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– Mais oui. Vous finirez de souper gentiment.

– Ce n’est pas convenable.

– Allons donc! Pold est un ami! N’est-ce pas, Pold?

– L’ami le plus cher, acquiesça celui-ci.

– Tu vois bien! Ne fais pas la sotte! As-tu peur qu’il te manque de respect?

Et il se mit à rire.

– Moi, tu sais, je connais les femmes. Tu ne me tromperas jamais!

Il le disait comme il le croyait.

– Tu dis des bêtises! Si tu t’en vas, je m’en vais!

– Alors, je me fâche! A-t-on jamais vu une pareille pimbêche! s’écria-t-il. Madame fait des manières!… Madame ne peut pas sortir sans son mari!… Madame est stupide!…

– Martinet!…

– Marguerite!…

– Tu peux bien rester avec nous!…

– Zut!

Et, se tournant vers Pold:

– Est-ce que ma femme vous gêne? demanda Martinet.

– Oh! nullement!

– Sa compagnie ne vous est pas désagréable?

– Au contraire.

– Alors, tu vois, laisse-moi manger et partir. Il dévora une tranche de pâté.

Mme Martinet, cramoisie, penchait maintenant sa tête dans son assiette et ne soufflait mot.

Entre deux bouchées, Martinet demandait à Pold:

– Alors, vous avez tout vu? Vous êtes content?

– Enchanté!

– La chambre?

– Superbe!

– Et le lit?

– Il me plaît.

– Avez-vous remarqué la courtepointe?

– Non.

– Vous avez eu tort. C’est l’ouvrage de Mme Martinet. Elle y a mis tous ses soins.

– Vraiment?

– C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire. Elle l’a soignée comme pour elle!

Pold faillit s’étrangler avec un os de volaille, et Mme Martinet, de plus en plus cramoisie, toussa. Il y eut un silence.

Martinet se leva et jeta sa serviette:

– J’ai fini! Au revoir, les agneaux!

Sa femme fit une dernière tentative:

– Comme tu as tort de te donner tant de peine pour Diane!

– N’insiste pas! Tu ferais croire à M. Pold que tu t’ennuies en sa compagnie. Finissez tranquillement de souper, prends un sapin et rentre. Moi, je ne sais si je pourrai rentrer cette nuit… Cela dépend de ce qui m’attend là-bas…

Sur le seuil de la salle, il se retourna:

– Amusez-vous bien!

Quand M. Martinet fut parti, sa femme et Pold allèrent voir la courtepointe.

XII OÙ LE PRINCE AGRA REÇOIT ET DONNE DES ORDRES

Revenons chez Diane.

Celui que le comte Grékoff et le duc Hartmann venaient de saluer de cette appellation bizarre: «L’Homme de la nuit» se tenait, immobile, au sommet de l’escalier du grand hall.

Tous les yeux étaient tournés vers sa silhouette sombre et mystérieuse. Il était couvert, du col aux pieds, d’un large manteau noir. Les ailes de ce manteau, une sorte de macfarlane, dissimulaient ses bras qu’il avait croisés sur sa large poitrine. Cet être était d’une amplitude d’épaules peu ordinaire. La tête était puissante; un chapeau noir, un chapeau mou aux bords rabattus, le coiffait. L’homme se découvrit, d’un geste lent. La tête apparut chenue, et sur sa face, horriblement pâle, il y avait les deux disques de ses lunettes. Comme l’avaient dépeint ceux qui, dans les circonstances que nous avons dites, l’avaient entrevu, cet être donnait bien la sensation de quelque oiseau monstrueux des ténèbres.

Tous les yeux étaient fixés sur lui. On se demandait quelle pouvait être cette apparition, ce qu’elle signifiait. On se demandait ce que cet homme faisait là et ce qu’il voulait.

Et il descendit les degrés de l’escalier. Il s’avança dans la salle et chacun lui fit place.

Le prince Agra s’était levé et le regardait venir.

Diane, comme tout le monde, fixait anxieusement l’hôte inattendu.

Il fut bientôt auprès du prince. Il lui tendit la main. Le prince la prit.

– Présentez-moi, prince, commanda l’homme.

Le prince, toujours fort calme, le présenta à l’assemblée:

– Sir Arnoldson, mon ami.

Diane prit la parole:

– Puisque vous êtes l’ami du prince, soyez le bienvenu chez moi, monsieur.

– Madame, fit sir Arnoldson, je bénis le ciel qui m’a conduit dans une aussi brillante assemblée.

Mais des voix d’hommes couvrirent la sienne. Le comte Grékoff et le duc Hartmann s’entretenaient près d’eux:

– C’est donc vrai, disait l’un, que partout où paraît le prince, des drames ne sont pas loin. Il paraît qu’à travers le monde, on ne peut les compter.

Diane les regardait un peu affolée; quand elle se retourna vers Arnoldson, il avait disparu. Sa fuite paraissait aussi étrange que son apparition.

– Où donc est passé cet homme? Par quelle trappe s’est-il évanoui? demandait de Courveille à Lawrence.

– Je ne sais, fit Lawrence, mais il est venu près de nous. J’ai senti, une seconde, son regard peser sur moi. Oui, certes, un étrange individu! Ses yeux me paraissaient «flamber» derrière ses lunettes…

– Et vous, prince, vous vous éloignez?… demanda Diane.

– Je reviendrai près de vous, madame, dans un instant.

– Vous me le jurez? fit la jeune femme, anxieusement.

– Je ne jure jamais, madame, répondit Agra en s’éloignant.

Il retraversa le hall, où il y avait foule encore, monta l’escalier, s’en fut dans une serre.

Cette serre était à peine éclairée et déserte. Il entra dans un coin d’ombre, s’accota à un palmier, croisa les bras et attendit.

Une voix se fit entendre près de lui. Il ne put s’empêcher de tressaillir.

– Ah! vous étiez déjà là, sir Arnoldson?

Et il distingua, dans un coin où l’ombre était plus compacte encore, sir Arnoldson, qui se balançait doucement sur un rocking-chair.

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