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Et, comme, naïvement, il lui demandait la raison de cette haine qu’elle portait au surintendant:

– Pourquoi le haïssez-vous vous-même? dit-elle.

– Madame, en politique, répliqua-t-il, les différences de systèmes peuvent amener des dissidences entre les hommes. M. Fouquet m’a paru pratiquer un système opposé aux vrais intérêts du roi.

Elle l’interrompit.

– Je ne vous parle plus de M. Fouquet. Le voyage que le roi fait à Nantes nous en rendra raison. M. Fouquet, pour moi, c’est un homme passé. Pour vous aussi.

Colbert ne répondit rien.

– Au retour de Nantes, continua la duchesse, le roi, qui ne cherche qu’un prétexte, trouvera que les États se sont mal comportés, qu’ils ont fait trop peu de sacrifices. Les États diront que les impôts sont trop lourds et que la surintendance les a ruinés. Le roi s’en prendra à M. Fouquet, et alors…

– Et alors? dit Colbert.

– Oh! on le disgraciera. N’est-ce pas votre sentiment?

Colbert lança vers la duchesse un regard qui voulait dire: «Si on ne fait que disgracier M. Fouquet, vous n’en serez pas la cause.»

– Il faut, se hâta de dire Mme de Chevreuse, il faut que votre place soit toute marquée, monsieur Colbert. Voyez-vous quelqu’un entre le roi et vous, après la chute de M. Fouquet?

– Je ne comprends pas, dit-il.

– Vous allez comprendre. Où vont vos ambitions?

– Je n’en ai pas.

– Il était inutile alors de renverser le surintendant, monsieur Colbert. C’est oiseux.

– J’ai eu l’honneur de vous dire, madame…

– Oh! oui, l’intérêt du roi, je sais; mais, enfin, parlons du vôtre.

– Le mien, c’est de faire les affaires de Sa Majesté.

– Enfin, perdez-vous ou ne perdez-vous pas M. Fouquet? Répondez sans détour.

– Madame, je ne perds personne.

– Je ne comprends pas alors pourquoi vous m’avez acheté si cher les lettres de M. Mazarin concernant M. Fouquet. Je ne conçois pas non plus pourquoi vous avez mis ces lettres sous les yeux du roi.

Colbert, stupéfait, regarda la duchesse, et, d’un air contraint:

– Madame, dit-il, je conçois encore moins comment, vous qui avez touché l’argent, vous me le reprochez.

– C’est que, fit la vieille duchesse, il faut vouloir ce qu’on veut, à moins qu’on ne puisse ce qu’on veut.

– Voilà, dit Colbert, démonté par cette logique brutale.

– Vous ne pouvez? hein? Dites.

– Je ne puis, je l’avoue, détruire auprès du roi certaines influences.

– Qui combattent pour M. Fouquet? Lesquelles? Attendez, que je vous aide.

– Faites, madame.

– La Vallière?

– Oh! peu d’influence, aucune connaissance des affaires et pas de ressort. M. Fouquet lui a fait la cour.

– Le défendre, ce serait l’accuser elle-même, n’est-ce pas?

– Je crois que oui.

– Il y a encore une autre influence, qu’en dites-vous?

– Considérable.

– La reine mère, peut-être?

– Sa Majesté la reine mère a pour M. Fouquet une faiblesse bien préjudiciable à son fils.

– Ne croyez pas cela, fit la vieille en souriant.

– Oh! fit Colbert avec incrédulité, je l’ai si souvent éprouvé!

– Autrefois?

– Récemment encore, madame, à Vaux. C’est elle qui a empêché le roi de faire arrêter M. Fouquet.

– On n’a pas tous les jours le même avis, cher monsieur. Ce que la reine a pu vouloir récemment, elle ne le voudrait peut-être plus aujourd’hui.

– Pourquoi? fit Colbert étonné.

– Peu importe la raison.

– Il importe beaucoup, au contraire; car, si j’étais certain de ne pas déplaire à Sa Majesté la reine mère, tous mes scrupules seraient levés.

– Eh bien! vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de certain secret?

– Un secret?

– Appelez cela comme vous voudrez. Bref, la reine mère a pris en horreur tous ceux qui ont participé, d’une façon ou d’une autre, à la découverte de ce secret, et M. Fouquet, je crois, est un de ceux-là.

– Alors, fit Colbert, on pourrait être sûr de l’assentiment de la reine mère?

– Je quitte à l’instant Sa Majesté, qui me l’a assuré.

– Soit, madame.

– Il y a plus: vous connaissez peut-être un homme qui était l’ami intime de M. Fouquet, M. d’Herblay, un évêque, je crois?

– Évêque de Vannes.

– Eh bien! ce M. d’Herblay, qui connaissait aussi ce secret, la reine mère le fait poursuivre avec acharnement.

– En vérité!

– Si bien poursuivre, que, fût-il mort, on voudrait avoir sa tête pour être assuré qu’elle ne parlera plus.

– C’est le désir de la reine mère?

– Un ordre.

– On cherchera ce M. d’Herblay, madame.

– Oh! nous savons bien où il est.

Colbert regarda la duchesse.

– Dites, madame.

– Il est à Belle-Île-en-Mer.

– Chez M. Fouquet?

– Chez M. Fouquet.

– On l’aura!

Ce fut au tour de la duchesse à sourire.

– Ne croyez pas cela si facilement, dit-elle, et ne le promettez pas si légèrement.

– Pourquoi donc, madame?

– Parce que M. d’Herblay n’est pas de ces gens qu’on prend quand on veut.

– Un rebelle, alors?

– Oh! nous autres, monsieur Colbert, nous avons passé toute notre vie à faire les rebelles, et, pourtant, vous le voyez bien, loin d’être pris, nous prenons les autres.

Colbert attacha sur la vieille duchesse un de ces regards farouches dont rien ne traduisait l’expression, et, avec une fermeté qui ne manquait point de grandeur:

– Le temps n’est plus, dit-il, où les sujets gagnaient des duchés à faire la guerre au roi de France. M. d’Herblay, s’il conspire, mourra sur un échafaud. Cela fera ou ne fera pas plaisir à ses ennemis, peu nous importe.

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