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Elle prit doucement dans ses bras la tête si pâle de son ami, et sans rien voir autour d’elle, non plus que Pardaillan, qui paraissait horriblement gêné par le spectacle de ce désespoir morne, elle se mit à le bercer doucement, dans un geste maternel, tandis qu’elle balbutiait, avec une tendresse infinie:

– Chico!… Chico!… Chico!…

Et sous cette caresse tendrement berceuse, l’amour qui emplissait le cœur fidèle du petit homme, l’amour puissant, naïf et sincère montra une fois de plus quel était son pouvoir: le blessé reprit ses sens.

Tout de suite, il vit dans quels bras adorés il était blotti, tout de suite, il reconnut son grand ami qui se penchait aussi sur lui, et il leur sourit, les enveloppant dans le même sourire.

Il n’avait pas du tout conscience de son état. Il était bien… si bien, là, dans ces bras. Il ne se rendait pas compte de son état, mais le morne désespoir de celle qu’il aimait, mais surtout l’air contraint et si triste de celui qu’il considérait comme un dieu, lui firent comprendre que cet état était grave.

Et il voulut savoir et d’un regard d’une éloquence muette, il interrogea son grand ami, qui détourna les yeux d’un air embarrassé.

– Je voudrais savoir, pourtant… insista le blessé.

– Hélas!… murmura Pardaillan.

Et il comprit. Il eut une contraction douloureuse de ses traits fins.

Mais ce ne fut qu’un nuage fugitif qui passa aussitôt. Il reprit vite possession de lui et retrouva avec sa sérénité son bon sourire de chien dévoué, à l’adresse des deux seuls êtres qu’il eût aimés au monde, et il murmura:

– Oui, il vaut mieux qu’il en soit ainsi.

Juana aussi avait compris, et alors, seulement, les larmes jaillirent à flots pressés de ses yeux endoloris. Très doucement, il demanda:

– Pourquoi pleures-tu, Juana?

– Ô Luis!… Luis!… peux-tu bien me demander cela?

Il la considéra un moment avec une adoration éperdue, et:

– Il ne faut pas pleurer, insista doucement le blessé. Vois-tu, il vaut mieux que je m’en aille… J’aurais été une gêne pour toi… et moi… j’aurais été très malheureux!

– Luis!… Luis!…

– Car, vois-tu, je puis bien te le dire maintenant… puisque je vais mourir…

Et comme s’il eût voulu être bien sûr avant de dire ce qu’il avait à dire, il insista en fixant Pardaillan:

– Car je vais mourir, n’est-ce pas?

Et il faut croire que le pauvre Pardaillan, dans son désespoir, n’avait plus toute sa présence d’esprit, car, au lieu de le réconforter par des paroles d’espoir, comme le lui commandait l’humanité la plus élémentaire, il cacha sa tête dans ses mains, pour dissimuler ses larmes, sans doute, et en même temps de la tête, il disait frénétiquement: «Oui! Oui!»

Sans remarquer cette insistance féroce, le nain continua toujours avec la même douceur:

– Puisque je vais mourir… je puis bien te le dire, Juana… je t’aimais… je t’aimais bien.

– Hélas! moi aussi, gémit la jeune fille.

– Mais-moi, fit le blessé avec un triste sourire, moi, Juana, je ne t’aimais pas comme une sœur… j’aurais… voulu faire de toi… ma… ma femme!

Ainsi, jusqu’au bout, l’extravagant amoureux se refusait à croire qu’il pût être aimé autrement que comme un frère!

– Il ne faut pas m’en vouloir, reprit le blessé, je ne t’aurais jamais dit cela… mais je vais mourir… ça n’a plus d’importance. Rappelle-toi Juana… je t’aimais… bien!… bien!…

– Chico! sanglota la petite Juana, éperdue, Chico! tu me brises le cœur… Ne vois-tu donc pas que moi aussi je t’aime… et pas comme un frère.

