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III MADAME D’ÉTIOLES

Dans la maison de la ruelle aux Réservoirs, Jeanne demeurée seule, était restée quelques minutes palpitante de la scène qu’elle venait d’avoir avec le chevalier d’Assas.

En somme, elle venait de renoncer à son amour pour Louis XV.

Elle avait juré de ne jamais être ni au roi ni à personne.

Un profond soupir gonfla son sein.

Se repentait-elle donc déjà du sacrifice qu’elle venait d’accomplir?

Non… le chevalier lui paraissait en tout digne de ce sacrifice: à sa générosité, elle avait répondu par une autre générosité, voilà tout!…

Il est impossible de dire que Jeanne éprouvait le moindre amour pour d’Assas.

Mais on peut affirmer que le sentiment très particulier, un peu étrange, qu’il lui inspirait, était plus que de l’admiration, mieux que de l’affection.

Elle ne l’aimait pas, uniquement parce qu’elle aimait le roi.

Mais elle regrettait de ne pas l’aimer.

En disant au chevalier qu’elle l’avait rencontré trop tard, elle avait prononcé une parole plus que vraie: profonde.

D’Assas lui apparaissait comme un de ces preux de la chevalerie antique, mais avec plus de charme gracieux. Il était la bravoure incarnée. Il était impossible de rêver plus rayonnante loyauté. Il était beau. Sa jeunesse en fleur était d’une exquise fraîcheur.

De sorte que d’Assas était comme un de ces Princes Charmants qui, dans les tant jolis contes de M. Perrault, parcouraient le monde pour délivrer les princesses opprimées…

Voilà comment le chevalier apparaissait à Jeanne.

Le malheur pour lui – et pour elle – c’est qu’elle en aimait un autre.

Aucune comparaison n’était possible entre lui et l’autre.

Seulement, cet autre, c’était le roi! La puissance, le prestige, la gloire, le rayonnement, tout ce miroir qui attirait sa jolie âme d’alouette.

Et voilà pourquoi Jeanne ne regrettait pas le sacrifice d’amour qu’elle venait de faire.

Mais aussi voilà pourquoi elle soupirait en songeant à ce sacrifice.

Bravement, elle résolut d’en prendre son parti, et bien qu’elle eût le cœur gros, bien qu’elle eût fort envie de pleurer, elle se mit au clavecin sur lequel elle laissa errer ses doigts délicats.

Sa pensée, pourtant, s’en allait à l’aventure.

Parfois, une épouvante lui revenait de ce péril mystérieux qui avait menacé le roi. Mais aussitôt elle se disait que le roi serait certainement sauvé…

Sauvé par elle!… une sorte d’orgueil naïf et tendre l’envahissait alors. Son front s’empourprait. Ses doigts, sur le clavier, exécutaient une improvisation à la fois brillante et plaintive.

Car elle improvisait.

Rarement elle jouait des morceaux connus. La plupart du temps, elle laissait son imagination déborder en trouvailles harmoniques.

Et presque toujours ces improvisations frêles, délicates, affectaient un rythme de danse… mais d’une danse faite pour des êtres aériens, pour des fées… ou pour des enfants…

C’est ainsi qu’un jour, dans une situation d’esprit à peu près analogue, elle avait trouvé l’air si joli, si tendre, d’une gaieté si mélancolique: Nous n’irons plus au bois…

Jeanne était résolue à ne pas s’endormir.

Toute fatiguée qu’elle était, elle prétendait attendre le retour du chevalier et se faire par lui reconduire à Paris, une fois qu’elle aurait l’assurance formelle que le roi était sauvé.

Cette fatigue, d’ailleurs, elle ne la ressentait pas: son organisation, nerveuse à l’excès, lui permettait des résistances prolongées qu’elle payait ensuite fort cher par des crises de sanglots ou des abattements profonds.

Cependant les heures s’écoulaient, et le chevalier ne revenait pas.

À un moment, le timbre se mit à tinter et la fit tressaillir. Elle regarda: il était sept heures du matin…

Aucune inquiétude pourtant ne lui venait encore.

Lentement, elle quitta le clavecin et se mit à inspecter l’appartement où elle se trouvait.

D’un signe de tête, elle approuva, elle qui s’y connaissait, au bon goût qui avait présidé à l’arrangement de ces pièces.

