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Mais Adrienne se réveilla soudain du rêve affreux en lequel elle était plongée. Elle vit l’Homme. Elle sentit son bras. Elle essuya son souffle.

Et elle fut debout. Comme il approchait ses lèvres immondes de ses lèvres, elle le repoussa de toute la force de ses bras. Et, comme il la prenait encore et comme il la voulait à lui, alors elle le frappa.

Son poing alla violemment heurter le front de cet homme, et elle cria:

– Misérable!

Et elle le frappa à nouveau. Son poing battait cette face, qui se détournait, pendant qu’Arnoldson, dans un accès de passion terrible, pressait encore cette femme sur sa poitrine, avec des gestes d’homme ivre.

Enfin, il la lâcha. Sa bouche saignait. Arnoldson tira lentement de sa poche son mouchoir, et il épongea sa lèvre.

Il dit:

– Oui, je suis fou! je suis fou de vous! Écoutez, Adrienne. J’ai tout fait pour que vous fussiez à moi. J’ai tout prévu. Les pires désastres sont suspendus au-dessus de votre tête et de celle de votre mari et de celles de vos enfants… Eh bien, je renonce… écoutez-moi, Adrienne, écoutez-moi!… je renonce à tous ces désastres, à toutes ces catastrophes… que j’ai préparés de longue main, si vous cessez de me frapper… si vous écoutez, si vous daignez écouter la passion qui me dévore… cette passion qui m’a fait l’être misérable et criminel que je suis. Réfléchissez, Adrienne!

Mais elle était bien loin de lui. Elle lui criait:

– Assez! assez!… Vous ne pouvez plus rien contre moi!… Et les maux dont vous me menacez ne sont rien à côté de ceux que vous m’avez causés!…

– Vous croyez, madame?

Arnoldson avait reconquis son calme. Très tranquille maintenant, il essuyait encore sa lèvre, qui continuait à saigner.

– Eh! vous croyez! madame!… Eh bien, non! je vous dis que votre malheur actuel est une douce chose à côté de ce que l’Homme de la nuit vous réserve!

Et il rit sinistrement.

– Que pouvez-vous de plus contre moi, monsieur, que ce que vous avez fait? J’avais un mari: vous me l’enlevez! J’avais une fortune: vous me la prenez!…

Arnoldson remit sur sa tête le chapeau qu’il avait déposé sur le guéridon.

– Vous oubliez vos enfants, madame! fit Arnoldson.

Et, après un profond salut qu’il servait à son ordinaire, il ouvrit la porte et disparut.

Adrienne, l’œil hagard, regardait la porte qui s’était refermée sur lui.

– Mes enfants! dit-elle. Mes enfants!

Elle passa une main fébrile sur son front.

– Que veut-il dire avec mes enfants?

Mais elle vit les lettres que l’Homme de la nuit avait laissées sur le guéridon et elle se plongea dans une lecture qui lui fit à nouveau verser des larmes de rage…

XII OÙ CETTE PAUVRE MADAME MARTINET PREND UNE GRAVE RÉSOLUTION

Mme Martinet avait, à plusieurs reprises, manifesté l’intention de quitter le bois de Misère et la villa des Pavots. Elle trouvait que sa présence y devenait inutile, surtout depuis que Pold négligeait de venir lui tenir compagnie quand les «ombres de la nuit» s’étendaient sur la campagne.

Après l’avoir vainement attendu deux soirs de suite, elle s’avoua qu’elle était abandonnée. Elle en conçut un chagrin sans bornes et songea à rentrer à Paris, où son mari et ses affaires de la rue du Sentier la réclamaient impérieusement.

Déjà, Martinet, lui avait écrit, la menaçant de la venir chercher si elle ne se résolvait pas à réintégrer le domicile conjugal.

Mais, à chaque tentative de départ, Arnoldson trouvait un prétexte pour la retenir, et c’est ainsi que, par un bizarre effet de son caractère, ce matin même d’une journée qui marquera dans l’histoire de ce drame et où nous avons vu l’Homme de la nuit avoir cette scène terrible avec Adrienne, Arnoldson, disons-nous, avait déclaré à Mme Martinet qu’il revenait à sa première idée, qui était de remettre en bleu le cabinet qu’il avait fait transformer en rouge.

Mme Martinet avait alors répliqué que sa présence n’était plus nécessaire et que ses ouvriers sauraient parfaitement accomplir un travail auquel ils s’étaient déjà livrés une première fois. Ce raisonnement parut assez logique, et Arnoldson n’insista pas; mais, comme Mme Martinet faisait ses paquets, elle reçut un mot qui était signé Joe et qui la priait de passer, à six heures moins un quart, à son auberge. Joe la prévenait qu’il était résolu à faire faire d’importants travaux à l’auberge Rouge et qu’il ne reculerait point devant des frais assez considérables pour donner à son hôtellerie un petit cachet d’élégance qui, jusqu’à ce jour, lui avait fait complètement défaut.

– Allons! se résigna Mme Martinet, je resterai donc aujourd’hui encore!

– Madame Martinet, lui dit Arnoldson, faites selon votre bon plaisir. Vous êtes ici comme chez vous. Restez, partez; je serai toujours heureux de vous faire plaisir.

Mme Martinet, en attendant six heures moins un quart, cette heure que Joe lui avait fixée pour son entrevue, s’en alla promener fort tristement par les sentiers de Dainville.

Elle était vaguement hantée du désir de revoir son Pold et espérait, tout au fond de son cœur, que le hasard le lui ferait rencontrer.

Et cette pauvre Mme Martinet était si bonne, son âme de brave petite femme qui trompait son mari était si pleine d’indulgence pour les frasques de son jeune amant qu’elle lui eût certainement encore pardonné ses dures paroles de l’autre soir et son absence prolongée si l’occasion s’en était présentée.

Elle ne se présenta point, cette occasion tant espérée. Et, plus triste, plus désolée que jamais, Mme Martinet s’en vint au bois de Misère et prit le chemin de l’auberge Rouge.

Elle poussait de gros soupirs et atteignit fort lamentablement le seuil de l’auberge Rouge.

La porte en était fermée. Elle heurta et Joe vint ouvrir.

– Tiens, bonsoir, madame Martinet.

– Ah! Je vous dérange peut-être, monsieur Joe?

– Eh! que me dites-vous là? Nous sommes ici en pays de connaissance.

– Bonsoir, madame Martinet, bonsoir.

– Eh! mais c’est le père Jules!

– Lui-même! ma chère madame! Je passais par là en fumant ma bouffarde, et l’ami Joe m’a prié de venir prendre un petit verre.

Joe s’avança, gracieux:

– Vous nous ferez bien de l’honneur en trinquant avec nous.

– Ah! monsieur Joe, je n’ai point soif et ne désire rien. Vous êtes trop aimable, en vérité.

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