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Et, comme elle ne savait que dire, elle sortit la phrase consacrée des débuts de conversation quand il ne pleut pas.

– Il fait un temps superbe, M. Joe, dit-elle.

– Superbe! madame, répéta Joe… superbe! Mais, certainement, il n’y aura pas de lune cette nuit!

Ce fut un coup terrible qu’elle reçut en plein cœur. Elle chancela, s’appuyant à Pold pour ne point tomber. Elle était d’une pâleur mortelle, et Pold crut qu’elle allait s’évanouir.

– Qu’as-tu, mère? s’écria-t-il.

Et, la prenant dans ses jeunes bras vigoureux, il voulut la porter jusqu’à l’auberge Rouge. Mais elle se défendit et dit, d’une voix rauque:

– Non! Non! Jamais! Pas dans cette maison, pas chez cet homme!

Pold insistait. En attendant qu’elle fût remise de son trouble passager, Adrienne ferait bien d’accepter une station à l’auberge Rouge.

Elle répondit une dernière fois: «Non!» de telle sorte et sur un tel ton qu’il n’osa plus lui en parler.

Joe était resté sur le seuil et souriait toujours, paraissant ne rien comprendre à ce qui se passait à quelques pas de là, sous ses yeux.

– Du reste, dit Adrienne, en s’appuyant à Pold et en faisant quelques pas, me voilà à peu près remise. Ce ne sera rien. Rentrons vite, mon fils.

Ainsi elle avait bien entendu la phrase fatale, le fameux avertissement qui devait lui annoncer la visite de l’Homme de la nuit pour le jour suivant. Et, cette fois, il avait la preuve! Il apportait les lettres! Comment se serait-il risqué sans cela?… Il n’y aura pas de lune cette nuit! Ah! cette phrase bizarre et stupide, prononcée par un homme dévoué à Arnoldson, qui ne signifiait rien pour les autres, ce qu’elle disait de choses pour elle! ce qu’elle annonçait de désastres! ce qu’elle précédait de catastrophes!

Et Adrienne, sur le sentier, sentait ses forces qui l’abandonnaient. Elle arriva à la villa plutôt portée que soutenue par son fils.

Ils n’avaient pas plus tôt franchi la grille de la villa que d’un bouquet d’arbres sortait Harrison.

Il regarda longuement Adrienne, qui traversait le jardin, toujours au bras de son fils.

Harrison laissa échapper un profond soupir; il reprit, quand Adrienne eut disparu, le chemin de la villa des Pavots.

Il marchait lentement et paraissait en proie à une émotion intense.

– La malheureuse! disait-il.

Il n’était point arrivé au seuil de la demeure de l’Homme de la nuit qu’il était rejoint par Pold, lequel lui demanda, avec un tremblement dans la voix:

– M. Arnoldson est ici, n’est-ce pas?

– Oui, monsieur Pold Lawrence, répondit Harrison, il est ici et il vous attend, car il m’a prévenu de vous faire entrer immédiatement aussitôt que vous vous présenteriez.

– Eh bien, me voilà! fit Pold.

– Entrez donc, monsieur.

Harrison s’effaça devant Pold. Il lui désigna le perron de la villa et l’introduisit dans une sorte de cabinet où, derrière une table, Arnoldson, penché sur des papiers, semblait se livrer à une besogne qui l’intéressait fort.

L’Homme de la nuit leva les yeux vers Pold.

– Ah! c’est vous, mon petit ami, fit-il. C’est bien l’heure à laquelle je vous attendais. J’ai calculé l’heure du départ des trains et celle de leur arrivée et je pensais bien que je vous verrais ce soir. Ah! voyez-vous, c’est que l’affaire est importante et nous occupe beaucoup, le prince Agra et moi: le prince Agra parce qu’il y va de sa personne et d’une partie de sa fortune, et moi parce qu’il est mon ami. Dites-moi, vous avez réussi?

– Mais oui, monsieur, fit Pold, j’ai réussi et je vous apporte les lettres.

– Je craignais une dernière hésitation de votre part.

– J’ai, en effet, hésité, monsieur. Mais je me suis dit que j’agissais pour Diane et qu’elle ne manquerait point de m’en marquer de la reconnaissance plus tard, quand elle serait en mesure d’apprécier le service que je voulais lui rendre et que je lui ai rendu. Dans la chambre, j’étais fort ému, je ne vous le cache pas. Mais l’amour de Diane m’a encore donné du courage, et la perspective que vous aviez fait luire à mes yeux qu’elle en serait plus tôt à moi si je brisais ainsi les derniers liens qui l’attachaient au prince m’a tout à fait décidé.

– Vous avez agi sagement, mon ami.

– Aussi je vous apporte les lettres, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, fit Pold; les voici.

Et il tira de la poche de son veston le paquet de lettres qui était enfermé dans un pli cacheté.

L’Homme de la nuit avançait la main vers le paquet de lettres que lui tendait Pold et allait se l’approprier quand le jeune homme, semblant se raviser, reprit le paquet et dit:

– Pardon, monsieur, mais… vous n’avez pas oublié ce que vous m’avez promis?

– Les dix mille francs? demanda l’Homme de la nuit.

– Non, monsieur, l’engagement que vous avez pris de me faire revoir Diane, et même de me procurer un voyage avec elle.

Arnoldson sourit:

– Oui, jeune homme, je me souviens de ces choses. N’ayez crainte: vous aurez le voyage. Mais, pour avoir le voyage, il vous faut de l’argent, et j’ai l’argent.

Cela dit, Arnoldson sortit son portefeuille et, de ce portefeuille, il tira dix mille francs qu’il étala avec ostentation sur son bureau et qu’il compta lentement.

– Écoutez-moi, monsieur, fit Pold. Ce que j’ai fait là, je ne dirai pas que je le regrette, puisque, en le faisant, j’ai rendu service à Diane. Mais peu m’importe que vous me donniez dix mille francs si je ne puis les dépenser avec Diane.

– C’est entendu, mon petit ami, c’est entendu.

– Car je ne voudrais pas que vous puissiez croire un instant que c’est l’appât du gain qui m’a fait agir. Sachez donc une fois pour toutes, monsieur, que, si j’ai pris en considération les propositions assez scabreuses que vous m’avez faites, c’est par amour de Diane et pour rien autre chose. J’ai donc votre parole, monsieur, que je verrai Diane d’ici peu.

– D’ici très peu de temps, jeune homme, fit Arnoldson.

– C’est vrai, monsieur?

– Je vous en donne ma parole. Voici ce que vous allez faire: Vous resterez à la villa des Volubilis jusqu’à demain. Demain, quand sonneront six heures, vous partirez. Vous saurez bien trouver un prétexte?

– Oh! oui, monsieur!

– Vous partirez donc et vous vous dirigerez vers Esbly.

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