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– Madame, je sais où est caché ce trésor.

Cette fois, Léonora ne chercha pas à ironiser. Elle fut étonnée et le laissa voir.

– Vous, monsieur? s’écria-t-elle.

– Moi, madame, dit tranquillement Richelieu. Je possède les indications les plus nettes, les plus précises, grâce auxquelles la découverte de ce trésor ne sera qu’une question de travaux plus ou moins longs, plus ou moins coûteux, mais au bout desquels on le trouvera indubitablement, parce qu’il est là où on le cherchera et non ailleurs. Et ce sont ces indications que je vous apporte, à seule fin que vous les remettiez à la reine.

En disant ces mots, Richelieu sortit de sa poche un papier plié en quatre et le tendit à Léonora, qui le prit d’une main machinale, tant la surprise la suffoquait.

Mais les manifestations extérieures n’étaient jamais d’une longue durée chez elle. Elle se ressaisit aussitôt et, dépliant posément le papier, elle le lut attentivement d’un bout à l’autre.

Ce papier, c’était une copie, traduite en français, de celui que le père Joseph avait lu à haute voix devant Acquaviva et Parfait Goulard. C’était une copie scrupuleusement exacte, à laquelle on n’avait apporté aucune modification, aucune omission.

En lisant, Léonora réfléchissait. Que signifiait ceci? D’où l’évêque tenait-il ce papier? Pourquoi le livrait-il à elle, précisément, et non à une autre? Elle ne croyait guère au désintéressement. Quel prix exorbitant ce jeune homme, qui s’annonçait comme un lutteur qui n’était pas à dédaigner, allait-il exiger d’une divulgation de cette importance? Autant de questions qu’il fallait élucider.

– En effet, dit-elle froidement, ces indications sont on ne peut plus précises. Puis-je savoir d’où vous vient ce papier?

– Eh! madame, fit négligemment Richelieu, qu’importe!… Les indications sont nettes, précises, je vous les donne… N’est-ce pas l’essentiel pour vous?

– Bien, bien!… Mais au fait, j’y songe, ce trésor ne nous appartient pas. De quel droit irions-nous nous en emparer? Ne serait-ce pas comme une manière de… larcin?

Et en disant ces mots, elle le regardait en face.

– Madame, dit l’évêque avec une souveraine dignité, je pourrais vous dire que je suis prêtre et ne saurais par conséquent conseiller une méchante action. Je préfère vous dire que je suis gentilhomme… incapable par conséquent d’une vilenie. Non, madame, ce trésor appartient maintenant au roi, par droit de prise. Il y a vingt ans et plus que ce trésor est sur les terres du roi. La princesse Fausta est morte… ou tout au moins disparue, et d’ailleurs, fabuleusement riche, elle ne se soucie guère de ces millions qu’elle a abandonnés, j’en ai l’assurance. Celui à qui elle les a donnés, son fils – disparu, enlevé, volé, perdu, peu importe, dès le berceau – celui-là n’existe plus. Donc, cet or revient de droit au roi. Et moi-même, qui dévoile l’endroit précis où il est caché, je serais en droit de réclamer ma part. Ceci, madame, est légal.

Et avec un dédain superbe:

– J’espère toutefois que vous me ferez la grâce de croire que je ne chercherai pas à revendiquer mes droits. Quand on s’appelle Richelieu, madame, on donne. On ne vend pas.

Léonora approuvait doucement de la tête.

– Loin de moi la pensée de vous offenser, dit-elle. Ce serait bien mal reconnaître votre générosité. Mais, monsieur, puisque selon vous – et cela doit être, puisque vous le dites – ces millions appartiennent au roi, pourquoi n’avoir pas porté ce document à M. de Rosny, qui cherche de l’argent partout et toujours?

Richelieu, à son tour, la regarda bien en face et, d’une voix basse, mais très ferme:

– Ces millions, madame, m’appartiennent aussi un peu. Il ne tenait qu’à moi de déchirer ce papier. Personne ne les aurait eus. Le roi est le roi – j’ajouterai même que c’est un grand roi. Je suis prêt à donner mon sang jusqu’à la dernière goutte pour son service. Mes forces, ma fortune, le peu d’intelligence que le ciel m’a départi, tout cela est à lui. C’est mon devoir de fidèle sujet. Je dis: mon devoir, madame.

Il prit un léger temps et sa voix se fit plus dure, son visage plus sévère.

– Mais si le roi est un grand roi, il est aussi un époux. Or, madame, la vérité nous oblige à dire que c’est un bien mauvais époux. Et vous devez le savoir mieux que personne, vous, madame, vous qui êtes la confidente et l’amie de notre malheureuse reine (ici la voix se fit émue, attendrie), vous qui êtes témoin des humiliations imméritées qu’on lui inflige quotidiennement… Votre cœur n’est-il pas déchiré de compassion et de douleur à la vue du perpétuel martyre qu’on inflige à notre sainte et douloureuse souveraine? N’est-ce pas une honte que, dans ce pays, la reine, qui devrait être l’objet de la vénération et de l’adoration de tous, soit réduite à se priver de tout pour que les maîtresses du roi puissent jeter l’or à pleines mains? Dites, madame, n’est-ce pas une abomination que la reine soit systématiquement écartée des affaires, alors que les maîtresses du roi assistent aux conseils et se mêlent de discuter des affaires de l’État?

