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II OÙ D’ANCIENNES CONNAISSANCES SE RETROUVENT

Lawrence et sa femme, Lily et Pold s’étaient «engouffrés» dans l’auberge Rouge.

Pold alla tout de suite à l’âtre et s’écria:

– Mais elle est très bien, cette auberge-là! très bien! Elle n’existerait pas qu’il faudrait l’inventer!

Tous les voyageurs se pressaient autour du foyer. Ils étaient trempés «jusqu’aux os», et chacun présentait ses vêtements à la flamme avec une satisfaction visible.

L’équipage avait, en effet, subi de multiples aventures depuis qu’il avait été tiré de son premier embarras par le cavalier mystérieux qui était apparu sur la route.

Les voyageurs s’étaient d’abord arrêtés à Dainville, dans l’intention d’y chercher un refuge pour la nuit; mais, la porte de l’unique auberge du village étant restée hermétiquement close, malgré les coups dont on la cribla, il avait bien fallu se décider à remonter dans le landau et à tenter, coûte que coûte, d’atteindre le bois de Misère et la villa des Volubilis.

La voiture était à mi-route de Dainville et de Villiers quand l’orage éclata dans toute sa force. Les chevaux refusèrent d’avancer. Les hommes durent descendre et, prenant les guides, conduire les bêtes, épouvantées. Ce n’est qu’au prix de mille efforts que l’on arriva en face de l’auberge Rouge, dont les fenêtres, éclairées, apparaissaient, à travers les arbres, comme le phare d’un port de salut, vers lequel les voyageurs se précipitèrent avec un enthousiasme facile à comprendre.

Pold, se chauffant toujours, cria:

– Garçon!

Aucun «garçon» ne se présentant, il jeta autour de lui un regard qui finit par rencontrer le noir géant, lequel avait paisiblement refermé la porte de son établissement et contemplait en silence les clients inattendus que l’orage lui amenait.

– Tiens! un noir! fit Pold.

Il ne broncha pas.

Joe continuait à le regarder sans répondre.

– Je vais lui parler «petit nègre», reprit Pold.

À ce moment, un dernier coup de tonnerre éclata sur le bois de Misère. Pold montra, d’un doigt, le plafond et demanda:

– Ti dis à li si paratonnerre.

Joe répondit:

– Non, monsieur, il n’y a pas de paratonnerre à l’auberge Rouge. Mais l’orage s’éloigne. Vous ne courez plus aucun danger, et, si vous ne pouvez continuer cette nuit votre chemin, je serai heureux de vous offrir l’hospitalité.

Le cocher entra alors et déclara qu’il était dans l’impossibilité la plus absolue d’aller plus loin. Les chemins étaient impraticables, et il fallait renoncer à l’espoir d’atteindre, cette nuit-là, la villa des Volubilis.

Il fut décidé tout de suite qu’on passerait la nuit à l’auberge Rouge, et l’on ordonna au cocher de mettre ses chevaux «à l’abri».

Pold revint au nègre.

– Moussé, dit-il, ti donné lit à mé?

– J’ai deux chambres à votre disposition, répondit Joe. J’en ai bien une troisième, mais elle est déjà prise par des voyageurs.

– Ti pas menti? fit Pold, continuant à s’entretenir dans une langue qui faisait la joie de Lily, cependant que Lawrence et Adrienne, qui semblaient fort absorbés par les flammes du foyer auquel ils se séchaient, ne souriaient même pas.

– C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, fit Joe. Des voyageurs en détresse, comme vous, occupent cette troisième chambre.

Lawrence mit trêve à la plaisanterie.

– Nous passerons la nuit ici, monsieur, fit-il à Joe. Nous avons faim. Si vous pouvez nous donner la moindre des choses, vous nous rendrez grand service. En attendant, je vous prierai de nous conduire à nos chambres.

Joe s’inclina:

– Veuillez me suivre, monsieur.

Joe montra les chambres. Lily laissa dans l’une d’elles son père et sa mère.

Lawrence alla tout de suite à Adrienne.

– Mon amie, fit-il, comme vous êtes pâle! Vous souffrez?

– Vous avez donc remarqué que je souffrais?…

– Certes! Mais je sais que vous ne voulez point que je fasse allusion à ces souffrances… Quand je vous vois si triste, Adrienne, vous m’avez défendu de vous parler de votre tristesse.

– Et cependant, quand j’étais triste, je vous trouvais toujours près de moi pour me consoler…

– Que voulez-vous dire?

Adrienne fit, avec effort:

– Je veux dire que, depuis quinze jours, vous n’êtes plus le même, mon ami… Je ne vous reconnais plus…

– Moi? s’écria Lawrence.

– Vous!… Mon ami, les femmes ne se trompent point à ces choses… croyez-moi… Vous me délaissez… votre pensée est loin de moi!

– C’est la première fois que vous me parlez ainsi!

– C’est la première fois que vous m’en donnez l’occasion, Maxime…

Lawrence prit les mains de sa femme et lui dit:

– Mon amie, depuis quelques jours, votre caractère devient plus sombre… Des choses que je croyais oubliées depuis longtemps semblent revenir vous hanter… Il faut chasser ces noires pensées… Il faut dormir jusqu’à demain, Adrienne, demain vous sourirez.

Et Lawrence fit un pas, se dirigeant vers la porte, prêt à se retirer.

Sa femme l’avait retenu déjà par le bras, d’un geste fébrile:

– Ne me quittez pas! Ne me quittez pas! Ah! pour rien au monde, ne me laissez pas toute seule, Charley!

À ce dernier mot, prononcé par Adrienne d’une voix suppliante, Lawrence s’arrêta et devint d’une pâleur extrême. Il dit, très bas:

– Pourquoi… pourquoi avez-vous prononcé ce nom-là?

Précipitamment, Adrienne répondit, le retenant toujours:

– Ah! pourquoi? Vous me demandez pourquoi je vous supplie de ne point me laisser seule? Vous avez donc oublié?… Ah! la mémoire des hommes!… Oublié que c’est aujourd’hui… la nuit!… oui, la nuit!… le 1er mai!… la nuit du 1er mai, Charley!…

Elle joignit les mains:

– La nuit anniversaire!… Et j’ai peur!… Oh! j’ai peur!…

Lawrence était tombé sur un siège. Il y eut un long silence. Lawrence se leva enfin et, secouant tristement la tête:

– Assez de vaines paroles et d’inutiles regrets, Adrienne… Faut-il donc que chaque année, à la même date, les mêmes remords viennent vous torturer!

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