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XVII LE PLAN DE M. JACQUES SE DESSINE

Dans l’après-midi du même jour, le chevalier reçut une autre visite.

Cette fois, c’était de Bernis qui s’était présenté à la porte du corps de garde et avait demandé au baron de Marçay la permission de tenir compagnie quelques instants à son prisonnier.

Obéissant aux ordres qu’il avait reçus, cet officier, non sans s’être fait prier comme il avait fait le matin même pour Saint-Germain, consentit enfin à autoriser cette seconde visite et, de même que pour Saint-Germain, se retira discrètement.

Mais, à l’opposé du comte qui avait gracieusement insisté pour qu’il assistât à son entretien avec le chevalier, de Bernis laissa le baron se retirer sans rien faire pour le retenir, et attendit même prudemment qu’il fût rentré dans son appartement, pour entamer la conversation.

– Chevalier, fit de Bernis après les compliments d’usage; chevalier, j’ai appris votre arrestation et j’ai vainement essayé d’arriver jusqu’à vous. Ce diable de Verville était un cerbère plus farouche à lui seul que tous les cerbères de la mythologie… Enfin! heureusement que de Marçay est de meilleure composition… car j’ai des choses très graves à vous apprendre.

– Je vous écoute, monsieur, répondit d’Assas avec une pointe de froideur.

En effet, le chevalier se sentait pris de soupçons vagues. De Verville était un soldat qui exécutait strictement sa consigne, mais en même temps, c’était un ami, de fraîche date il est vrai, qui n’en était pas moins sincère et dévoué. La preuve en était dans l’empressement qu’il avait mis à prévenir Saint-Germain dès qu’il avait été libéré de toute entrave et de toute contrainte vis-à-vis de son ex-prisonnier.

Or, de Verville, un ami, avait, paraît-il, refusé quelques faveurs qu’il jugeait incompatibles avec la consigne reçue, alors que ce de Marçay accordait, dès le premier jour, tout ce que l’autre avait cru devoir refuser.

Pourquoi?… dans quel but?…

D’une part, de Verville, l’ami nouveau, lui avait conseillé de se défier de ce Marçay. Jusqu’à quel point y avait-il lieu de tenir compte de cette recommandation?… Un secret pressentiment lui disait que cet ami était sincère et que son avis, très sérieux, n’était pas à dédaigner…

D’autre part, Saint-Germain, qui lui avait sauvé la vie, en qui il avait une confiance aveugle, lui répétait le même avertissement en termes presque identiques; c’est donc qu’il y avait réellement quelque chose et que la confiance qu’il se sentait disposé à accorder à de Verville était méritée.

S’il en était ainsi, que venait faire là ce petit poète avec ses insinuations?…

Bernis, il est vrai, lui avait rendu un service très grand. Mais en y réfléchissant bien, ce service n’était-il pas plus apparent que réel?… Car, enfin, il semblait que ce Bernis l’avait amené à Versailles juste à point pour le remettre aux mains de cet énigmatique M. Jacques qui s’était servi de lui comme d’un instrument inconscient, travaillant à sa propre perte pour le plus grand profit de projets ténébreux dont il sentait confusément que Mme d’Étioles et lui-même étaient les premières victimes.

Ce Bernis avait-il été sincère en lui dévoilant la retraite de Jeanne?… ou bien avait-il été un adroit complice?…

Longtemps il avait cru à cette sincérité et voilà que tout à coup des soupçons lui venaient parce que son visiteur se montrait bienveillant à l’égard d’un homme dont il devait se méfier.

Le chevalier se tenait donc sur ses gardes, cependant que Bernis qui l’observait se disait, de son côté, qu’il allait falloir jouer très serré avec cet adversaire prévenu et disposé à la plus grande méfiance.

C’est pourquoi, pendant que le premier se tenait dans une prudente réserve, le second redoublait de cordialité.

– Ah! quel malheur, chevalier, que je n’aie pas appris plus tôt tout ce que je sais maintenant… vous ne seriez pas ici, mon pauvre chevalier!…

– Comment cela?… Expliquez-vous, de grâce!

– Vous souvenez-vous de cette petite Suzon dont je vous ai parlé et dont je suis acoquiné, du diantre si je sais pourquoi, par exemple?… C’est elle qui m’a tout appris, pour son malheur et le mien!

– Mais enfin, monsieur, que vous a-t-elle appris cette Suzon?… et de quel malheur voulez-vous parler? fit le chevalier impatienté.

– Chevalier, je veux parler des événements incompréhensibles qui ont amené votre arrestation; je veux parler des ennemis puissants qui sont attachés à votre perte… et à la mienne aussi… en sorte qu’il se pourrait qu’avant peu je fusse incarcéré comme vous… Ah! les femmes! les femmes!…

– Voyons, je vous en prie, parlez clairement, monsieur de Bernis. Je ne suis qu’un soldat et j’avoue ne rien comprendre à toutes les finesses du beau langage. Venez au fait, s’il vous plaît.