Richelieu se tut un instant, comme si l’indignation l’avait étouffé. Puis, il reprit d’une voix attristée:

– Pour moi, mon cœur se déchire à la vue d’un si douloureux spectacle. Et c’est pourquoi je dis je ferai pour le roi ce que mon devoir de gentilhomme et de fidèle sujet m’ordonne de faire. Mais rien ne pourra empêcher que mes sympathies, très respectueuses, que mon dévouement absolu n’aillent à la reine délaissée, humiliée et martyrisée.

– Monsieur de Luçon, dit gravement Léonora, soyez assuré que la reine connaîtra votre dévouement et les sentiments qui vous honorent.

Comme s’il n’avait pas entendu, Richelieu continua:

– C’est pourquoi, pouvant disposer à mon gré de ce papier, je l’ai porté non au roi, mais à la reine, pour que ma souveraine ait, à défaut du bonheur qu’il n’est pas en ma puissance de lui donner, au moins le réconfort de la fortune. Maintenant, s’il vous convient de refuser en son nom cette fortune, dites-le, madame, et je vous jure qu’ici même, devant vous, je brûle ce papier… Personne autre que la reine ne bénéficiera de cette fortune. J’en ai décidé ainsi.

– Non pas, monsieur… Peste, comme vous y allez! Je ne puis, quant à moi, refuser ce que vous donnez avec une aussi souveraine générosité. Ce papier, je le remettrai moi-même à Sa Majesté. Je lui ferai connaître de qui je le tiens et je lui répéterai les nobles paroles que vous venez de me faire entendre. Il est nécessaire que la reine connaisse les serviteurs au dévouement inébranlable sur lequel elle peut s’appuyer. Soyez, assuré, monsieur l’évêque, que je ferai tout ce qu’il faudra pour dessiller les yeux de Sa Majesté de telle sorte qu’elle voie en vous désormais l’homme de valeur que vous êtes réellement et non pas le jeune homme insignifiant dont vous parliez tout à l’heure. Et avec un sourire entendu:

– Quant à ce papier, la reine décidera si elle doit l’accepter ou le refuser. Mais je ne crois pas trop m’avancer cependant en disant qu’il y a tout lieu de supposer qu’elle acceptera.

Richelieu était mécontent. Il s’était attendu à des transports de joie, à une explosion de reconnaissance se traduisant par des offres fermes et précises. Il se heurtait à une femme plus forte encore qu’il n’avait cru et qui semblait lui faire une grâce en daignant accepter une somme prodigieuse. Et, en fait, de promesses, il n’obtenait que des paroles très vagues. Ce n’était pas ce qu’il avait escompté.

Si maître de lui qu’il fût, malgré lui, il laissa percer une certaine froideur en disant:

– J’espère que Sa Majesté daignera accepter. En tout cas, je crois, d’ores et déjà, devoir vous donner quelques conseils au sujet des dix millions (il insistait sur le chiffre comme pour bien faire ressortir la valeur considérable du cadeau qu’il faisait) qu’il s’agit de retrouver.

– Je vous écoute, monsieur, dit Léonora, qui se mit moralement sur la défensive.

En effet, en elle-même, elle se disait:

– Attention! C’est maintenant qu’il va sortir ses prétentions… S’il n’est pas trop exigeant, on pourra s’arranger… La somme en vaut la peine.

– Vous m’avez fait l’honneur de me demander où je me suis procuré ce papier, et je vous ai répondu que peu importait. Je vais vous le dire maintenant, madame, parce qu’il est nécessaire que vous le sachiez. Ce papier appartenait à une jeune fille qui se nomme Bertille de Saugis.

Léonora tressaillit. Elle murmura:

– Bertille!… Je connais ce nom-là. Mais Saugis! Qui est cette Bertille de Saugis.

– Bertille, madame, dit Richelieu en souriant, est le prénom de cette jeune fille qui habitait rue de l’Arbre-Sec et dont on s’est fort occupé à la cour, parce que le roi en était épris. Saugis est son nom de famille que nul ne connaissait et que je connais, moi.

– Ah! hurla Léonora dans sa pensée, celle que Concini aime! Celle qu’il a enlevée! Celle qu’il tient enfermée dans sa petite maison de la rue des Rats!… Oh! est-ce que l’évêque va me donner le moyen de me venger?… Ah! s’il en est ainsi, Richelieu, demande ce que tu voudras, ta fortune est faite!

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