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Il était onze heures quand il y arriva. Il demanda à Joe, qui s’y trouvait, de le conduire immédiatement à Arnoldson. Mais Joe lui répondit:

– Il faut attendre. Arnoldson n’est pas encore rentré.

– Où est-il?

– À la villa des Volubilis.

– À cette heure? Mais Lawrence est parti ce soir même pour Paris… Diane l’attendait.

– Parfaitement, et le patron est resté seul là-bas, en tête à tête avec Mme Lawrence, fit Joe. M’est avis qu’il y aura beaucoup de nouveau d’ici quelques jours. Et voulez-vous que je vous dise, monsieur Harrison?

– Dites, Joe, dites…

– Je crois bien que le patron commence l’attaque ce soir.

– C’est possible, fit Harrison d’un air rêveur.

– Dites donc, elle est encore bougrement jolie, madame Lawrence…

– Joe, allez vous coucher, mon ami…

Et Harrison se disposa à rentrer dans la villa.

– Oui, jolie, très jolie! fit-il.

Il poussa un soupir:

– Aussi! je l’ai beaucoup aimée…

Il croyait Joe déjà loin. Mais Joe l’avait entendu.

– Oui, oui, vous l’avez aimée. Mais vous ne l’aimez plus? demanda le noir en riant.

– Je te dis d’aller te coucher, Joe, fit Harrison avec colère.

– Parce que si vous vous permettiez d’aimer encore cette femme-là, monsieur Harrison, continua Joe en riant toujours, vous ne pèseriez pas lourd dans la main du patron!

– Oui, déclara Harrison, devenu très pâle, je sais ce que je risque et… je ne l’aime plus!…

– Croyez-vous que, si vous vous montriez à elle sans cette fausse perruque, qui vous déguise, et sans ce visage que vous faites quand vous venez ici de jour, elle vous reconnaîtrait?

– Je crois que ce sont là des précautions inutiles, dit Harrison, car les années m’ont bien changé. Mais ces précautions m’ont été ordonnées par sir Arnoldson, et j’obéis. Sir Arnoldson est mon maître, conclut Harrison avec solennité, et je lui ai juré obéissance. Quoi qu’il arrive et quoi qu’il fasse, je ne violerai point mon serment.

Et il quitta Joe.

Joe, resté seul, fit, songeur:

– J’étais fou! Harrison ne nous trahira pas…

Harrison n’était pas plus tôt entré dans la villa qu’il rencontrait l’Homme de la nuit.

Car sir Arnoldson avait quitté les Volubilis à dix heures du soir et, pendant que Joe le croyait en tête à tête avec Mme Lawrence, il errait par le bois de Misère, en proie à une émotion profonde.

À onze heures, il revenait vers la villa, quand il perçut les ombres de Mme Martinet et de Pold. Il entra sans bruit dans le jardin des Pavots et, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, il laissa passer devant lui, en se dissimulant le long du mur, les deux amoureux.

Il y eut ce soir-là, à la villa des Pavots, une longue conférence entre l’Homme de la nuit et Harrison.

VI AUTOUR D’UNE TABLE

Que s’était-il passé entre Arnoldson et Mme Lawrence? Celle-ci avait continué à ressentir pour l’Homme de la nuit la répulsion éprouvée dès les premières heures. Mais vainement avait-elle supplié Lawrence de tout faire pour ne point le recevoir aux Volubilis.

Maxime, en effet, lui imposa la présence de cet homme à diverses reprises.

Des relations s’étaient établies entre eux, assez étroites: des relations d’affaires.

Maxime avait eu, ces temps derniers, de pressants besoins d’argent. Il lui fallut même des sommes considérables. Arnoldson lui proposa à nouveau l’achat de ses actions du Mékong. Ce fut chose faite en partie et sans préjudice apparent pour Lawrence.

La reconnaissance des services rendus voulut que Lawrence invitât Arnoldson aux Volubilis.

Il y vint dîner une première fois et se montra de la dernière galanterie envers Adrienne.

Il se crut autorisé à inviter lui-même Lawrence et sa famille aux Pavots. Mais cette tentative n’eut point de suite, car Adrienne se déclara trop souffrante pour sortir de chez elle.

Ceci fut dit d’un tel ton qu’il n’y avait point à y revenir.

Enfin, ce jour-là, qui devait compter dans la destinée de tous les héros de cette histoire, l’Homme de la nuit avait été invité pour la seconde fois aux Volubilis.

Lawrence devait partir pour Paris immédiatement après le dîner.

Depuis qu’il était arrivé à la campagne, Lawrence marquait un esprit bizarre. Il était plus taciturne que jamais, errait par les plaines et par les bois, s’enfermait des heures entières dans sa chambre, écrivait de longues lettres, qu’il allait porter lui-même à Villiers.

Tous les matins, il était levé dès la première heure, et sa promenade était toujours la même. Il croisait inévitablement le facteur qui montait vers Montry.

– Rien pour moi? demandait Lawrence.

– Rien, monsieur Lawrence, répondait le facteur.

Et Lawrence s’en retournait tout triste, plus triste que jamais.

Enfin, ce matin-là, il reçut un mot de Diane, un mot qui lui ordonnait de venir à Paris. Elle l’attendait dans la soirée. Elle voulait le voir, lui parler.

Ce lui fut une grande joie. Il se montra d’une gaieté extrême, et c’est le sourire sur les lèvres qu’il annonça à Adrienne son proche départ.

– Mais sir Arnoldson vient dîner ce soir, dit Adrienne.

– Aussi dînerai-je. Je ne partirai pour Esbly qu’après le repas.

– Je vous prierai même, mon ami, insista Adrienne, de ne partir que lorsqu’il sera parti lui-même.

Ce fut l’occasion de courtes observations de Lawrence, qui ne comprenait pas, disait-il, l’attitude de sa femme pour un homme qui était fort laid, certainement, mais qui s’efforçait de leur être agréable…

Quand vint l’heure du dîner, Arnoldson se présenta, plus souriant encore que les jours précédents et débordant de compliments pour Adrienne, Lily, plein d’amabilité pour les convives, qui ressentaient une gêne et un embarras croissants en face de cet hôte extraordinaire.

On ne savait point s’il parlait jamais sérieusement ou s’il se livrait à des facéties, qu’on hésitait à relever, tant elles étaient dites sérieusement.

Arnoldson était à la droite d’Adrienne. Il ne manquait point une occasion de la toucher, de la frôler. Adrienne, très pâle, fixait Lawrence, qui, perdu dans un rêve heureux, ne s’apercevait de rien.

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