– Vous êtes-vous demandé, reprit imperturbablement Bernis, pourquoi vous étiez ici?

– Pardieu!… Je ne fais même que me poser cette question depuis que j’y suis.

– Et vous n’avez pas trouvé?… Je comprends cela… Eh bien! je vais vous éclairer… Vous êtes ici tout bonnement parce que le roi a cru que vous aviez voulu vous jouer de lui.

– Moi?… Allons donc!… Je suis allé, au contraire, vers Sa Majesté, pour lui signaler un danger auquel…

– Précisément… le danger en question n’existait pas… le roi le savait et voilà pourquoi il a cru que vous vous moquiez de lui… Le roi avait, en outre, un motif plus grave d’être furieux contre vous…

– Comment, fit d’Assas au comble de l’étonnement; comment, le danger n’existait pas?… Pourtant…

– Mme d’Étioles l’a cru?… Elle s’est trompée ou plutôt on l’a trompée… Et, de très bonne foi, elle vous a fait partager l’erreur dans laquelle on avait su habilement la faire tomber… En sorte que c’est elle qui, sans le vouloir, vous a envoyé au-devant d’une arrestation certaine, inévitable… surtout après la scène de la route de Versailles.

– Mais pourquoi?… comment?… Je ne comprends pas.

– Savez-vous d’où venait Sa Majesté lorsque vous l’avez rencontrée à la porte du château?

– Non! Comment voulez-vous que je sache?…

– Le roi venait paisiblement, sans avoir couru l’ombre d’un danger, de cette maison des Quinconces où vous veniez l’avertir de ne pas mettre les pieds parce qu’il y serait exposé à un péril grave, lui disiez-vous. Il en revenait à l’instant même, sain et sauf… Comprenez-vous?…

– Je commence à comprendre, en effet… Et je me souviens maintenant que Sa Majesté a particulièrement insisté sur ce point, à savoir si elle aurait été exposée à un danger pour le cas où elle se serait rendue cette nuit-même dans la maison en question… En sorte, si je vous comprends bien, que le roi aura cru que je voulais l’effrayer par la perspective d’un péril imaginaire… peut-être même a-t-il cru que j’avais un intérêt personnel à l’empêcher d’aller là…

– C’est cela! c’est cela même!… et les événements se sont chargés de confirmer le roi dans cette conviction puisque… depuis votre avertissement, il y est retourné tous les soirs… toujours sans courir aucun risque.

– Et dans quel but aurais-je voulu empêcher le roi d’aller là où il lui plaisait?…

– C’est ici que nous abordons le point le plus délicat et que nous aboutissons à ce motif qu’avait Sa Majesté d’être furieuse contre vous et dont je vous parlais tout à l’heure… Le roi, mon cher chevalier, vous croyait, et vous croit encore l’amant de Mme d’Étioles…

– Moi?… fit le chevalier indigné, moi?… mais c’est une infamie!…

– Attendez, réservez votre indignation, vous en aurez besoin tout à l’heure, car vous n’êtes pas au bout… Vous comprenez, n’est-ce pas, que, certain que vous étiez l’amant de Mme d’Étioles, le roi a cru que cette histoire que vous lui racontiez était inventée à plaisir pour l’empêcher de venir troubler votre tête-à-tête amoureux et que, furieux d’avoir été ainsi joué par Mme d’Étioles et par vous, il a ordonné votre arrestation immédiate, en attendant…

– Mais c’est odieux!… Qui peut faire croire au roi que je sois…

– L’amant de Mme d’Étioles?… Sa Majesté ne le croit pas, elle en est sûre… on lui en a fourni les preuves matérielles, indéniables.

– Je m’y perds! murmura le chevalier anéanti. Quelles preuves peut-on avoir donné de ce qui n’est pas?

– Vous êtes naïf, chevalier, fit Bernis en haussant les épaules. Lorsque Mme d’Étioles a quitté la maison des Quinconces, qui a-t-elle trouvé l’attendant à la porte? Vous… Qui l’a emmenée? vous encore… Avec qui a-t-elle passé cette nuit-là? Avec vous toujours! Vous êtes jeune et amoureux, Mme d’Étioles est jeune et jolie à rendre jalouses les beautés les plus réputées de la cour… À qui ferez-vous accroire que vous avez passé une nuit en tête à tête sans… surtout lorsque vingt témoins affirment le contraire!… et que celui à qui ils affirment cela, le roi, est dans un état de fureur jalouse qui lui ferait accueillir, les yeux fermés, un indice moins plausible?

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