– Oh! murmura le blessé, ébloui, qui trouva la force de redresser sa petite tête, oh!… dis-tu vrai?…

– Luis! clama la petite Juana, qui pressa tendrement cette tête chère dans ses bras. Luis, je t’aimais aussi!… je t’ai toujours aimé!…

Une expression de joie céleste se répandit sur les traits du nain; il fit un grand effort et, saisissant la tête baignée de larmes de sa maîtresse dans ses deux petites mains, plongeant ses yeux dans ses yeux comme s’il eut voulu y puiser la confirmation de ces paroles que ses oreilles se refusaient à croire:

– Tu m’aimais?…

– Je n’ai jamais aimé que toi!

Alors d’un accent de regret désespéré:

– Oh!… trop tard… fit-il dans un souffle, je… vais mourir.

– Luis! cria Juana à demi folle, ne meurs pas… Je t’aime!… Je t’aime!…

– Trop… tard!… fit encore une fois le nain.

Et il se renversa, évanoui.

Et elle, qui le crut mort, sur un ton de reproche indicible:

– Oh!… Dieu n’est pas juste!…

– Eh! mordieu! éclata Pardaillan, ne pleurez pas, petite Juana!… Il n’est pas mort… Il ne mourra pas!

– Oh! monsieur, fit la petite Juana en secouant douloureusement la tête et sur un ton de dignité déconcertant, ne jouez pas avec ma douleur… Je vous jure qu’elle est sincère!…

– Eh! morbleu! je le sais bien! Mais regardez-moi, ma mignonne, ai-je l’air d’un homme qui joue avec une chose aussi respectable qu’une douleur sincère?

– Que voulez-vous dire? haleta la jeune fille, qui ne savait plus ce qu’elle devait croire.

– Rien que ce que j’ai dit. Le Chico n’est pas mort… Voyez, il s’agite… Et il ne mourra pas!

– Juana, fit le blessé, dans un cri de joie délirante, puisqu’il le dit… c’est que c’est la vérité… Je ne mourrai pas!…

Et avec une inquiétude navrante:

– Mais… si je ne meurs pas… m’aimeras-tu quand même?

– Oh! méchant… peux-tu faire pareille question?

Et pour cacher son trouble:

– Mais, monsieur le chevalier, pourquoi cette comédie lugubre?… Savez-vous, soit dit sans reproche, que vous pouvez me tuer?

– Que non, ma mignonne… Pourquoi cette comédie, dites-vous!… Eh! par Pilate! parce que je n’ai pas vu d’autre moyen d’amener cet incorrigible timide à prononcer ces deux mots si terribles et si doux: Je t’aime!

– Ainsi, c’était pour cela?

– M’en voulez-vous? fit doucement Pardaillan en lui prenant les deux mains.

– Je suis bien trop heureuse pour vous en vouloir…

Et avec un accent de gratitude infinie:

– Il faudrait que je fusse la plus ingrate des créatures… Ne vous devrai-je pas mon bonheur?

Alors se penchant sur elle, désignant le Chico du coin de l’œil, Pardaillan lui dit tout bas:

– Ne vous avais-je pas prédit que vous finiriez par l’aimer?

– C’est vrai, fit-elle simplement. Tout ce que vous promettez arrive.

Pardaillan se mit à rire, de son bon rire si clair.

– Et maintenant, fit-il, savez-vous ce que je vous prédis?

– Quoi donc?

– C’est que votre premier enfant sera un garçon…

Juana rougit et, considérant la petite taille du nain, secoua la tête d’un air de doute.

– Un garçon, reprit Pardaillan en riant toujours, que vous appellerez Jean en souvenir de moi… et qui deviendra plus grand que moi… et qui sera solide comme un chêne.

– Je le crois, dit gravement Juana, puisque vous le dites, et je vous promets de lui donner le nom de Jean en souvenir de vous. Mais, monsieur le chevalier, quand on a eu l’honneur de vous connaître et de vous apprécier, comme nous, soyez assuré qu’on ne saurait vous oublier jamais.

– Chansons! murmura Pardaillan, embarrassé.

Quant au Chico, il ne disait rien, il ne pensait à rien.

Il croyait faire un rêve délicieux et ne souhaitait qu’une chose: ne se réveiller jamais.

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