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– Ah! taisez-vous!… s’écria-t-il, en blasphémant, taisez-vous!…

Il y eut un long silence, qu’interrompaient seuls les sanglots de Mme Fauvel.

– J’étais venu, reprit le banquier, avec l’intention formelle de vous surprendre et de vous tuer tous deux. Je vous ai surpris, mais… le courage, oui, le courage me manque… Je ne saurais tuer un homme désarmé.

Raoul essaya une protestation.

– Laissez-moi parler! interrompit M. Fauvel. Votre vie est entre mes mains, n’est-ce pas? La loi excuse la colère du mari offensé. Eh bien! je ne veux pas de l’excuse du Code. Je vois sur votre cheminée un revolver semblable au mien, prenez-le et défendez-vous…

– Jamais!…

– Défendez-vous! poursuivit le banquier en élevant son arme, défendez-vous; sinon…

Raoul vit à un pied de sa poitrine le canon du revolver de M. Fauvel, il eut peur et prit son arme sur la cheminée!

– Mettez-vous dans un des angles de la chambre, continua le banquier, je vais me placer dans l’autre, au coup de votre pendule qui va sonner dans quelques secondes, nous tirerons ensemble.

Ils se placèrent comme le disait M. Fauvel, lentement, sans mot dire. Mais la scène était trop affreuse pour que Mme Fauvel pût la supporter. Elle ne comprit plus qu’une chose, c’est que son fils et son mari allaient s’égorger, là, sous ses yeux.

L’épouvante et l’horreur lui donnèrent la force de se lever, et elle se plaça entre les deux hommes, les bras étendus, comme si elle eût eu l’espérance d’arrêter les balles. Elle s’était tournée vers son mari:

– Par pitié, André, gémissait-elle, laisse-moi tout te dire, ne le tue pas.

Cet élan de l’amour maternel, M. Fauvel le prit pour le cri de la femme adultère défendant son amant.

Avec une brutalité inouïe, il saisit sa femme par le bras et la jeta de côté, en criant:

– Arrière!…

Mais elle revint à la charge, et se précipitant sur Raoul elle l’étreignit entre ses bras en disant:

– C’est moi qu’il faut tuer, moi seule, car seule je suis coupable.

À ces mots, un flot de sang monta à la tête de M. Fauvel, il ajusta ce groupe odieux et fit feu.

Ni Raoul ni Mme Fauvel ne tombant, le banquier fit feu une seconde fois, puis une troisième…

Il armait son revolver pour la quatrième fois quand un homme tomba au milieu de la chambre, qui arracha l’arme des mains du banquier, l’étendit sur un canapé et se précipita vers Mme Fauvel.

Cet homme était M. Verduret, que Cavaillon avait enfin trouvé et prévenu, mais qui ne savait pas que Mme Gypsy avait retiré les balles du revolver de M. Fauvel.

– Grâce au Ciel! s’écria-t-il, elle n’a pas été touchée.

Mais déjà le banquier s’était relevé.

– Laissez-moi, faisait-il en se débattant, je veux me venger!…

M. Verduret lui saisit les poignets, qu’il serra à les briser, et, approchant son visage du sien comme pour donner à ses paroles une autorité plus grande:

– Remerciez Dieu, lui dit-il, de vous avoir épargné un crime atroce; la lettre anonyme vous a trompé.

Les situations exorbitantes ont ceci d’étrange, que les événements excessifs qui en procèdent semblent naturels aux acteurs qui y sont mêlés et dont la passion a déjà brisé le cadre des conventions sociales.

M. Fauvel ne songea à demander à cet homme survenu tout à coup, ni qui il était ni d’où il tenait ses informations.

Il ne vit, il ne retint qu’une chose: la lettre anonyme mentait.

– Ma femme avoue qu’elle est coupable! murmura-t-il.

– Oui, elle l’est, répondit M. Verduret, mais non comme vous l’entendez. Savez-vous quel est cet homme que vous vouliez tuer?

– Son amant!…

– Non… mais son fils!…

La présence de cet inconnu si bien informé semblait confondre Raoul et l’épouvanter plus encore que les menaces de M. Fauvel. Cependant, il eut assez de présence d’esprit pour répondre:

– C’est vrai!

Le banquier semblait près de devenir fou, et ses yeux hagards allaient de M. Verduret à Raoul, puis à sa femme, plus affaissée que le criminel qui attend un arrêt de mort.

Tout à coup, l’idée qu’on voulait se jouer de lui traversa son cerveau.

– Ce que vous me dites n’est pas possible! s’écria-t-il; des preuves!

– Des preuves, répondit M. Verduret, vous en aurez; mais pour commencer, écoutez.

Et, rapidement, avec sa merveilleuse faculté d’exposition, il esquissa à grands traits le drame qu’il avait découvert.

Certes, la vérité était affreuse encore pour M. Fauvel; mais qu’était-elle, près de ce qu’il avait soupçonné!

Aux douleurs ressenties, il reconnaissait qu’il aimait encore sa femme. Ne pouvait-il pardonner une faute lointaine, rachetée par une vie de dévouement et noblement expiée?

Depuis plusieurs minutes, déjà, M. Verduret avait achevé son récit, et le banquier se taisait.

Tant d’événements, qui se précipitaient depuis quarante-huit heures, irrésistibles comme l’avalanche, l’horrible scène qui venait d’avoir lieu étourdissaient M. Fauvel et lui enlevaient toute faculté de réflexion.

Ballottée comme le liège au caprice de la vague, sa volonté flottait éperdue au gré des événements.

Si son cœur lui conseillait le pardon et l’oubli, l’amour-propre offensé lui disait de se souvenir pour se venger.

Sans Raoul, ce misérable qui était là, debout, témoignage vivant d’une faute lointaine, il n’eût pas hésité. Gaston de Clameran était mort, il eût ouvert ses bras à sa femme en lui disant: «Viens, tes sacrifices à mon honneur seront ton absolution, viens, et que tout le passé ne soit qu’un mauvais rêve que dissipe le jour.»

Mais Raoul l’arrêtait.

– Et c’est là votre fils, dit-il à sa femme, cet homme qui vous a dépouillée, qui m’a volé!

Mme Fauvel était trop bouleversée pour pouvoir articuler une syllabe. Heureusement, M. Verduret était là.

– Oh! répondit-il, madame vous dira qu’en effet ce jeune homme est le fils de Gaston de Clameran, elle le croit, elle en est sûre… seulement…

– Eh bien!…

– Pour la dépouiller plus aisément, on l’a indignement trompée.

Depuis un moment déjà, Raoul manœuvrait habilement pour se rapprocher de la porte. S’imaginant que personne en ce moment ne songeait à lui, il voulut fuir…

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