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Lily était muette. Lily avait en elle une vision. Non point la vision du matin, de ce jeune homme qui lui avait été si secourable dans la traversée du ruisseau… Mais une autre vision avait effacé celle-là. Quelques minutes avant le repas, Lily était dans sa chambre. Cette chambre avait une fenêtre qui donnait sur la campagne, sur la plaine de Montry, terminée par le coteau derrière lequel est Dainville.

C’était l’heure où le soleil, derrière le coteau, se couchait. Une heure de paix et de calme infinis. L’horizon était écarlate. Les quelques nuages qui couraient au ciel se teignaient de pourpre et d’or. Vers le sommet du coteau que bordait le ruban de la route, apparut un cavalier.

Tout blanc, sur un coursier d’une immaculée blancheur, dans la gloire et le triomphe du soleil couchant, il apparut. Ce ne fut qu’une vision très rapide. Il passa. Il grandit sur l’horizon, vint surgir au sommet du coteau, statue équestre d’une beauté inoubliable, puis cheval et cavalier disparurent.

Mais, avant qu’il s’en allât, Lily, qui était restée à sa fenêtre et qui avait reconnu dans le cavalier du soir le jeune homme du matin, avait cru voir que le cavalier avait fait un geste vers elle, qu’il lui envoyait un baiser. La cloche du dîner la rappela à la réalité des choses.

Mais elle n’oubliait pas. Mais elle portait en elle la vision du cavalier blanc, d’un blanc presque doré dans la douceur du soir.

Aussi, rien de ce qui se faisait autour d’elle n’existait. Elle n’entendait point ce qui se disait…

Cependant elle perçut ces mots, que prononçait Arnoldson:

– C’est un individu d’une originalité excessive. Il reste des jours entiers sans adresser la parole à âme qui vive. Des heures, il reste devant un orgue, et fait une musique que je ne comprends pas… que nul ne comprend… Et puis, tout d’un coup, il appelle un serviteur qui lui amène son cheval blanc, son Kali, comme il l’appelle. Il saute dessus… et il part… Vers quelles régions? Pour quelles rives part-il? On ne le sait… Qui comprendra jamais le prince Agra?

Et Lily, maintenant, ne perdait pas une parole d’Arnoldson.

Il continuait:

– Oui, madame, cet être étrange qu’est mon ami est mon hôte. Mais il l’est d’une façon si singulière que j’en doute parfois… Il lui prend la fantaisie de ne point me saluer et de ne point me connaître… Il semble avoir la haine des hommes et abhorre la société… Je lui dirais: «Il y a aux Volubilis des amis qui voudraient vous être présentés», qu’il ne me répondrait même pas. Comprenez-vous cela, madame?

Et Arnoldson conclut:

– C’est une nature exceptionnelle!

Puis l’heure du départ de Lawrence était arrivée. Il se leva.

– Je vous laisse, dit-il. Pour rien au monde je ne voudrais manquer mon train ce soir: de puissants intérêts m’appellent à Paris.

– Lesquels? demanda encore Adrienne.

– Je te les dirai plus tard, ma chérie.

Et il avait déposé un baiser sur le front d’Adrienne, un baiser dont elle sentit toute l’indifférence. Il fit, avant de sortir:

– Je vous laisse… Au revoir, sir Arnoldson. Tenez quelque peu compagnie à ma femme et faites-lui comprendre qu’il est des heures où les affaires doivent faire oublier les devoirs de l’hospitalité.

Il serra la main d’Arnoldson et s’en alla.

Pold, qui songeait déjà à Mme Martinet, quitta bientôt la table. Lily le suivit.

L’Homme de la nuit et Adrienne restèrent en face l’un de l’autre.

VII UN SINISTRE AMOUREUX

Il était neuf heures et demie environ. Le dîner avait eu lieu au fond du jardin, sous une sorte de kiosque dont les murs disparaissaient sous les plantes grimpantes.

Par la porte entr’ouverte, la nuit entrait, toute parfumée de la respiration des fleurs.

Pas un bruit ne partait du jardin, pas un bruit ne venait de la villa.

Arnoldson et Adrienne étaient seuls, parfaitement seuls.

Ce silence, ce calme absolu, cette paix de toutes choses semblaient fortement impressionner Mme Lawrence, qui, soudain, prit peur de la solitude dans laquelle on l’avait laissée en face de cet homme.

Car Arnoldson lui faisait peur. Elle se leva, bien que son hôte touchât encore aux fruits du dessert.

Elle dit:

– Monsieur, si vous le voulez, nous rentrerons à la villa… Lily nous fera un peu de musique… Rentrons, monsieur; je sens que le froid de la nuit pourrait nous gagner, dans ce kiosque ouvert à tous les vents, à tous les courants d’air…

– Le froid, madame? fit Arnoldson fort tranquillement, et sans se déranger le moins du monde, le froid? Mais nous n’avons pas encore eu de nuit aussi chaude…

– Il n’empêche que les courants d’air… hasarda Adrienne, fort intriguée de l’attitude d’Arnoldson, qui ne se levait pas, bien qu’elle eût déjà quitté son siège.

– Ah! ah! les courants d’air!… Eh! madame, vous voulez rire? Eh bien! rions…

Et, avec son infernal sourire, Arnoldson montra d’un geste lent les bougies allumées sur la table.

– Regardez cette cire qui brûle, madame. Contemplez cette flamme, immobile et droite, et dites-moi s’il y a des courants d’air…

Adrienne tressaillit à ce langage inattendu. Elle ne comprenait point l’obstination de cet homme, et elle en était épouvantée. Elle avait envie de fuir. Elle repartit d’une voix tremblante d’anxiété:

– Alors, monsieur, vous ne voulez pas me reconduire à la villa?… Excusez-moi, mais j’ai des ordres à donner pour demain…

Et elle se dirigea vers la porte.

Un geste de l’Homme de la nuit l’arrêta.

Elle attendit. Que voulait-il d’elle?

Maintenant, Arnoldson avait pris un abricot, qu’il piqua de sa fourchette d’argent, et il regardait cet abricot au bout de cette fourchette.

– Des abricots en cette saison, madame? Vous avez des abricots superbes.

– Oui. Ils viennent de Grenade. Un ami…

– Un ami qui vous les a envoyés? Un ami?… Dites-moi, madame, fit Arnoldson en coupant l’abricot, dites-moi, vous avez beaucoup d’amis?

– Mais, monsieur… fit Adrienne, qui n’osait plus s’en aller et qui se demandait où cet homme voulait en venir, vous me posez des questions…

– … qui vous paraissent stupides, n’est-ce pas? Non, elles ne sont pas stupides… Je désirais savoir si vous avez beaucoup d’amis, parce que je voulais vous faire entendre qu’en ce cas vous pourriez réunir le dévouement de tous ces amis-là… et que ce dévouement collectif ne pourrait atteindre à la hauteur du mien.

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