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Très étonnée, mais non effrayée, parce qu’elle ne soupçonnait pas la gravité des événements, elle s’était dressée instinctivement en s’écriant:

– Que se passe-t-il donc?

Un des galants cavaliers, qui l’avaient poussée à cette place privilégiée, répondit, obéissant à des instructions préalables:

– On veut arrêter le Torero. C’est une opération qui rencontrera quelques difficultés, car ils sont là des milliers d’admirateurs résolus à l’entraver de leur mieux. Notre sire le roi, qui prévoit tout, a pris des mesures en conséquence. Si vous voulez m’en croire, demoiselle, vous ne resterez pas un instant de plus ici. Il va pleuvoir des horions dont beaucoup seront mortels.

De tout ceci, la Giralda n’avait retenu qu’une chose: on voulait arrêter le Torero.

– Arrêter César! s’écria-t-elle. Pourquoi? Quel crime a-t-il commis?

Et n’écoutant que son cœur amoureux, sans réfléchir, elle avait voulu s’élancer, courir au secours de l’aimé, lui faire un rempart de son corps, partager son sort quel qu’il fût.

Mais tous ceux qui l’environnaient, y compris les deux soldats en sentinelle à cet endroit, étaient placés là uniquement à son intention à elle.

Tous ces hommes étaient les acolytes de Centurion, renforcés pour la circonstance. Leur besogne leur avait été clairement expliquée et ils savaient par conséquent ce qu’ils avaient à dire et à faire pour la mener bien.

La Giralda ne put même pas faire un pas. D’une part les deux soldats se jetèrent en même temps devant elle pour lui barrer le chemin; d’autre part, le même cavalier empressé la saisit au poignet d’une main robuste et l’immobilisa sans peine. En même temps, pour expliquer et excuser la cruauté de son geste, le cavalier disait, sur un ton qu’il s’efforçait de rendre courtois:

– Ne bougez pas, demoiselle. Vous vous perdriez inutilement.

– Laissez-moi! cria la Giralda en se débattant.

Et prise d’une inspiration soudaine, elle se mit à crier de toutes ses forces:

– À moi! On violente la Giralda… la fiancée du Torero!

Cet appel ne faisait pas l’affaire des sacripants qui avaient mission de l’enlever. La Giralda, criant son nom, aussi populaire que celui du Torero, la Giralda, se réclamant de son titre de fiancée en semblable occurrence, avait des chances d’ameuter la foule contre les hommes de Centurion, qui n’étaient pas précisément en odeur de sainteté aux yeux du populaire.

Le galant chevalier, qui était le sergent de Centurion et comme tel commandait en son absence, comprit le danger. Il eut à son tour une inspiration, et la lâchant aussitôt, il dit en faisant des grâces qu’il croyait irrésistibles:

– Loin de moi la pensée de violenter l’incomparable Giralda, la perle de l’Andalousie. Mais, señorita, aussi vrai que je suis gentilhomme et que don Gaspa Barrigon est mon nom, vous iriez au devant d’une mort aussi certaine qu’inutile en courant par là. Voyez plutôt vous-même. Montez sur cet escabeau. Voyez-vous les partisans du Torero qui l’enlèvent au nez et à la barbe des soldats chargés de l’arrêter? Voyez l’officier qui s’arrache la moustache de désespoir!

– Sauvé! s’écria la Giralda, qui avait obéi machinalement à don Gaspar Barrigon, puisque tel était son nom.

Et sautant lestement à terre, elle ajouta:

– Il faut que je le rejoigne à l’instant.

– Venez, señorita, s’empressa de dire Barrigon; sans moi vous ne passerez jamais à travers cette multitude. Et croyez-moi, ne perdons pas une seconde. Dans un instant un ouragan de balles va s’abattre ici, et je puis vous assurer qu’il fera chaud.

La Giralda eut un geste d’impatience à l’adresse de l’importun. Mais voyant ses efforts se briser devant l’impassibilité des compagnons qui l’entouraient et qui ne bougeaient – pour cause – elle eut un geste de déception douloureuse.

– Suivez-moi, demoiselle, insista don Gaspar. Je vous jure que vous n’avez rien à craindre de moi. Je suis un admirateur passionné du Torero et suis trop heureux de prêter l’appui de mon bras à celle qu’il aime.

Il paraissait sincère devant les bourrades qu’il ne ménageait pas à ses hommes; ceux-ci se hâtaient de lui livrer passage. La jeune fille n’en chercha pas plus long. Elle suivit celui qui lui permettait de se rapprocher de son fiancé.

Quelques instants plus tard, elle était hors de la foule, dans une des petites rues qui bordaient la place. Sans songer à remercier celui qui lui avait frayé son chemin et dont l’aspect rébarbatif ne lui disait rien, elle voulut s’élancer.

Alors, elle se vit entourée d’une vingtaine d’estafiers qui, loin de lui faire place, se serrèrent autour d’elle. Alors elle voulut crier, appeler à l’aide; mais sa voix fut couverte par le bruit de l’arquebusade qui éclata comme un tonnerre à cet instant précis.

Avant d’avoir pu se ressaisir, elle était saisie, enlevée, jetée sur l’encolure d’un cheval, deux poignes vigoureuses la happaient, paralysaient toute résistance, la maintenaient immobile, tandis que la voix railleuse du cavalier murmurait:

– Inutile de résister, ma douce colombe. Cette fois-ci, je te tiens bien, et tu ne m’échapperas pas.

Elle leva son œil où se lisait une détresse qui eût apitoyé tout autre et considéra celui qui lui parlait sur ce ton à la fois grossier et menaçant, et, elle reconnut Centurion. Elle se sentit perdue. D’autant mieux qu’autour d’elle, elle ne voyait que ces cavaliers à mine patibulaire qui l’avaient si galamment poussée au premier rang de la foule, ces mêmes cavaliers qui l’avaient ensuite escortée jusque-là et qui, maintenant, riant haut, avec d’ignobles plaisanteries à son adresse, enfourchaient les chevaux que des acolytes gardaient dans ce coin de rue en prévision de l’événement qui se produisait.

Le guet-apens, soigneusement ourdi, adroitement exécuté, lui apparut dans toute son horreur, et elle se demanda, trop tard, hélas! comment elle avait pu être aveugle au point de n’avoir eu aucun soupçon à la vue de ces mufles de fauves qui suaient le crime.

Il est vrai que toute à la joie du triomphe escompté de son bien-aimé César, elle n’avait pas même songé à les regarder à ce moment-là, et Dieu sait si elle regrettait maintenant.

Alors, comme un pauvre petit oiseau blessé qui replie ses ailes et s’abandonne en tremblant à la main cruelle qui s’abat sur lui, frissonnante d’horreur et d’effroi, elle ferma les yeux et s’évanouit.

La voyant immobile et pâle, les bras ballants, comme un corps sans vie, le familier comprit et, cynique et satisfait, il gouailla:

– La tourterelle est pâmée. Tant mieux! Voilà qui simplifie ma besogne.

Et d’une voix de commandement, à ses hommes:

– En route, vous autres!

Il se plaça, avec son précieux fardeau, au centre du peloton, qui s’ébranla et partit à toute bride.

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