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– Bien. Le règlement l’indique.

– Ah!

– Le règlement porte que le guichetier ou l’un des bas officiers amènera le prisonnier au gouverneur, dans le greffe.

– Eh bien! mais c’est fort sage, cela. Et ensuite?

– Ensuite, on rend à ce prisonnier les objets de valeur qu’il portait sur lui lors de son incarcération, les habits, les papiers, si l’ordre du ministre n’en a disposé autrement.

– Que dit l’ordre du ministre à propos de ce Marchiali?

– Rien; car le malheureux est arrivé ici sans joyaux, sans papiers, presque sans habits.

– Voyez comme tout cela est simple! En vérité, Baisemeaux, vous vous faites des monstres de toute chose. Restez donc ici, et faites amener le prisonnier au Gouvernement.

Baisemeaux obéit. Il appela son lieutenant, et lui donna une consigne, que celui-ci transmit, sans s’émouvoir, à qui de droit.

Une demi-heure après, on entendit une porte se refermer dans la cour: c’était la porte du donjon qui venait de rendre sa proie à l’air libre.

Aramis souffla toutes les bougies qui éclairaient la chambre. Il n’en laissa brûler qu’une, derrière la porte. Cette lueur tremblotante ne permettait pas aux regards de se fixer sur les objets. Elle en décuplait les aspects et les nuances par son incertitude et sa mobilité.

Les pas se rapprochèrent.

– Allez au-devant de vos hommes, dit Aramis à Baisemeaux.

Le gouverneur obéit.

Le sergent et les guichetiers disparurent.

Baisemeaux rentra, suivi d’un prisonnier.

Aramis s’était placé dans l’ombre; il voyait sans être vu.

Baisemeaux, d’une voix émue, fit connaître à ce jeune homme l’ordre qui le rendait libre.

Le prisonnier écouta sans faire un geste ni prononcer un mot.

– Vous jurerez, c’est le règlement qui le veut, ajouta le gouverneur, de ne jamais rien révéler de ce que vous avez vu ou entendu dans la Bastille?

Le prisonnier aperçut un christ; il étendit la main et jura des lèvres.

– À présent, monsieur, vous êtes libre; où comptez-vous aller?

Le prisonnier tourna la tête, comme pour chercher derrière lui une protection sur laquelle il avait dû compter.

C’est alors qu’Aramis sortit de l’ombre.

– Me voici, dit-il, pour rendre à Monsieur le service qu’il lui plaira de me demander.

Le prisonnier rougit légèrement, et, sans hésitation vint passer son bras sous celui d’Aramis.

– Dieu vous ait en sa sainte garde! dit-il d’une voix qui, par sa fermeté, fit tressaillir le gouverneur, autant que la formule l’avait étonné.

Aramis, en serrant les mains de Baisemeaux, lui dit:

– Mon ordre vous gêne-t-il? craignez-vous qu’on ne le trouve chez vous, si l’on venait à y fouiller?

– Je désire le garder, monseigneur, dit Baisemeaux. Si on le trouvait chez moi, ce serait un signe certain que je serais perdu, et, en ce cas, vous seriez pour moi un puissant et dernier auxiliaire.

– Étant votre complice, voulez-vous dire? répondit Aramis en haussant les épaules. Adieu, Baisemeaux! dit-il.

Les chevaux attendaient, ébranlant le carrosse dans leur impatience.

Baisemeaux conduisit l’évêque jusqu’au bas du perron.

Aramis fit monter son compagnon avant lui dans le carrosse, y monta ensuite, et, sans donner d’autre ordre au cocher:

– Allez! dit-il.

La voiture roula bruyamment sur le pavé des cours. Un officier, portant un flambeau, devançait les chevaux, et donnait à chaque corps de garde l’ordre de laisser passer.

Pendant le temps que l’on mit à ouvrir toutes les barrières, Aramis ne respira point, et l’on eût pu entendre son cœur battre contre les parois de sa poitrine.

Le prisonnier, plongé dans un angle du carrosse, ne donnait pas non plus signe d’existence.

Enfin, un soubresaut, plus fort que les autres, annonça que le dernier ruisseau était franchi. Derrière le carrosse se referma la dernière porte, celle de la rue Saint-Antoine. Plus de murs à droite ni à gauche; le ciel partout, la liberté partout, la vie partout. Les chevaux, tenus en bride par une main vigoureuse, allèrent doucement jusqu’au milieu du faubourg. Là, ils prirent le trot.

Peu à peu, soit qu’il s’échauffassent, soit qu’on les poussât, ils gagnèrent en rapidité, et, une fois à Bercy, le carrosse semblait voler, tant l’ardeur des coursiers était grande. Ces chevaux coururent ainsi jusqu’à Villeneuve-Saint-Georges, où le relais était préparé. Alors, quatre chevaux, au lieu de deux, entraînèrent la voiture dans la direction de Melun, et s’arrêtèrent un moment au milieu de la forêt de Sénart. L’ordre sans doute, avait été donné d’avance au postillon, car Aramis n’eut pas même besoin de faire un signe.

– Qu’y a-t-il? demanda le prisonnier, comme s’il sortait d’un long rêve.

– Il y a, monseigneur, dit Aramis, qu’avant d’aller plus loin, nous avons besoin de causer, Votre Altesse Royale et moi.

– J’attendrai l’occasion, monsieur, répondit le jeune prince.

– Elle ne saurait être meilleure, monseigneur; nous voici au milieu du bois, nul ne peut nous entendre.

– Et le postillon?

– Le postillon de ce relais est sourd et muet, monseigneur.

– Je suis à vous, monsieur d’Herblay.

– Vous plaît-il de rester dans cette voiture?

– Oui, nous sommes bien assis, et j’aime cette voiture; c’est celle qui m’a rendu à la liberté.

– Attendez, monseigneur… Encore une précaution à prendre.

– Laquelle?

– Nous sommes ici sur le grand chemin: il peut passer des cavaliers ou des carrosses voyageant comme nous, et qui, à nous voir arrêtés, nous croiraient dans un embarras. Évitons des offres de services qui nous gêneraient.

– Ordonnez au postillon de cacher le carrosse dans une allée latérale.

– C’est précisément ce que je voulais faire, monseigneur.

Aramis fit un signe au muet, qu’il toucha. Celui-ci mit pied à terre, prit les deux premiers chevaux par la bride, et les entraîna dans les bruyères veloutées, sur l’herbe moussue d’une allée sinueuse, au fond de laquelle, par cette nuit sans lune, les nuages formatent un rideau plus noir que des taches d’encre.

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