Mme Martinet était, toutefois, de l’opinion d’Adrienne et trouvait qu’ils avaient commis une grave imprudence en revenant à Paris.
– Il fallait que nous fussions là pour la fête d’après-demain, dit Adrienne… Il paraît que notre présence est encore nécessaire dans une fête…
– Quelle fête?
– Celle du Bazar des fiancées…
– Mais c’est vrai! dit Mme Martinet. Vous êtes l’une des fondatrices de ce Bazar.
– Oui, fit Adrienne, c’est moi qui ai pensé la première à créer cette fondation.
– Il eût été vraiment dommage que la cérémonie se fût passée sans vous.
Mme Lawrence expliqua à Mme Martinet qu’elle eût désiré qu’il en fût ainsi. Toute la famille était encore en deuil, et ils eussent voulu se faire oublier.
Leur absence de la cérémonie du Bazar des fiancées aurait paru à tout le monde explicable après la mort encore récente du chef de la famille.
– Enfin, nous irons, conclut Adrienne, puisque le prince l’exige. La raison de cette exigence? Nous l’ignorons. Mais nous avons renoncé à comprendre bien des choses depuis un an et nous nous bornons à obéir aux ordres du prince.
– Vous avouerez, maman, fit Pold, que nous ne nous en sommes point mal trouvés jusqu’à ce jour.
– Oui. Il est vrai qu’il nous a rendu les services les plus signalés.
– Vous ne l’avez jamais revu? demanda Mme Martinet.
– Jamais, répondit Adrienne. Jamais depuis le jour où il a compris qu’il fallait qu’il s’éloignât de nous…
– Ce jour-là, mère, déclara Pold avec un grand accent de reconnaissance, ce jour-là, il nous a ramené ma sœur Lily!…
Adrienne ne répliqua point, et un grand silence se fit parmi tous les personnages de cette scène.
– Car enfin, reprit bientôt Pold, d’une voix plus forte, je ne saurais oublier que nous lui devons beaucoup de choses, à ce prince que nous avons chassé… comme on chasse un voleur… et que nous avons une étrange manière de lui prouver notre reconnaissance.
– Tu oublies, dit Adrienne, que nous ne devons aucune reconnaissance au prince Agra et que sa conduite actuelle n’est que le rachat de sa conduite passée. Tu oublies le rôle que joua cet homme dans le drame où périt ton malheureux père.
– Un rôle inconscient! Il ne fut qu’un instrument sans responsabilité entre les mains de l’Homme de la nuit. Il agissait sans savoir et croyait en cet homme. Et la preuve en est que, lorsqu’il a su quelque chose, il s’est tourné contre celui qui nous avait persécutés.
Adrienne se tut.
– Mère, continua Pold très exalté, je vous demande de ne plus songer aux disparus et de regarder autour de vous…
– Que veux-tu dire, Pold?
– Je veux dire que votre douleur vous aveugle à un point tel que vos yeux ne sauraient voir le désespoir des autres… Regardez Lily, comprenez sa peine.
Adrienne, inquiète, se tourna vers sa fille:
– Penserais-tu encore à ce prince?
– C’est vrai, mère, fit simplement Lily.
XII SUR LA PISTE
Au pas de son cheval, le prince Agra suivait la route bordée de palmiers qui contourne la baie des Anges. Il venait de passer le pont du Var et se dirigeait lentement vers la jetée-promenade, dont les feux apparaissaient dans la nuit comme des phares.
Il était tard déjà, et les lumières s’éteignaient aux fenêtres de la ville. Les hôtels somptueux au long de la promenade des Anglais présentaient des faces d’ombres. Nice s’endormait.
Une brise légère soufflait du large. On entendait, sur la grève, le remous monotone des vagues.
De la même allure lente, Kali atteignit le casino, jeté sur la mer, le dépassa. Cheval et cavalier s’éloignèrent, suivant toujours la rive.
Ils arrivèrent ainsi à la pointe du Château. La blancheur calcaire de la falaise éclatait dans la nuit. Agra doubla cette pointe.
Et ce fut le port.
Dans les eaux calmes, les masses sombres des navires, des yachts de plaisance, des bateaux de luxe se reflétaient parmi les zigzags verts et rouges des feux de bord.
Alors, Agra pressa les flancs de Kali. Il fit rapidement le tour du port. Puis il gravit une côte.
Il arriva au milieu de cette côte. Des villas bordaient la route. Les marbres des terrasses faisaient des lignes blanches dans l’ombre.
Sans que le prince en eût manifesté la volonté, Kali s’arrêta.
La porte d’une grille s’ouvrit alors à la droite du prince, et un homme vint à lui.
– Salut, monseigneur, fit-il. Voilà deux jours que je vous attends. J’avais tant de choses à vous dire que j’étais dans une grande anxiété de ne plus vous voir.
Le prince eut un geste brusque et dit, d’une voix sévère:
– Je ne suis point venu parce que vous m’avez instruit vous-même de l’inutilité de ma visite.
– Que dois-je entendre par là, monseigneur?
– Cela signifie que je ne comprends rien à vos paroles. J’ai reçu une lettre de vous me disant qu’il était inutile de venir ici avant quarante-huit heures. Ne deviez-vous pas vous absenter?
– Mais jamais, je ne vous ai pas écrit et je ne me suis pas absenté.
– Mais, alors… Ah! prends garde, Napolitain de malheur!… Tu me trahis!…
Le prince eut un geste de telle menace que l’homme, effrayé, se courba.
– Je ne vous trahis pas, monseigneur… Je vous jure que je ne vous trahis pas…
– Allons! allons! Parle! Parle vite! Lily? Mme Lawrence? Pold?
– Mais ils ne sont plus ici, monseigneur. Ils sont partis!…
Agra bondit à bas de son cheval et prit l’homme à la gorge:
– Tu dis?… Tu dis?… Ose répéter qu’ils sont partis?
L’homme râlait. Agra le lâcha. Il franchit précipitamment la grille, se rua vers la villa, en parcourut les diverses pièces. La villa était déserte. Il sortit. Sur le seuil, il retrouva l’homme.
– Ne les cherchez plus. Ils sont partis.
– Il y a longtemps?
– Mais depuis hier matin… Ils ne voulaient pas s’en aller. Ils ne voulaient pas retourner à Paris…
– Grands dieux! s’écria le prince Agra. Ils sont retournés à Paris?…