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– C’est votre avis, non le mien! Parlez donc, monsieur! Répondez, si vous l’osez!

– Si je l’ose! gronda le chevalier en fixant sur le roi un regard flamboyant. Que soupçonne Sa Majesté?…

– Par la mordieu! cria le roi en frappant la table de son poing, voilà que vous m’interrogez maintenant au lieu de répondre! Sur la route de Versailles, monsieur, j’ai cru que vous étiez fou! Aujourd’hui je me demande si vous ne vous moquez pas de moi! Ça! parlerez-vous!… Vous vous taisez!… Eh bien, soit!… Comme je vous ai dit le nom, je vous dirai le reste!… Mais cela vous coûtera cher!

– Jeanne! Jeanne! songea le chevalier avec un héroïque sourire, tu as voulu sauver le roi, mais tu ne savais pas qu’en même temps tu me perdais!

– C’est bien simple, continua le roi avec un furieux éclat de rire. Le roi devait venir dans la maison des quinconces, on a trouvé plaisant de le jouer et de recevoir à sa place un autre amant… vous, monsieur!… Ou bien encore, la dame aura été retrouver son amant à quelque rendez-vous! Et pour que le roi ne s’aperçoive pas de son absence, on invente un danger, on tâche de persuader à ce pauvre roi qu’il ne doit pas essayer de pénétrer dans la maison!… Et qui donc a l’audace de se charger de jouer la comédie jusqu’au bout?… L’amant lui-même!… Vous, monsieur!…

D’Assas voulut protester…

La voix de Louis XV, d’abord tremblante d’une sorte d’indignation concentrée, avait de plus en plus élevé son diapason. Et elle éclata, furieuse, lorsqu’il acheva par ces mots:

– Vous et Mme d’Étioles, vous vous êtes trompés: on ne se joue pas impunément du roi de France! Et vous allez vous en apercevoir tous les deux… vous d’abord, elle ensuite!… Holà!…

À ce cri, deux portes s’ouvrirent.

D’Assas effaré, épouvanté de ce qu’il comprenait, vit des gardes à chacune d’elles.

Avant qu’il eût pu faire un geste, prononcer un mot, le roi avait tourné le dos et s’était élancé dans sa chambre.

À la place du roi, le chevalier aperçut devant lui le capitaine des gardes qui, très poliment, lui disait:

– Veuillez me remettre votre épée, monsieur…

Alors une sorte de rugissement monta aux lèvres de d’Assas. Une minute, une sorte de coup de folie envahit son cerveau. La pensée lui vint de résister, de se faire tuer sur place…

Tout serait ainsi fini!…

L’idée de se disculper, et surtout de disculper Jeanne, de la sauver de l’effrayant péril qu’il entrevoyait pour elle, le retint seule.

Il tira lentement son épée et la remit au capitaine qui la prit, en disant:

– Veuillez me suivre, chevalier.

Quelques gardes, aussitôt, entourèrent d’Assas.

La petite troupe se mit en marche le capitaine en tête.

On longea de longs couloirs on monta des escaliers; finalement, une porte s’ouvrit, d’Assas entra et vit une chambre assez grande et convenablement meublée…

Seulement, à l’unique fenêtre de cette chambre, située au troisième étage, il y avait d’épais barreaux…

Cette chambre était une prison du château…

D’Assas entendit la porte se refermer, les forts verrous extérieurs glisser sans trop de bruit, en verrous bien élevés, et surtout bien huilés…

Pour la deuxième fois, il était prisonnier!

Et cette fois, sans aucun doute, nul n’aurait aucun intérêt à le tirer de prison!

Et cette fois, plus que jamais il avait besoin de la liberté pour protéger Jeanne, la sauver au besoin!

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