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XXI LA CORRECTION

Noé Poisson, accompagné de d’Assas reprit, tout joyeux, le chemin de son hôtellerie.

En passant devant la grille du château, le chevalier put se rendre compte que tout y paraissait calme et qu’aucune animation inaccoutumée à cette heure tardive ne dénotait qu’un événement imprévu se fût produit.

– Bon! pensa d’Assas, on ne s’est encore aperçu de rien. Jusqu’à demain me voilà tranquille.

Et sans rien laisser paraître de ses pensées, il suivit Noé qui, dans sa hâte joyeuse, courait plus qu’il ne marchait.

Aussitôt arrivé, Noé, suant et soufflant, grimpa vivement jusqu’à la chambre qu’il occupait avec le poète, ouvrit la porte en coup de vent et cria d’une voix de stentor:

– Le voilà!… je te l’amène!…

Crébillon, surpris au moment où il s’occupait tranquillement à boucler leur valise commune, sursauta et regarda son compère pour s’assurer s’il ne perdait pas le peu de raison que le ciel lui avait départi.

Mais, sans remarquer la vague inquiétude de son ami, l’ivrogne ajouta triomphalement:

– Je savais bien, moi, que je le trouverais, ton chevalier d’Assas!…

– Plaît-il?… fit Crébillon stupéfait; tu dis…?

– Je dis que je t’amène M. d’Assas, répondit Noé radieux. Arrivez donc, chevalier… par ici… Tiens le voilà!…

En effet, d’Assas qui avait suivi posément Noé qui, dans sa joie, montait les marches quatre à quatre, d’Assas faisait son entrée dans la chambre.

– Monsieur d’Assas! fit le poète joyeusement; pardieu! monsieur, soyez le bienvenu, car je vous réponds que vous étiez bien désiré.

– Et si tu savais où je l’ai trouvé! reprit Noé qui se gonflait à en éclater… Il m’est tombé du ciel dans les bras, pour ainsi dire… N’est-ce pas, monsieur d’Assas?

D’Assas, pendant les quelques instants qu’ils venaient de passer en compagnie de l’ivrogne, avait pu se convaincre de sa sincérité et, s’il avait eu quelques vagues soupçons, ils s’étaient évanouis devant son calme imperturbable et ses manières communes, mais empreintes d’une bonne et grosse cordialité.

Aussi ce fut avec un léger sourire qu’il répondit:

– Chut! monsieur, ne criez pas mon nom si haut!…

Et comme Crébillon d’un coup d’œil expressif, semblait demander le pourquoi d’une réserve aussi prudente; comme Noé, ainsi qu’il faisait toutes les fois qu’il ne saisissait pas bien ce qui se disait, roulait des yeux effarés, le chevalier, répondant à la muette interrogation du poète, ajouta sans donner plus d’explications:

– C’est que, voyez-vous, je sors d’un endroit où je ne tiens nullement à retourner… ce qui pourrait m’arriver, si votre ami s’obstinait à prononcer mon nom aussi haut qu’il le faisait tout à l’heure.

– Diable! fit le poète qui, croyant deviner, regarda fixement d’Assas.

Celui-ci du reste, n’eut pas l’air de remarquer l’insistance avec laquelle Crébillon le regardait et, dans sa hâte d’amener la conversation sur le seul sujet qui l’intéressât, il demanda:

– Vous avez à m’apprendre, m’a dit monsieur, des choses très graves et très importantes concernant Mme d’Étioles?

– Mais, fit Crébillon, c’est moi qui, au contraire, compte sur vous pour avoir des nouvelles de Jeanne… C’est uniquement dans cet espoir que je vous ai cherché partout.

– M. Poisson m’a déjà dit que vous me cherchiez depuis quelque temps. Vous me dites, vous, que vous attendez de moi des nouvelles de Mme d’Étioles, c’est bien cela, n’est-ce pas?

– C’est cela même.

– Mais qui vous fait supposer que je sois à même de vous donner les nouvelles que vous espérez… alors que moi-même je ne suis venu ici que dans l’espérance d’y trouver les renseignements… que vous attendez de moi?

Crébillon se gratta vigoureusement le nez, ce qui, chez lui, était l’indice de réflexions sérieuses, et s’adressant à Noé qui écoutait très attentivement, il lui dit:

– Voyez donc, cher ami, s’il n’y a pas par là quelques bouteilles pleines accompagnées de quelques provisions… Il est l’heure où les honnêtes gens soupent et M. d’Assas voudra bien, je l’espère, nous faire l’honneur de partager notre en-cas.

