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Et tout haut, avec un calme qui eût fait l’admiration de Richelieu s’il avait pu soupçonner la tempête qui venait de se déchaîner dans cet esprit soulevé par la jalousie:

– J’y suis maintenant. Vous disiez donc?

– Je disais, madame, que cette jeune fille possédait le papier que je vous ai remis. Je crois – je n’en suis pas sûr, notez bien – je crois que cette jeune fille possède des copies de ce document. En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est qu’elle connaît aussi bien que nous toutes les indications qui y sont contenues. Peut-être même en sait-elle encore plus long que je ne pense. Par elle-même, cette jeune fille ne serait guère à redouter. Par malheur, elle s’est éprise d’une espèce de truand, homme de sac et de corde, fort résolu. Il est à craindre qu’elle ne lui dévoile la cachette et que celui-ci, à la tête d’une armée de truands comme lui, ne cherche à s’emparer du trésor.

– Bien, fit vivement Léonora, il faut la mettre dans l’impossibilité de se rencontrer avec ce truand et par conséquent de lui dévoiler la cachette… Je m’en charge, ajouta-t-elle avec une satisfaction féroce.

– C’est cela et ce n’est pas cela, fit tranquillement Richelieu. Je n’ai pas l’habitude de faire les choses à demi. La jeune fille n’est pas à redouter pour le moment parce que je l’ai fait mettre en lieu sûr.

– Vous dites? s’écria Léonora qui se dressa stupéfaite.

– Je dis, madame, fit Richelieu, assez surpris de cette soudaine émotion, je dis que grâce à mes soins, la jeune fille a été enlevée et que je la mets bien au défi de retrouver son amoureux maintenant.

Et sur un geste de Léonora qu’il interpréta mal:

– Oh! rassurez-vous, madame, elle n’est pas morte. (Et avec un sourire sinistre.) Mais c’est à peu près tout comme… Peut-être même vaudrait-il mieux pour elle qu’elle fût morte, en effet.

– Voyons, voyons, dit Léonora, avec une agitation grandissante, c’est bien de la jeune fille qui demeurait rue de l’Arbre-Sec que vous parlez? Celle dont le roi est épris?…

– Celle-là même, madame, dit Richelieu qui ne comprenait rien à cette singulière agitation.

– Et vous dites que vous l’avez fait mettre en lieu sûr?

– Je le dis parce que cela est.

– Mais c’est impossible, voyons!…

– Madame, dit Richelieu avec une assurance qui déconcerta la Galigaï, la jeune fille en question, la demoiselle Bertille de Saugis, pour l’appeler par son nom, a été conduite, hier matin, par son amant, le truand dont je vous parlais tout à l’heure et qui s’appelle, lui, Jehan le Brave, Bertille de Saugis, dis-je, a été conduite, hier matin, chez le duc d’Andilly. À l’heure qu’il est, elle est cloîtrée, par mes soins, chez les dames de Montmartre. Et si bien cloîtrée que, croyez-moi, je n’exagère pas quand je dis qu’on peut la considérer comme morte.

Au fur et à mesure qu’il parlait, Léonora réfléchissait: «Oui, c’est net, c’est précis. Pourquoi mentirait-il? Il ne sait pas. Il ne peut pas savoir. Il faut donc admettre que Jehan a découvert l’enlèvement de sa bien-aimée par Concini, qu’il est allé la lui arracher et l’a conduite chez le duc d’Andilly, un ami, un parent peut-être de la jeune fille. Ah! Povero Concinetto!»

Et tout haut:

– Et vous avez fait cela, vous?… C’est merveilleux, admirable!… Vous ne savez pas quel immense service vous nous rendez et que vous avez droit à toute notre reconnaissance. Richelieu, je vous le dis, demandez ce que vous voudrez. Quoi que ce soit, tenez-le pour accordé.

Richelieu ne comprenait pas. Mais ce qu’il comprenait fort bien, par exemple, c’est que Léonora était très sincère et qu’il venait de s’en faire une alliée qui ne manquerait pas à sa parole. Il pressentit bien qu’il y avait quelque chose de louche, de ténébreux, de terrible peut-être, dans le service que Léonora prétendait qu’il venait de lui rendre. Mais quoi? Il ne savait pas au juste, et au surplus peu lui importait. L’essentiel était qu’il avait atteint son but.

Il s’inclina donc profondément, plus pour dissimuler sa joie qu’en signe de gratitude.

– Mais, fit tout à coup Léonora, puisque cette jeune fille est enfermée dans un cloître – car elle est bien enfermée, n’est-ce pas? vous l’avez bien dit? – oui, puisqu’elle est hors d’état de nuire, que craignez-vous donc?

– Il faut tout prévoir. Ce Jehan le Brave est, paraît-il, un homme redoutable. S’il parvenait à découvrir la retraite de la jeune fille, à la délivrer…

– Bien… alors, il faudrait intervenir, se débarrasser d’elle et de lui. C’est bien cela que vous voulez dire?

– Cela même, madame. Et n’oubliez pas que si la jeune fille est en notre pouvoir, le jeune homme, lui, est libre… et qu’il est à redouter. Je vous ai avertie. Gardez-vous bien, madame, vous aurez affaire à forte partie. Tant que ce loup affamé sera sur votre piste, la réussite de votre entreprise sera compromise. Croyez-moi, frappez! Frappez sans pitié!

– Soyez tranquille, dit Léonora avec une froideur terrible, ni lui ni la jeune fille, si elle s’échappe, ne seront des obstacles à redouter. J’en fais mon affaire. Mais parlons de vous, monsieur de Luçon. Vous venez de rendre à Sa Majesté un service inoubliable. Ce service ne saurait demeurer sans récompense. Parlez, que désirez-vous?

– Madame, dit Richelieu d’une voix tremblante d’espoir, mon désir ardent serait d’être aumônier de la reine.

– Que cela! fit Léonora sincèrement étonnée.

– Je ne suis pas si ambitieux que je le parais, fit l’évêque avec un sourire énigmatique, et je m’estimerai très heureux d’obtenir ce poste.

Et en lui-même, il ajoutait:

– Très heureux, pour le moment… en attendant mieux.

– Soit, dit gracieusement Léonora. Demain, en remettant ce papier à la reine, je demanderai et ferai signer votre nomination. Dès maintenant, vous êtes aumônier de la reine.

Richelieu se courba sur la main de Léonora Galigaï et y déposa un ardent baiser par quoi se traduisait sa reconnaissance.

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