Évidemment, celui qui en avait disposé la décoration était un parfait connaisseur. Ce n’était pas absolument luxueux, mais d’une heureuse disposition et d’un charme particulier.

En allant et venant, Jeanne arriva à la chambre à coucher, et l’inspecta du seuil.

Elle n’y entra pas!…

Elle se contenta de constater qu’elle était en harmonie avec le reste de l’appartement, et un vague sourire à la fois triste et malicieux, – tout son cœur! – erra sur ses jolies lèvres pâlies.

Elle revint au petit salon.

Mais qui avait arrangé ainsi cet appartement?

Le chevalier d’Assas?

Elle avait peine à le concevoir, puisque d’Assas était un pauvre officier n’ayant guère que sa solde pour vivre. Et quelle solde!… Et encore n’était-elle pas toujours régulièrement payée.

Quand le roi avait un peu trop dépensé pour ses menus plaisirs, quand il n’y avait pas moyen de lever un nouvel impôt pour boucher le trou, on en était quitte pour fermer pour un mois les caisses de l’État.

Les officiers criaient. On les laissait crier, et d’ailleurs il était toujours entendu que, tôt ou tard, il y aurait un rappel de solde.

Huit heures du matin sonnèrent à la pendule en porcelaine de Saxe que, sur la cheminée de marbre, saluaient de part et d’autres d’adorables marquis en biscuit aux couleurs tendres.

Jeanne commençait à s’énerver.

L’atmosphère un peu lourde qui régnait dans ce salon lui pesait.

Et elle alla à la fenêtre, pour laisser entrer un peu d’air et de lumière.

Les épais rideaux en lourde soie étaient hermétiquement fermés. Elle les tira. À l’extérieur, à travers les vitres, elle vit que les volets en chêne plein étaient rabattus.

Alors, elle voulut ouvrir. Avec étonnement, mais sans inquiétude, elle constata qu’à cette fenêtre, il n’y avait rien pour ouvrir… Bien mieux, la fenêtre paraissait fermée et peut-être clouée depuis longtemps.

Elle alla à la fenêtre de la salle à manger: même impossibilité!…

Elle courut à celle de la chambre à coucher: toujours même fermeture hermétique et mêmes volets pleins rabattus de l’extérieur!

Alors, non encore de la terreur, mais une peur sourde s’empara d’elle.

Elle courut à la porte et voulut ouvrir: la porte était fermée à double tour!…

– Oh! songea-t-elle affolée, que se passe-t-il? où suis-je?… Quelle est cette maison mystérieuse?… Pourquoi suis-je enfermée?…

Et dominant toutes ces question, une autre se dressa dans son esprit, plus impérieuse:

– Qui m’a enfermée?… Qui donc a eu intérêt à m’enfermer? Aucune réponse possible!

Pendant une heure, dans l’espoir qu’elle découvrirait une issue, un moyen quelconque de sortir ou d’ouvrir, elle parcourut tout l’appartement en tout sens, ouvrit les placards, revint cent fois aux fenêtres et à la porte.

Elle dut se rendre à l’évidence…

Elle était prisonnière!…

– Mais de qui? De qui donc? se demandait-elle avec plus d’irritation encore que de terreur.

Et d’Assas! pourquoi ne revenait-il pas? que lui était-il arrivé?…

Pas un instant, d’ailleurs, elle ne le soupçonna d’être le complice de cette sorte de séquestration dont elle était la victime.

Elle redouta que lui-même n’eût succombé à quelque guet-apens.

Alors, tout à coup, une pensée terrifiante se fit jour dans son esprit affolé.

Si d’Assas était prisonnier comme elle… eh bien… il n’avait pu arriver jusqu’au roi! Il n’avait pu le prévenir!…

Le roi était perdu!…

– C’est effroyable, songea-t-elle, mais je vois clair maintenant! L’horrible traquenard m’apparaît dans tous ses détails!… Il est évident que les gens qui m’ont été signalés par cette Julie avaient aposté des agents à eux près de la maison… il nous ont suivis, d’Assas et moi…

Ici, dans son raisonnement, il y avait un obstacle.

Ces gens avaient donc pu pénétrer dans la maison où elle se trouvait, où l’avait conduite d’Assas?

Qu’ils eussent attendu le chevalier à la porte pour l’empêcher d’arriver au roi, cela était malheureusement trop probable, puisque depuis deux heures déjà d’Assas eût dû être de retour!

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