé du jour où vous avez eu pitié de moi… où vous m’avez envoyée à la ferme.

– Mais votre père… vous chérit, dit le prince.

– Je ne le connais pas… et je vous dois tout… monsieur Rodolphe.

– Ainsi… vous… m’aimez… autant… plus peut-être que vous n’aimeriez votre père?

– Je vous bénis et je vous respecte comme Dieu, monsieur Rodolphe, parce que vous avez fait pour moi ce que Dieu seul aurait pu faire, répondit la Goualeuse avec exaltation, oubliant sa timidité habituelle. Quand madame a eu la bonté de me parler à la prison, je le lui ai dit, ainsi que je le disais à tout le monde… oui, monsieur Rodolphe, aux personnes qui étaient bien malheureuses, je disais: «Espérez, M. Rodolphe soulage les malheureux.» À celles qui hésitaient entre le bien et le mal, je disais: «Courage, soyez bonnes, M. Rodolphe récompense ceux qui sont bons.» À celles qui étaient méchantes, je disais: «Prenez garde, M. Rodolphe punit les méchants.» Enfin, quand j’ai cru mourir, je me suis dit: «Dieu aura pitié de moi, car M. Rodolphe m’a jugée digne de son intérêt.»

Fleur-de-Marie, entraînée par sa reconnaissance envers son bienfaiteur, avait surmonté sa crainte, un léger incarnat colorait ses joues, et ses beaux yeux bleus, qu’elle levait au ciel comme si elle eût prié, brillaient du plus doux éclat.

Un silence de quelques secondes succéda aux paroles enthousiastes de Fleur-de-Marie; l’émotion des acteurs de cette scène était profonde.

– Je vois, mon enfant, reprit Rodolphe, pouvant à peine contenir sa joie, que dans votre cœur j’ai à peu près pris la place de votre père.

– Ce n’est pas ma faute, monsieur Rodolphe. C’est peut-être mal à moi… mais je vous l’ai dit, je vous connais et je ne connais pas mon père; et elle ajouta en baissant la tête avec confusion: Et puis, enfin, vous savez le passé… monsieur Rodolphe… et malgré cela vous m’avez comblée de bontés; mais mon père ne le sait pas, lui… ce passé. Peut-être regrettera-t-il de m’avoir retrouvée, ajouta la malheureuse enfant en frissonnant, et puisqu’il est, comme le dit madame… d’une grande naissance… sans doute il aura honte… il rougira de moi.

– Rougir de vous! s’écria Rodolphe en se redressant, le front altier, le regard orgueilleux. Rassurez-vous, pauvre enfant, votre père vous fera une position si brillante, si haute, que les plus grands parmi les grands de ce monde ne vous regarderont désormais qu’avec un profond respect. Rougir de vous! non… non. Après les reines, auxquelles vous êtes alliée par le sang… vous marcherez de pair avec les plus nobles princesses de l’Europe.

– Monseigneur! s’écrièrent à la fois Murph et Clémence, effrayés de l’exaltation de Rodolphe et de la pâleur croissante de Fleur-de-Marie, qui regardait son père avec stupeur.

– Rougir de toi! continua-t-il, oh! si j’ai jamais été heureux et fier de mon rang souverain… c’est parce que, grâce à ce rang, je puis t’élever autant que tu as été abaissée… entends-tu, mon enfant chérie… ma fille adorée?… car c’est moi… c’est moi qui suis ton père!

Et le prince, ne pouvant vaincre plus longtemps son émotion, se jeta aux pieds de Fleur-de-Marie, qu’il couvrit de larmes et de caresses.

– Soyez béni, mon Dieu! s’écria Fleur-de-Marie en joignant les mains. Il m’était permis d’aimer mon bienfaiteur autant que je l’aimais… C’est mon père… je pourrai le chérir sans remords… Soyez… béni… non.

Elle ne put achever… la secousse était trop violente; Fleur-de-Marie s’évanouit entre les bras du prince.

Murph courut à la porte du salon de service, l’ouvrit et dit:

– Le docteur David… à l’instant… pour Son Altesse Royale… quelqu’un se trouve mal.

– Malédiction sur moi!… je l’ai tuée… s’écria Rodolphe, en sanglotant, agenouillé devant sa fille. Marie… mon enfant… écoute-moi… c’est ton père… Pardon… oh! pardon… de n’avoir pu retenir plus longtemps ce secret… Je l’ai tuée… mon Dieu! je l’ai tuée!

– Calmez-vous, monseigneur, dit Clémence; il n’y a sans doute aucun danger… Voyez… ses joues sont colorées… c’est le saisissement… seulement le saisissement.

– Mais à peine convalescente… elle en mourra… Malheur! oh! malheur sur moi!

À ce moment, David, le médecin nègre, entra précipitamment, tenant à la main une petite caisse remplie de flacons, et un papier qu’il remit à Murph.

– David… ma fille se meurt… Je t’ai sauvé la vie… tu dois sauver mon enfant! s’écria Rodolphe.

Quoique stupéfait de ces paroles du prince, qui parlait de sa fille, le docteur courut à Fleur-de-Marie, que Mme d’Harville tenait dans ses bras, prit le pouls de la jeune fille, lui posa la main sur le front, et se retournant vers Rodolphe qui, pâle, épouvanté, attendait son arrêt:

– Il n’y a aucun danger… que Votre Altesse se rassure.

– Tu dis vrai… aucun danger… aucun?…

– Aucun, monseigneur. Quelques gouttes d’éther, et cette crise aura cessé.

– Oh! merci… David… mon bon David! s’écria le prince avec effusion. Puis, s’adressant à Clémence, Rodolphe ajouta: – Elle vit… notre fille vivra…

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