Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Silence! cria Pold à Lily, et écoute…

Le prince déclara, d’une voix sourde:

– C’est vrai, madame. Je suis le fils d’un misérable!… Je comprends que vous nourrissiez contre cet homme une haine éternelle… Et, cependant, madame, vous ne le haïrez jamais autant que je le hais!…

Adrienne voulut interrompre le prince, mais celui-ci l’arrêta d’un geste violent et continua:

– Madame, quand je vous demandais tout à l’heure de ne pas oublier que vous me deviez le retour de votre enfant, je n’espérais pas que ce souvenir pût modifier du tout au tout les sentiments de répulsion et d’horreur que vous pouvez avoir pour moi. Je sais, madame, que je n’ai rien à attendre de votre clémence, et je l’ai dit à Lily. Elle ignore l’abîme qui nous sépare… Ce que je vous demandais, madame, ce n’était point un impossible pardon… C’était tout au plus un adieu qui ne fût point accompagné de votre malédiction…

«Oui, madame, rassurez-vous: je vais partir, et vous ne me reverrez jamais plus si votre volonté de ne plus me revoir reste inébranlable… Mais, auparavant, permettez-moi quelques paroles et apprenez à connaître le fils du misérable dont vous parliez tout à l’heure…

Lily s’était jetée sur un canapé, la tête entre les mains.

Adrienne et Pold attendaient les paroles promises.

Le prince, alors, raconta rapidement son éducation première. Il montra Arnoldson attaché à l’âpre besogne qui devait faire de son fils un monstre d’insensibilité et de misanthropie. Dans quel but? Dans un but qu’il avait été longtemps à ignorer, mais qu’il connaissait à cette heure et qu’il ne voulait point dire à Adrienne, lui promettant des révélations plus complètes pour plus tard, si elle ne s’y opposait point et si ces révélations devenaient nécessaires. Bref, il n’avait été pendant longtemps qu’un instrument docile entre les mains d’Arnoldson. Il faisait ce que cet homme lui disait de faire, sans discuter ses actes, sans chercher à se les expliquer, parce que toutes choses lui étaient indifférentes, et, du jour où il avait essayé une révolte contre la toute-puissance de l’Homme de la nuit, celui-ci avait étouffé cette révolte avec un mensonge. Il l’avait intéressé à sa vengeance, lui faisant croire qu’il avait le devoir d’y prendre part… Et, en effet, la fatalité avait voulu qu’il aidât Arnoldson dans son œuvre ténébreuse, cette œuvre qui devait frapper une famille dans laquelle il allait rencontrer Lily.

Il dépeignit la statue de marbre qu’il était, l’égoïsme formidable qui l’avait glacé. Tout cela n’avait pas résisté à un regard de Lily.

Il se tut.

Adrienne dit:

– Monsieur… qu’Arnoldson vous ait trompé ou non, que vous ayez agi de votre propre initiative ou poussé par le mensonge de cet homme, que vous ayez ignoré, en l’aidant dans son œuvre abominable, le but vers lequel il marchait et le secret de ses machinations, dont je devais être la victime, de toute façon vous l’avez aidé! Vous avez pris votre part de ce drame qui faillit m’enlever mon fils et qui…

Ici Adrienne ajouta, à voix basse, en regardant Lily qui ne la voyait point:

– … qui m’a faite veuve…

Agra l’arrêta encore:

– Et c’est pourquoi je me retire, madame. C’est pourquoi il est probable que vous ne me reverrez jamais plus. Oui, toute alliance est impossible entre nous. Mais, avant que je n’aie franchi le seuil de cette porte, laissez-moi vous avertir que la passion d’Arnoldson est telle qu’il ne vous laissera le repos qu’après l’avoir assouvie… à moins que quelqu’un ne se mette entre ses desseins et vous, contre lui et pour vous. Je serai celui-là.

Puis il se tourna vers Pold:

– Adieu, monsieur.

Pold s’inclina.

Mais Lily s’était levée et criait:

– Ne partez pas! William! Pourquoi m’abandonnes-tu, William? Pourquoi m’as-tu trompée?

Agra alla vers Lily.

– Ne pensez plus à moi.

Et il gagna précipitamment la porte.

Au moment où il allait disparaître, Lily lui cria:

– Ne plus penser à vous… Mais à qui voulez-vous que je pense?

Sa mère vint à elle.

– Ma fille, dit-elle, tu penseras à ton père!…

– À mon père?…

– Oui, Lily… à ton père… N’as-tu donc point vu mes vêtements de deuil?… Tu penseras à ton père… qui est mort!…

VII CE QUI SE PASSAIT, CETTE NUIT-LA, AUTOUR DE L’AUBERGE ROUGE

C’était une nuit lunaire, qui faisait les feuillages des arbres très pâles.

Il pouvait être dix heures. Pas un bruit dans le bois de Misère.

Sur la lisière de ce bois, les murs blancs de la villa des Volubilis et de la villa des Pavots, dressés les uns en face des autres, éclataient dans la nuit. Aucune lumière aux fenêtres. La villa des Pavots était déserte, et les hôtes des Volubilis semblaient déjà s’être livrés au sommeil.

Dans le bois, non loin de la route qui descendait vers Villiers, une lueur, une unique lueur tremblotait parmi les feuillages.

Cette lueur venait d’une fenêtre, au premier étage de l’auberge Rouge.

Une ombre se coucha derrière un talus, les yeux fixés sur cette lueur.

Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées que cette ombre fut rejointe par une autre.

Et une conversation à voix très basse s’engagea entre les deux ombres.

– Il est là? demanda l’ombre que nous avons vue venir des Volubilis à l’auberge Rouge.

– Oui, il est là. Voilà deux heures qu’il est arrivé. Il est dans cette chambre.

Et l’ombre montra la fenêtre éclairée.

– Du reste, tu vas le voir s’agiter tout à l’heure. Une demi-heure avant ton arrivée, mon petit Pold, quelqu’un l’a rejoint dans cette chambre. Ils doivent être à converser dans un coin. Quand son compagnon l’aura quitté, Arnoldson va recommencer ses cinq cents pas à travers la chambre, et tu vas le voir passer et repasser à la fenêtre. Il commence à s’impatienter. Il trouve sans doute que ta mère est bien lente à venir…

– Qui donc est avec lui, mon vieux Martinet? Tu n’as point reconnu celui qui l’a rejoint là-haut?

– Je crois bien que si. Ce doit être Joe. C’était bien sa carrure. Et puis, depuis trois heures que je surveille la maison, comme je n’ai vu arriver qu’Arnoldson, je ne pense point qu’il y ait en ce moment à l’auberge Rouge d’autres personnages que l’Homme de la nuit et le noir.

– Alors, tout est pour le mieux, fit Pold. Je n’osais point l’espérer. Tu sais qu’Arnoldson est ordinairement accompagné d’une sorte de géant qui a reçu l’unique consigne de veiller sur les jours précieux de son maître…

91
{"b":"125245","o":1}