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– Mais… dès que cela sera nécessaire; peut-être dans huit jours, ou dans un mois…

– Ou peut-être dès ce soir… N’as-tu pas un peu pénétré l’intention secrète de du Barry?…

Lubin parut faire un gros effort.

– Je crois, dit-il, haletant, que son intention est vraiment de le tuer ce soir!

– C’est-à-dire trop tôt!…

– C’est cela, maître, c’est bien cela!

– C’est-à-dire qu’il désobéira à M. Jacques.

– Oui! fit Lubin avec une visible expression d’épouvante.

– Lubin, dit le comte, il faut empêcher cela à tout prix. Tu comprends l’importance?

– Comment faire? balbutia Lubin en se tordant les bras.

– Voyons; je veux te tirer d’embarras. As-tu confiance en moi?

– Oh! oui, maître… une confiance sans bornes…

– Es-tu décidé à m’obéir aveuglément?

– Parlez… ordonnez… j’obéirai!

– Eh bien, cache-moi quelque part où je puisse surveiller à la fois du Barry et d’Assas!

Lubin se mit à trembler.

– Non, murmura-t-il, non, pas cela!… je ne peux pas… je ne veux pas!…

C’était un tour de force extraordinaire qu’avait accompli jusque-là le comte de Saint-Germain en imposant sa volonté au faux laquais sans le mettre en état de magnétisme.

Il entrait dans son plan de ne pas essayer ce moyen extrême. En effet, il fallait que Lubin gardât toute sa présence d’esprit, en employant le mot présence dans son sens effectif et non métaphorique.

Devant la soudaine résistance de Lubin, le comte eut une minute d’angoisse. Il était livide de l’effort qu’il faisait succédant à la terrible dépense de forces qu’avait nécessitée l’interrogatoire d’Eva.

– Vicomte d’Apremont, dit-il, vous voulez donc résister?

– Je ne suis pas le vicomte d’Apremont, dit le laquais avec désespoir, je suis Lubin.

– Vicomte d’Apremont, reprit Saint-Germain, prenez garde, vous allez m’obliger à user de rigueur. Je vais être forcé de vous endormir, et alors, voyez ce qu’il peut en résulter pour vous! M. Jacques ne pourra jamais croire que vous ne l’avez pas trahi…

Lubin frissonna. Il voulut reculer, jeter un cri…

Mais déjà Saint-Germain avait marché sur lui, le bras tendu, esquissant les passes magnétiques par lesquelles il avait l’habitude d’agir. Une minute, Lubin haleta, se débattit.

Saint-Germain suait à grosses gouttes.

Coûte que coûte, il ne voulait pas endormir Lubin.

Celui-ci, tout à coup, baissa la tête, vaincu.

– Je puis vous cacher, dit-il en poussant un effrayant soupir.

– Bien, mon ami, fit Saint-Germain. Rassurez-vous sur mes intentions: je ne suis ici que pour empêcher un crime de se commettre… un crime que votre maître réprouverait… Le reste ne me regarde pas… Me croyez-vous?…

– Oui, je vous crois… je vois en vous… et je n’y vois qu’une pensée généreuse…

– Vous savez de quel crime je veux parler?

– Oui, le meurtre du chevalier d’Assas!…

– Moi seul puis l’empêcher. Vous êtes donc décidé à me cacher dans cette maison?… Mais prenez bien garde, il faut que je puisse y rester au besoin plusieurs jours sans risquer d’être découvert…

Lubin sourit: il était tout à fait dompté.

– Venez! dit-il simplement.

Et, suivi de Saint-Germain, il sortit du pavillon, traversa la cour et entra à droite, c’est-à-dire dans le pavillon où se trouvaient précédemment du Barry et Juliette, – où devaient venir d’Assas et Jeanne.

Ce pavillon se divisait en deux parties: à droite, l’appartement tel que nous l’avons vu; à gauche, une pièce unique.

C’est dans cette pièce que Lubin conduisit le comte de Saint-Germain.

Elle était sommairement meublée d’une table, de deux fauteuils et d’un grand canapé sur lequel on pouvait au besoin dormir.

La fenêtre, qui donnait sur la cour, était garnie d’épais rideaux.

– Personne n’entre jamais ici, dit Lubin. Vous y serez en parfaite sûreté…

– Très bien. Et si j’ai besoin de vous appeler?

Lubin lui désigna un cordon de sonnette dont le fil allait se perdre au dehors.

