Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Le roi de l’huile fut debout, frappa la table d’un formidable coup de poing et cria:

– Taisez-vous, Charley! Vous êtes un fou!

Et il répéta, dans une animation extraordinaire:

– Vous êtes un fou! un fou! un fou! Charley, très calme, l’apaisa:

– Ce n’est qu’une hypothèse.

– Oui, oui, fit Jonathan en se rasseyant, ce n’est qu’une hypothèse…

– Admettons donc…

– Non, non, n’admettons pas…

– Je veux bien ne pas admettre, mais vous ne saurez pas alors à quel point votre cœur est malade.

– Alors, admettez; moi, je n’admets pas.

– Je suppose donc que miss Mary dise non après avoir dit oui. Pour qu’elle redise ce oui, vous donneriez bien toutes vos huiles et tous vos pétroles de Pennsylvanie et vos usines d’Oil City?

– All right!

– Et si ça ne suffisait pas, vous donneriez peut-être encore vos vastes établissements de Chicago et toutes vos salaisons passées, présentes et à venir?

– All right!

– Et si ça ne suffisait pas encore, vous abandonneriez sans doute les immenses terrains que vous venez d’acheter au pied des collines Noires et qui sont, dit-on, infiniment riches en minerai d’or?

– All right!

– Et toute votre fortune acquise, enfin! Et vous iriez joyeusement à la ruine, quitte à recommencer une fortune nouvelle, plutôt que de renoncer à ce joyau unique au monde et qui vaut à lui seul toutes les richesses de la terre: miss Mary!

Jonathan baissa la tête et fit doucement un dernier «all right!».

– Vous connaissez maintenant l’état de votre cœur, conclut Charley.

– Oui, tout cela est vrai. Je donnerais tout pour Mary.

Il prit la main de la jeune fille, la serra dans les siennes en un geste de passion.

– Vous voyez, Mary, ce que vous avez fait de mon vieux cœur tanné, comme dit Charley.

Miss Mary tourna lentement la tête vers le roi de l’huile et lui sourit.

– Oh! votre sourire, Mary, votre sourire! Il faut que vous sachiez ce que m’a fait votre sourire. Il faut que vous sachiez ce que j’étais avant votre sourire!

Sir Jonathan se leva et allait, sans aucun doute, se livrer à une tirade de «jeune premier», quand il se rassit soudain et, se tournant vers Charley:

– Avant, il faut que je vous parle business, mon bon Charley. Réglons la situation comme si l’un de nous devait être scalpé dans deux heures. Je puis mourir… disparaître…

– Plus bas! interrompit Charley. Si le stewart entendait, il rirait.

– Je puis mourir, et il faut que vous connaissiez le but de notre voyage à Denver.

– Je vous écoute.

– Vous me disiez tout à l’heure que j’avais acheté d’immenses terrains au pied des collines Noires et qu’ils devaient être riches en minerai d’or. C’est vrai. Malheureusement, l’or est engagé dans ces minerais en parties presque invisibles. On ne peut l’en extraire qu’au prix des plus grandes difficultés. Cela tient aux sulfures qui l’entourent. Jusqu’alors, on a usé de la vapeur d’eau surchauffée, comme désulfurant, sur ce minerai, préalablement réduit en poussière, et l’on a traité ce résidu par l’amalgamation. Les résultats sont plus que médiocres. Et c’est ce qui explique le peu de valeur relative de ces terrains et le bon marché de leur vente. Mais imaginez un procédé inconnu, une invention nouvelle qui fasse rendre à ces terrains vingt fois plus d’or qu’ils n’en donnent à cette heure… Alors, c’est la fortune.

– Sir Jonathan, interrompit Charley, vous parlez comme un pauvre.

– On n’est jamais assez riche. Eh bien, ce procédé, je le possède, Charley. Et c’est pour l’expérimenter que nous nous rendons au pied des collines Noires. Vous comprenez dès lors que je ne tiens point à emporter avec moi, si je disparais, le secret de l’invention. Vous me fûtes toujours un employé fidèle, Charley, et intelligent. À Oil City, vous m’avez été du plus grand secours, et je vous dois en partie la prospérité de mes établissements. Si le sort veut que je ne puisse exploiter mes terrains aurifères avec le procédé dont je vous parle, je ne vous lègue pas les terrains, mais je vous donne le procédé. Je vous jure que c’est mieux.

– Et comment pourrai-je prendre connaissance de cette invention merveilleuse?

– Voici. Vous laissez, à Cheyenne, l’Union Pacific railway. Vous prenez l’embranchement de l’Union Pacific railroad et vous débarquez à Denver. Allez immédiatement à l’hôtel d’Albany et demandez sir Wallace. C’est un de mes meilleurs amis. Quand vous le verrez venir à vous, prononcez immédiatement ces paroles convenues: «The queen city of the Plains». Sir Wallace comprendra et vous livrera un pli. Je le lui ai remis à mon dernier voyage au lac Salé, ne voulant point emporter avec moi les papiers précieux qu’il contient. Ils vous appartiendront, Charley. C’est le procédé, c’est l’invention merveilleuse, comme vous disiez tout à l’heure.

– Merci, sir Jonathan. Mais vous n’êtes pas encore enterré, que diable! Et si je ne dois être riche qu’au lendemain de votre mort, je suis pauvre pour longtemps. Que ne prenez-vous l’habitude d’être généreux de votre vivant? Cette générosité après décès est profondément immorale. Elle pousse les plus vertueux à désirer secrètement qu’un accident propice leur enlève les êtres les plus chers.

– Vous avez de ces pensées, Charley?

– Parfaitement, depuis que vous m’avez entretenu d’une fortune possible…

– Vous voulez plaisanter. Cela m’étonne. Vous ne plaisantez jamais. Vous êtes d’une humeur bizarre, Charley.

– Si je pense à votre mort, je pense aussi au désespoir que miss Mary en ressentirait, et cela m’empêche de la souhaiter.

– Voilà qui est bien dit, mon ami. Cette chère Mary!

Jonathan se tourna vers la jeune fille.

– À vous aussi, dit-il, j’ai pensé.

– Allons, allons, ne nous attendrissons pas, interrompit Charley. Je vous en prie, ne nous racontez point votre testament…

– C’est vrai. Je suis une vieille bête. C’est de votre faute, Mary. Jamais je n’eusse pensé à ces choses avant votre sourire, ma petite Mary. Et, maintenant que j’ai réglé le business, je veux vous parler de mon amour pour vous et vous dire ce que vous avez fait de cet animal grossier qui était le roi de l’huile.

Miss Mary desserra les dents.

– Je sais ce que je vous dois, mon bon ami, mais vous ne me devez rien. À vous entendre, on vous croirait mon obligé. Je ne le veux pas.

2
{"b":"125245","o":1}