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– En effet, monseigneur.

– Eh bien, il faut savoir… Et d’abord, quels sont les sentiments de la jeune fille à l’égard du jeune homme?

– Oh! elle l’adore… sans le savoir peut-être.

– Eh bien, je disais; il faut savoir si cette jeune fille est toujours rue de l’Arbre-Sec. Si elle n’y est plus, c’est elle que vous avez vue avec le jeune homme.

– J’irai aujourd’hui même voir la propriétaire Colline Colle. Par elle, je saurai.

Acquaviva paraissait méditer profondément. Il dévoila sa pensée.

– Si c’est elle, j’explique les larmes du fils de Fausta de la manière la plus simple: les deux jeunes gens se sont déclaré mutuellement leur amour. Certaines natures insensibles à la douleur ne peuvent supporter une joie violente sans en être bouleversées. Ce jeune homme doit être de ces natures-là.

Il réfléchit encore un instant.

– Au surplus, dit-il, j’ai peut-être eu tort de dédaigner cette enfant jusqu’à ce jour. Elle entre en contact avec des personnes que le plus puissant intérêt nous commande de surveiller étroitement. Il devient nécessaire de la connaître à fond. En conséquence, vous enquêterez minutieusement sur son compte. Il faut savoir qui elle est, comment elle s’appelle – Bertille, ce n’est pas un nom, cela – d’où elle vient, ce qu’elle est, ce qu’était sa famille. Ne négligez aucun détail, si futile qu’il paraisse.

– Par la même Colline Colle, j’apprendrai, je le pense, tout ce qu’il nous importe de savoir.

– Bien. Vous m’aviserez dès que vous aurez obtenu un résultat. Faites diligence. Peut-être avons-nous trop tardé à nous occuper de cette enfant.

Goulard s’inclina en signe d’obéissance.

Acquaviva se leva et se mit à arpenter la chambre à pas lents, la tête penchée d’un air soucieux. Il s’arrêta devant Goulard, et, doucement, il dit:

– Nous approchons du but, mon fils. Ce but opiniâtrement poursuivi depuis près de vingt ans!… Encore un effort, et les millions de Fausta, ces millions que tant de personnes convoitent, seront à nous. Encore un effort, et vous serez délivré de ce rôle qui vous pèse, je le sais.

Et comme Goulard esquissait un geste de protestation:

– Ne vous en défendez pas, fit-il avec douceur, c’est assez naturel. Notre ordre vous devra beaucoup, mon fils. Cette somme énorme de dix millions, qui va nous permettre d’accomplir en quelques mois des choses qui eussent nécessité de longues années de patients et laborieux efforts, c’est à vous que nous la devrons en grande partie. C’est vous qui, voici bientôt deux mois, et alors que je commençais à craindre qu’il ne fût mort, avez découvert que ce Jehan était le fils de Fausta.

– Pur hasard, monseigneur, et je n’y ai pas grand mérite.

– Oui, mais ce n’est pas le hasard qui vous a donné cette idée, à laquelle je n’avais pas songé, de vous faire le confesseur très indulgent de tous les malandrins de France. C’est cependant grâce à cette idée que vous avez pu, en confessant ce Saêtta, connaître la vérité. Et aujourd’hui encore, alors que depuis six semaines je le fais vainement chercher partout, c’est vous qui découvrez M. de Pardaillan. Le hasard, vous le savez comme moi, ne favorise que ceux qui savent l’aider.

Il reprit sa lente promenade et en marchant il expliquait sa pensée:

– À dater d’aujourd’hui, Pardaillan et son fils seront soumis à une surveillance de tous les instants. Pas un geste de ces deux hommes ne sera ignoré de moi… C’est, malheureusement, tout ce que l’on peut faire avec eux… ou du moins le père, lui, est ainsi. Il échappe à toute inquisition morale… il n’est pas de ceux qu’un prêtre peut confesser.

– Le fils tient du père sous ce rapport, assura Goulard.