– Voici, dit-il: vous n’aurez qu’à secouer deux fois ce cordon.

– Vous pouvez donc vous retirer, dit Saint-Germain en plongeant son regard dans les yeux de Lubin. Mais jusqu’à ce que je vous appelle, vous devez oublier que je suis ici… vous m’entendez bien?

Lubin tressaillit, mais s’inclina.

– La précaution est bonne, murmura le comte. Il paraît que ce digne Lubin songeait à me trahir.

Cependant, sur un geste de lui, Lubin était sorti.

Il traversa la cour comme un homme ivre et, rentrant dans le pavillon de droite, tomba sur un fauteuil.

Quelques minutes plus tard, il se redressait et jetait un regard étonné autour de lui.

– Ah çà! fit-il en passant ses deux mains sur son front, j’ai donc bien dormi!… Oui, j’ai dormi sur ce fauteuil… Et pourtant… voyons, que m’est-il arrivé?… Il m’est donc arrivé quelque chose?…

Il s’interrogea, chercha à reconstituer l’heure qui venait de s’écouler.

– J’ai rêvé, murmura-t-il en secouant la tête… Il faut bien que j’aie rêvé… J’ai profondément dormi… Il est étrange pourtant que je me sois endormi tout d’un coup ici et que je ne me souvienne pas du moment où j’ai fermé les yeux…

Cela posé, nous reprendrons maintenant le chevalier d’Assas et Jeanne au point même où nous les avons quittés.

On a vu que, rapidement, la conversation était devenue assez embarrassée entre ces deux êtres que séparait un abîme et qui semblaient pourtant avoir été créés l’un pour l’autre.

Ou, du moins, cet embarras existait chez le chevalier d’Assas.

En effet, de voir Jeanne si paisible, si confiante, alors qu’elle se trouvait seule avec lui, cela lui prouvait que jamais elle ne le considérerait comme un amoureux.

N’y avait-il pas même une sorte de cruauté dans la tranquillité de la jeune femme?

C’est possible, et nous ne prétendons pas la montrer meilleure qu’elle n’était.

Cruauté inconsciente, en tout cas. Et certes, elle était trop intelligente, d’esprit trop libre, pour feindre des craintes qu’elle n’éprouvait pas: le chevalier était pour elle un frère – mais rien qu’un frère.

Pendant que d’Assas, infiniment heureux de se trouver en tête à tête avec Jeanne et infiniment malheureux de la sentir si loin de lui par le cœur, se désolait, se rongeait, pâlissait et rougissait coup sur coup, Jeanne, de son côté, réfléchissait aux moyens de sauver le roi, c’est-à-dire de l’empêcher de jamais retourner à la maison des quinconces où, d’après les paroles de Julie (Juliette Bécu), un si grave danger le menaçait.

Jeanne n’avait aucun motif de douter des paroles de la remplaçante de Suzon.

Oui, sûrement, il y avait un guet-apens organisé contre le roi.

Il fallait donc que Louis XV fût prévenu dès le matin qui suivrait…

Et par qui?… Un moment, elle songea à se rendre elle-même au château.

Mais comment parviendrait-elle auprès du roi? Et ne serait-ce pas, même, précipiter le dénouement redouté, si on l’apercevait au château?…

Les gens assez puissants pour avoir organisé le traquenard n’arriveraient-ils pas à l’empêcher de parler au roi?…

Alors, il lui faudrait crier, provoquer un scandale, sans certitude d’aboutir…

Et pourtant, il fallait agir promptement! La vie du roi peut-être dépendait d’elle en ce moment!

À cette idée, Jeanne se sentait pâlir et frissonner de tout son corps.

Peu à peu, à force de regarder le chevalier d’Assas, elle finit par se dire qu’il pouvait, qu’il devait aller trouver le roi.

Quoi!… Lui qui l’aimait!… C’est lui qu’elle allait charger de sauver un rival!…

Il fallait, ou que Jeanne eût une bien haute idée de la générosité du chevalier, ou qu’elle aimât bien profondément le roi!

Tout à coup cette pensée lui vint que Louis XV devait avoir conservé peut-être une rancune contre le chevalier.

Dès lors, avec son esprit alerte et prompt à saisir les solutions les plus subtiles, elle entrevit le parti qu’elle pouvait tirer de la situation! D’Assas était un pauvre officier sans autre avenir que celui que pouvait lui assurer son courage.

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