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– Il fuit!… s’écria M. Fauvel.

– Naturellement, répondit M. Verduret, sans daigner tourner la tête, je pensais bien qu’il aurait cet esprit-là.

– Cependant…

– Quoi!… voulez-vous ébruiter tout ceci? Tenez-vous à raconter devant la police correctionnelle de quelles scélératesses votre femme a été victime…

– Oh!… monsieur!…

– Laissez donc fuir ce misérable, alors. Voici les trois cent cinquante mille francs volés, le compte y est. Voici toutes les reconnaissances des objets engagés par lui. Tenons-nous pour satisfaits. Il emporte une cinquantaine de mille francs encore, tant mieux. Cette somme lui permet de passer à l’étranger, nous n’entendrons plus parler de lui…

Comme tout le monde, M. Fauvel subissait l’ascendant de M. Verduret.

Peu à peu, il était revenu au sentiment de la réalité, des perspectives inespérées s’ouvraient devant lui, il comprenait qu’on venait de lui sauver mieux que la vie.

L’expression de sa gratitude ne se fit pas attendre. Il saisit les mains de M. Verduret presque comme s’il eût voulu les porter à ses lèvres, et de la voix la plus émue, il dit:

– Comment vous prouver jamais l’étendue de ma reconnaissance, monsieur?… Comment reconnaître le service immense que vous m’avez rendu?…

M. Verduret réfléchissait.

– S’il en est ainsi, commença-t-il, j’aurais une grâce à vous demander.

– Une grâce, vous!… à moi? Parlez, monsieur, parlez! ne voyez-vous pas que ma personne aussi bien que ma fortune sont à votre disposition.

– Eh bien! donc, monsieur, je vous avouerai que je suis un ami de Prosper. Ne l’aiderez-vous pas à se réhabiliter? Vous pouvez tant pour lui, monsieur! il aime mademoiselle Madeleine…

– Madeleine sera sa femme, monsieur, interrompit M. Fauvel; je vous le jure. Oui, je le réhabiliterai, et avec tant d’éclat que nul jamais n’osera lui reprocher ma fatale erreur.

Le gros homme, tout comme s’il se fût agi d’une visite ordinaire, était allé reprendre sa canne et son chapeau déposés dans un angle.

– Vous m’excuserez de vous importuner, fit-il, mais madame Fauvel…

– André!… murmura la pauvre femme, André!…

Le banquier hésita d’abord quelques secondes, puis, prenant bravement son parti, il courut à sa femme, qu’il serra entre ses bras, en disant:

– Non, je ne serai pas assez fou pour lutter contre mon cœur! Je ne pardonne pas, Valentine, j’oublie, j’oublie tout…

M. Verduret n’avait plus rien à faire au Vésinet.

C’est pourquoi, sans prendre congé du banquier, il s’esquiva, regagna la voiture qui l’avait amené, et donna ordre au cocher de le conduire à Paris, à l’hôtel du Louvre… et bon train.

En ce moment il était dévoré d’inquiétudes. Du côté de Raoul, tout était arrangé, le jeune filou devait être loin. Mais était-il possible de soustraire Clameran au châtiment qu’il avait mérité? Non, évidemment.

Or, M. Verduret se demandait, comment livrer Clameran à la justice, sans compromettre Mme Fauvel, et il avait beau repasser son répertoire d’expédients, il n’en voyait aucun s’ajustant aux circonstances présentes.

Il n’y a, pensait-il, qu’un moyen. Il faut qu’une accusation d’empoisonnement parte d’Oloron. Je puis y aller travailler «l’opinion publique», on clabaudera [10], il y aura enquête. Oui, mais tout cela demande du temps, et Clameran est trop bien averti pour ne pas jouer de ses jambes.

Il était vraiment désolé de son impuissance, quand la voiture s’arrêta devant l’hôtel du Louvre. Il faisait presque nuit.

Sous le porche de l’hôtel et sous les arcades, une centaine de personnes au moins se pressaient, et, en dépit des «Circulez! circulez!» des sergents de ville, paraissaient s’entretenir d’un grave événement.

– Qu’arrive-t-il? demanda M. Verduret à un des badauds.

– Un fait inouï, monsieur, répondit l’autre, qui était une espèce de Prudhomme, un fait bizarre et même singulier, comme on n’en voit que dans la capitale; car je l’ai vu, parfaitement vu, tenez, c’est à la septième lucarne là-haut, qu’il a paru d’abord; il était à moitié nu! On a voulu le saisir, bast!… avec l’agilité d’un singe ou d’un somnambule, il s’est élancé sur le toit en criant à l’assassin! L’extrême imprudence de cette action me fait supposer…

Le badaud s’arrêta court, très vexé; son interlocuteur venait de le quitter.

– Si c’était lui, pensait M. Verduret, si l’effroi avait désorganisé ce cerveau si merveilleusement disposé pour le crime!…

Tout en poursuivant son monologue, il avait joué des coudes et avait réussi à pénétrer dans la cour de l’hôtel.

Là, au pied du grand escalier, M. Fanferlot, en compagnie de trois physionomies singulières, attendait.

– Eh bien!… cria M. Verduret.

Avec un louable ensemble, les quatre hommes tombèrent au port d’armes.

– Le patron!… dirent-ils.

– Voyons, fit le gros homme avec un juron, qu’y a-t-il?

– Il y a, patron, reprit Fanferlot d’un air désolé, il y a que je n’ai pas de chance, voyez-vous. Pour une fois que je tombe sur une vraie affaire, paf! mon criminel fait banqueroute.

– Alors, c’est Clameran qui…

– Eh!… oui! c’est lui! En m’apercevant ce matin, le gaillard a détalé comme un lièvre, d’un train, oh! mais d’un train… je croyais qu’il irait comme cela jusqu’à Ivry, pour le moins. Pas du tout. Arrivé au boulevard des Écoles, une idée subite le prend, et il accourt ici. Très probablement il venait chercher son magot. Il entre; que voit-il? Mes trois camarades ici présents. Cette vue a été pour lui comme un coup de marteau sur le front. Il s’est vu perdu, la raison a déménagé.

– Mais où est-il?

– À la préfecture, sans doute, j’ai vu des sergents de ville le ficeler et le porter dans un fiacre.

– Alors, arrive…

C’est, en effet, dans une de ces cellules particulières, réservées aux hôtes dangereux, que M. Verduret et Fanferlot trouvèrent Clameran.

On lui avait passé une camisole de force, et il se débattait furieusement entre trois employés et un médecin qui voulait lui faire avaler une potion.

– Au secours!… criait-il, à moi, à l’aide!… Ne le voyez-vous pas? Il s’avance, c’est mon frère, il veut m’empoisonner!…

M. Verduret prit le médecin à part, pour lui demander quelques renseignements.

– Ce malheureux est perdu, répondit le docteur; ce genre particulier d’aliénation ne se guérit pas, Il croit qu’on veut l’empoisonner, il repoussera toute boisson, toute nourriture… et, quoiqu’on tente, il finira par mourir de faim, après avoir subi toutes les tortures du poison.

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[10] On médira. (N. d. E.)

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