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En effet, le jour, qui venait d’éclairer les deux derniers compartiments, eût montré aux soldats la barque roulant vers la mer, les deux rebelles à portée de mousquet et une de leurs décharges criblait le bateau, si elle ne tuait pas les cinq navigateurs.

En outre, en supposant tout, si la barque échappait avec les hommes qui la montaient, comment l’alarme ne serait-elle pas donnée? comment un avis ne serait-il pas envoyé aux chalands royaux? comment le pauvre canot, traqué sur mer et guetté sur terre, ne succomberait-il pas avant la fin du jour? Aramis, fouillant avec rage ses cheveux grisonnants, invoqua l’assistance de Dieu et l’assistance du démon.

Appelant Porthos, qui travaillait à lui seul plus que rouleaux et rouleurs:

– Ami, dit-il tout bas, il vient d’arriver un renfort à nos adversaires.

– Ah! fit tranquillement Porthos; que faire alors?

– Recommencer le combat, fit Aramis, c’est encore chanceux.

– Oui, dit Porthos, car il est difficile que, sur deux, on ne tue pas l’un de nous, et certainement, si l’un de nous était tué, l’autre se ferait tuer aussi.

Porthos dit ces mots avec ce naturel héroïque qui, chez lui, grandissait de toutes les forces de la matière.

Aramis sentit comme un coup d’éperon à son cœur.

– Nous ne serons tués ni l’un ni l’autre si vous faites ce que je vais vous dire, ami Porthos.

– Dites.

– Ces gens vont descendre dans la grotte.

– Oui.

– Nous en tuerons une quinzaine, mais pas davantage.

– Combien sont-ils en tout? demanda Porthos.

– Il leur est arrivé un renfort de soixante-quinze hommes.

– Soixante-quinze et cinq, quatre-vingts… Ah! ah! fit Porthos.

– S’ils font feu ensemble, ils nous cribleront de balles.

– Assurément.

– Sans compter, ajouta Aramis, que les détonations peuvent occasionner des éboulements dans la caverne.

– Tout à l’heure, en effet, dit Porthos, un éclat de roche m’a un peu déchiré l’épaule.

– Voyez-vous!

– Mais ce n’est rien.

– Prenons vite un parti. Nos Bretons vont continuer de rouler le canot vers la mer.

– Très bien.

– Nous deux, nous garderons ici la poudre, les balles et les mousquets.

– Mais à deux, mon cher Aramis, nous ne tirerons jamais trois coups de mousqueterie ensemble, dit naïvement Porthos; le moyen de la mousqueterie est mauvais.

– Trouvez-en donc un autre.

– Je l’ai trouvé! fit tout à coup le géant. Je vais me mettre en embuscade derrière le pilier avec cette barre de fer, et, invisible, inattaquable, lorsqu’ils seront entrés par flots, je laisse tomber ma barre sur les crânes trente fois par minute! Hein! qu’en dites-vous, du projet? vous sourit-il?

– Excellent, cher ami, parfait! j’approuve fort; seulement, vous les effraierez, et la moitié restera dehors pour nous prendre par la famine. Ce qu’il nous faut, mon bon ami, c’est la destruction entière de la troupe; un seul homme resté debout nous perd.

– Vous avez raison, mon ami; mais comment les attirer, je vous prie?

– En ne bougeant pas, mon bon Porthos.

– Ne bougeons pas; mais, quand il seront tous bien réunis?…

– Alors, laissez-moi faire, j’ai une idée.

– S’il en est ainsi, et que votre idée soit bonne… et elle doit être bonne, votre idée… je suis tranquille.

– En embuscade, Porthos, et comptez tous ceux qui entreront.

– Mais vous, que ferez-vous?

– Ne vous inquiétez pas de moi; j’ai ma besogne.

– J’entends des voix, ce me semble.

– Ce sont eux. À votre poste!… Tenez-vous à la portée de ma voix et de ma main.

Porthos se réfugia dans le second compartiment qui était absolument noir.

Aramis se glissa dans le troisième; le géant tenait en main une barre de fer du poids de cinquante livres. Porthos maniait avec une facilité merveilleuse ce levier qui avait servi à faire rouler la barque.

Pendant ce temps, les Bretons poussaient le canot jusqu’à la falaise.

Dans le compartiment éclairé, Aramis, baissé, caché, s’occupait à une manœuvre mystérieuse.

On entendit un commandement proféré à voix haute. C’était le dernier ordre du capitaine commandant. Vingt-cinq hommes sautèrent des roches supérieures dans le premier compartiment de la grotte, et, ayant pris terre, ils se mirent à faire feu.

Les échos grondèrent, des sifflements sillonnèrent la voûte, une fumée opaque emplit l’espace.

– À gauche! à gauche! cria Biscarrat, qui, dans son premier assaut, avait vu le passage de la seconde chambre, et qui, animé par l’odeur de la poudre, voulait guider ses soldats de ce côté.

La troupe se précipita effectivement à gauche; le couloir allait se rétrécissant; Biscarrat, les mains étendues, dévoué à la mort, marchait en avant des mousquets.

– Venez! venez! cria-t-il, je vois du jour!

– Frappez, Porthos! cria la voix sépulcrale d’Aramis.

Porthos poussa un soupir, mais il obéit.

La barre de fer tomba d’aplomb sur la tête de Biscarrat, qui fut tué sans avoir achevé son cri. Puis le levier formidable se leva et s’abaissa dix fois en dix secondes et fit dix cadavres.

Les soldats ne voyaient rien; ils entendaient des cris, des soupirs; ils foulaient des corps, mais n’avaient pas encore compris, et montaient en trébuchant les uns sur les autres.

L’implacable barre, tombant toujours, anéantit le premier peloton sans qu’un seul bruit eût averti le deuxième, qui s’avançait tranquillement.

Seulement, ce second peloton, commandé par le capitaine, avait brisé un maigre sapin qui poussait sur la falaise, et de ses branches résineuses, tordues ensemble, le capitaine s’était fait un flambeau.

En arrivant à ce compartiment où Porthos, pareil à l’ange exterminateur, avait détruit tout ce qu’il avait touché, le premier rang recula d’épouvante. Nulle fusillade n’avait répondu à la fusillade des gardes, et cependant on heurtait un monceau de cadavres, on marchait littéralement dans le sang.

Porthos était toujours derrière son pilier.

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