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– Il ne s’agit pas de cela, monseigneur. En vérité, vous allez au-delà du but. Qui donc vous parle d’envoyer la mort au roi Louis XIV? qui donc vous parle de suivre l’exemple de Dieu dans la stricte pratique de ses œuvres? Non. Je voulais vous dire que Dieu fait les choses sans bouleversement, sans scandale, sans efforts, et que les hommes inspirés par Dieu réussissent comme lui dans ce qu’ils entreprennent, dans ce qu’ils tentent, dans ce qu’ils font.

– Que voulez-vous dire?

– Je voulais vous dire, mon ami, reprit Aramis avec la même intonation qu’il avait donnée à ce mot ami, quand il l’avait prononcé pour la première fois, je voulais vous dire que, s’il y a eu bouleversement, scandale et même effort dans la substitution du prisonnier au roi, je vous défie de me le prouver.

– Plaît-il? s’écria Fouquet, plus blanc que le mouchoir dont il essuyait ses tempes. Vous dites?…

– Allez dans la chambre du roi, continua tranquillement Aramis, et, vous qui savez le mystère, je vous défie de vous apercevoir que le prisonnier de la Bastille est couché dans le lit de son frère.

– Mais le roi? balbutia Fouquet, saisi d’horreur à cette nouvelle.

– Quel roi? dit Aramis de son plus doux accent, celui qui vous hait ou celui qui vous aime?

– Le roi… d’hier?…

– Le roi d’hier? Rassurez-vous; il a été prendre, à la Bastille, la place que sa victime occupait depuis trop longtemps.

– Juste Ciel! Et qui l’y a conduit?

– Moi.

– Vous?

– Oui, et de la façon la plus simple. Je l’ai enlevé cette nuit, et, pendant qu’il redescendait dans l’ombre, l’autre remontait à la lumière. Je ne crois pas que cela ait fait du bruit. Un éclair sans tonnerre, cela ne réveille jamais personne.

Fouquet poussa un cri sourd, comme s’il eût été atteint d’un coup invisible, et prenant sa tête dans ses deux mains crispées:

– Vous avez fait cela? murmura-t-il.

– Assez adroitement. Qu’en pensez-vous?

– Vous avez détrôné le roi? vous l’avez emprisonné?

– C’est fait.

– Et l’action s’est accomplie ici, à Vaux?

– Ici, à Vaux, dans la chambre de Morphée. Ne semblait-elle pas avoir été bâtie dans la prévoyance d’un pareil acte?

– Et cela s’est passé?

– Cette nuit.

– Cette nuit?

– Entre minuit et une heure.

Fouquet fit un mouvement comme pour se jeter sur Aramis; il se retint.

– À Vaux! chez moi!… dit-il d’une voix étranglée.

– Mais je crois que oui. C’est surtout votre maison, depuis que M. Colbert ne peut plus vous la faire voler.

– C’est donc chez moi que s’est exécuté ce crime.

– Ce crime! fit Aramis stupéfait.

– Ce crime abominable! poursuivit Fouquet en s’exaltant de plus en plus, ce crime plus exécrable qu’un assassinat! ce crime qui déshonore à jamais mon nom et me voue à l’horreur de la postérité.

– Çà, vous êtes en délire, monsieur, répondit Aramis d’une voix mal assurée, vous parlez trop haut: prenez garde!

– Je crierai si haut, que l’univers m’entendra.

– Monsieur Fouquet, prenez garde!

Fouquet se retourna vers le prélat, qu’il regarda en face.

– Oui, dit-il, vous m’avez déshonoré en commettant cette trahison, ce forfait, sur mon hôte, sur celui qui reposait paisiblement sous mon toit! oh! malheur à moi!

– Malheur sur celui qui méditait, sous votre toit, la ruine de votre fortune, de votre vie! oubliez-vous cela?

– C’était mon hôte, c’était mon roi!

Aramis se leva, les yeux injectés de sang, la bouche convulsive.

– Ai-je affaire à un insensé? dit-il.

– Vous avez affaire à un honnête homme.

– Fou!

– À un homme qui vous empêchera de consommer votre crime.

– Fou!

– À un homme qui aime mieux mourir, qui aime mieux vous tuer que de laisser consommer son déshonneur.

Et Fouquet, se précipitant sur son épée, replacée par d’Artagnan au chevet du lit, agita résolument dans ses mains l’étincelant carrelet d’acier.

Aramis fronça le sourcil, glissa une main dans sa poitrine, comme, s’il y cherchait une arme. Ce mouvement n’échappa point à Fouquet. Aussi, noble et superbe en sa magnanimité, jeta-t-il loin de lui son épée, qui alla rouler dans la ruelle du lit, et, s’approchant d’Aramis, de façon à lui toucher l’épaule de sa main désarmée:

– Monsieur, dit-il, il me serait doux de mourir ici pour ne pas survivre à mon opprobre, et, si vous avez encore quelque amitié pour moi, je vous en supplie, donnez-moi la mort.

Aramis resta silencieux et immobile.

– Vous ne répondez rien?

Aramis releva doucement la tête, et l’on vit l’éclair de l’espoir se rallumer encore une fois dans ses yeux.

– Réfléchissez, dit-il, monseigneur, à tout ce qui nous attend. Cette justice étant faite, le roi vit encore, et son emprisonnement vous sauve la vie.

– Oui, répliqua Fouquet, vous avez pu agir dans mon intérêt, mais je n’accepte pas votre service. Toutefois, je ne veux point vous perdre. Vous allez sortir de cette maison.

Aramis étouffa l’éclair qui jaillissait de son cœur brisé.

– Je suis hospitalier pour tous, continua Fouquet avec une inexprimable majesté; vous ne serez pas plus sacrifié, vous, que ne le sera celui dont vous aviez consommé la perte.

– Vous le serez, vous, dit Aramis d’une voix sourde et prophétique; vous le serez, vous le serez!

– J’accepte l’augure, monsieur d’Herblay; mais rien ne m’arrêtera. Vous allez quitter Vaux, vous allez quitter la France; je vous donne quatre heures pour vous mettre hors de la portée du roi.

– Quatre heures? fit Aramis railleur et incrédule.

– Foi de Fouquet! nul ne vous suivra avant ce délai. Vous aurez donc quatre heures d’avance sur tous ceux que le roi voudrait expédier après vous.

– Quatre heures! répéta Aramis en rugissant.

– C’est plus qu’il n’en faut pour vous embarquer et gagner Belle-Île, que je vous donne pour refuge.

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