– Je le regrette!… Heureusement, les gestes extérieurs permettent de pénétrer la pensée d’un homme. Mais, maintenant, nous entrons en lutte directe avec Pardaillan. Ceci est grave, très grave… Tout ce que nous avons fait jusqu’à ce jour n’est rien à côté du peu qui nous reste à faire… très peu, en vérité, et ce peu devient d’une difficulté quasi insurmontable, parce que nous nous heurtons à Pardaillan.

Il demeura un moment songeur, le front courbé. Puis il redressa la tête, son œil doux prit une expression terrible et, d’une voix froide, tranchante:

– Nous en viendrons à bout, cependant. Il le faut pour la plus grande gloire de Jésus.

Il reprit son aspect calme et doux, comme s’il n’y eût plus à revenir sur une décision de lui. Il revint s’asseoir dans son fauteuil et expliqua:

– Il est impossible que Pardaillan ne connaisse pas l’existence du trésor de Fausta. Je dirai mieux: en dehors de Fausta et de Myrthis, morte, Pardaillan est le seul être humain qui, à l’heure actuelle, sache l’endroit exact où est enfoui ce merveilleux trésor. L’abbesse de Montmartre, sur les terres de qui il a été caché, ignore comme tout le monde en quel endroit de son abbaye il peut se trouver. Le père Coton, qui la dirige, assure qu’elle en est à se demander si ce fameux trésor existe réellement.

– Pourtant, monseigneur, remarqua Goulard, Mme l’abbesse, lorsqu’elle a succédé à Claudine de Beauvilliers, a signé une déclaration par laquelle elle reconnaît que ce trésor est la propriété de la princesse Fausta et s’engage à le livrer à la personne qui, en même temps qu’elle indiquera la cachette, montrera à l’abbesse la bague de fer de Fausta.

– En échange de quoi on lui remettra la somme de deux cent mille livres. Mais depuis vingt ans qu’elle attend, elle en est arrivée à désespérer. Pardaillan sait, lui. Il sait depuis qu’il est revenu d’Espagne, c’est-à-dire depuis bientôt vingt ans… Et jamais cet homme, qui est pauvre, n’a eu l’idée d’aller puiser dans ce monceau d’or et de pierreries qui lui appartient bien un peu, puisqu’il appartient à son fils. Longtemps, j’ai espéré qu’il succomberait à la tentation… alors, il m’eût dévoilé la cachette. Car, depuis ce temps, je fais surveiller l’abbaye. J’ai été déçu. Cet homme est l’honneur et la loyauté incarnés.

Acquaviva demeura un moment songeur, admirant peut-être la force d’âme de cet homme qui avait su résister à la fascination de l’or.

– Aujourd’hui, reprit-il, les choses sont bien changées. Tôt ou tard – et s’il tarde trop, je l’aiderai – Pardaillan apprendra que ce Jehan le Brave est son fils, le fils de Fausta. Le jeune homme mène une existence qui ne pourra pas ne pas choquer les sentiments chevaleresques de son père qui, d’ailleurs, ne me paraît pas avoir la fibre paternelle développée à l’excès. Qu’il le reconnaisse, lui ouvre ses bras, ou se détourne de lui, peu m’importe. Ce qui importe, c’est que, fût-il mille fois plus indigne, le jour où Pardaillan saura que Jehan le Brave, truand et brave, est le fils de Fausta, Pardaillan se croira obligé de le conduire au trésor et de lui dire: «Prends! Ceci est à toi, qui t’est donné par ta mère.» Quitte à lui tourner le dos après.

– Ce jour-là, ajouta Acquaviva avec force, nous serons là, nous!… Et avec cette douceur qui semblait être la dominante de sa physionomie:

– Allez vous reposer, mon fils, vous devez en avoir besoin. Allez. Cinq minutes plus tard, étendu sur l’étroite couchette de la cellule où il était revenu sans bruit, frère Parfait Goulard dormait de ce sommeil profond qui, dit-on, est l’apanage du juste.

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