Et comme le chevalier esquissait un geste de refus, il ajouta:

– Les explications que nous allons avoir à nous donner tous les deux, monsieur, seront longues… je le crois… laborieuses… je le crains… Or, à mon avis, rien ne facilite un échange de vues et d’impressions comme une table bien garnie et quelques flacons de vieux vin… Acceptez donc sans façon ce qui vous est offert de grand cœur.

Le chevalier, gagné par la cordialité des manières et par la franchise du regard du poète, s’inclina en signe d’acceptation.

Noé, pendant ce temps, avec un empressement et une célérité qui prouvaient combien la proposition de son ami lui agréait, tirait d’un placard des provisions de réserve qu’il disposait prestement sur une table, en les flanquant d’un nombre respectable de flacons poudreux.

Lorsqu’ils se furent installés commodément et que le premier appétit commença d’être satisfait, le poète, reprenant la conversation, dit:

– Si je vous ai bien compris monsieur, vous ignorez où se trouve Mme d’Étioles, vous ne savez pas ce qu’elle est devenue et vous comptiez sur moi pour vous l’apprendre?

– Je l’avoue. C’est du reste ce que M. Poisson m’avait fait espérer en me disant que vous aviez des nouvelles importantes à me communiquer à ce sujet.

– Bien! bien!… Moi, de mon côté, j’ignore complètement ce qu’il est advenu de la personne qui nous occupe et qui a disparu, et… je comptais sur vous pour me l’apprendre.

– J’entends bien, monsieur… Et j’ai déjà eu l’honneur de vous demander ce qui vous faisait croire que j’étais à même de vous donner ces renseignements?

– Mais, fit Crébillon en fixant d’Assas, n’avez-vous pas rejoint Mme d’Étioles sur la route de Versailles?

– Sans doute… Mais je ne vois pas…

– Or, Jeanne a disparu à dater de cet instant, et depuis elle est introuvable.

– Pardon! vous faites erreur… Mme d’Étioles, après que je l’eus quittée sur la route de Versailles où je l’avais rejointe en effet, a accepté l’hospitalité qui lui était offerte par… quelqu’un qui se trouvait dans son carrosse, dans une petite maison que je connais, où elle est restée plusieurs jours, d’où elle est sortie librement pour être conduite par moi dans une autre maison de ma connaissance, et c’est à dater de ce moment seulement qu’elle a disparue et que, par suite de circonstances indépendantes de ma volonté, je me suis trouvé dans l’impossibilité de veiller sur elle.

Pendant qu’il parlait, Crébillon observait attentivement le chevalier, et sa physionomie ouverte et loyale l’impressionnait sans doute favorablement, car il répondit:

– Tenez, chevalier, nous nous défions mutuellement l’un de l’autre et nous avons tort, car vous êtes, je le sens, aussi loyal que moi. Le meilleur moyen que nous ayons d’arriver à nous entendre est d’être francs et sincères vis-à-vis l’un de l’autre. Je vais donc vous donner l’exemple et je jouerai cartes sur table avec vous… Vous verrez ensuite ce que vous aurez à faire.

Alors le poète raconta par le détail comment il avait pris part à l’enlèvement de Jeanne et tout ce qui était arrivé à la suite de cet événement.

Il répéta tout ce que le lieutenant de police lui avait dit lors de la visite qu’il lui fit et enfin narra dans tous ses détails par quel hasard bien heureux il put pénétrer dans la maison de la ruelle aux Réservoirs et s’assurer de ses propres yeux que Jeanne n’y était pas.

Il n’omit aucun détail, n’oublia aucun nom et parla, comme il l’avait dit, avec la plus entière franchise, ajoutant, en manière de conclusion:

– Vous savez, maintenant, pourquoi je vous ai tant cherché et pourquoi j’espérais de vous des nouvelles positives de Mme d’Étioles.

Pendant tout ce récit assez long, d’Assas avait écouté très attentivement, et au fur à mesure que Crébillon lui donnait toutes sortes de détails précis, il se rendait compte qu’il pourrait sans crainte se confier à ce poète ivrogne, assuré qu’il était de trouver en lui sinon un ami prêt à lui venir en aide au besoin, du moins un galant homme incapable d’une trahison ou d’une vilenie, et peut-être même de trouver en lui un auxiliaire précieux, puisque tous deux, pour des motifs différents, poursuivaient le même but, qui était d’arracher Mme d’Étioles à la griffe des ennemis puissants qui s’acharnaient à sa perte.

Les renseignements que Crébillon lui donnait concordaient de tous points avec ceux qui lui avaient été fournis par de Bernis.

Il lui apparaissait de plus en plus clair et évident que l’ennemi le plus redoutable de Jeanne, c’était encore et toujours cette comtesse du Barry qui, quelques heures plus tôt, s’offrait cyniquement à lui.

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