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– Que je suis donc contente de vous revoir, chère Louise! dit la grisette. Tout à l’heure, quand nous avons été vous chercher rue du Temple, à notre arrivée de Bouqueval, je voulais monter chez vous; mais mon mari n’a pas voulu, disant que c’était trop haut: j’ai attendu dans le fiacre. Votre voiture a suivi la nôtre; ça fait que je vous retrouve pour la première fois depuis que…

– Depuis que vous êtes venue me consoler en prison… Ah! mademoiselle Rigolette, s’écria Louise avec attendrissement, quel bon cœur! quel…

– D’abord, ma bonne Louise, dit la grisette en interrompant gaiement la fille du lapidaire afin d’échapper à ses remerciements, je ne suis plus Mlle Rigolette, mais Mme Germain: je ne sais pas si vous le savez… et je tiens à mes titres.

– Oui… je vous savais… mariée… Mais laissez-moi vous remercier encore de…

– Ce que vous ignorez certainement, ma bonne Louise, reprit Mme Germain en interrompant de nouveau la fille de Morel, afin de changer le cours de ses idées, ce que vous ignorez, c’est que je me suis mariée grâce à la générosité de celui qui a été notre providence à tous, à vous, à votre famille, à moi, à Germain, à sa mère!

– M. Rodolphe! Oh! nous le bénissons chaque jour!… Lorsque je suis sortie de prison, l’avocat qui était venu de sa part me voir, me conseiller et m’encourager, m’a dit que grâce à M. Rodolphe, qui avait déjà tant fait pour nous, M. Ferrand… et la malheureuse ne put prononcer ce nom sans frissonner… M. Ferrand, pour réparer ses cruautés, avait assuré une rente à moi et une à mon pauvre père, qui est toujours ici, lui… mais qui, grâce à Dieu, va de mieux en mieux…

– Et qui reviendra aujourd’hui avec vous à Paris… si l’espérance de ce digne médecin se réalise.

– Plût au ciel!…

– Cela doit plaire au ciel… Votre père est si bon, si honnête! Et je suis sûre, moi, que nous l’emmènerons. Le médecin pense maintenant qu’il faut frapper un grand coup, et que la présence imprévue des personnes que votre père avait l’habitude de voir presque chaque jour avant de perdre la raison… pourra terminer sa guérison… Moi, dans mon petit jugement… cela me paraît certain…

– Je n’ose encore y croire, mademoiselle.

– Madame Germain… madame Germain… si ça vous est égal, ma bonne Louise… Mais, pour en revenir à ce que je vous disais, vous ne savez pas ce que c’est que M. Rodolphe?

– C’est la providence des malheureux.

– D’abord… et puis encore? Vous l’ignorez… Eh bien! je vais vous le dire…

Puis, s’adressant à son mari, qui marchait devant elle, donnait le bras à Mme Georges et causait avec la femme du lapidaire, Rigolette s’écria:

– Ne va donc pas si vite, mon ami… Tu fatigues notre bonne mère… et puis j’aime à t’avoir plus près de moi.

Germain se retourna, ralentit un peu sa marche et sourit à Rigolette, qui lui envoya furtivement un baiser.

– Comme il est gentil, mon petit Germain! N’est-ce pas, Louise? Avec ça l’air si distingué!… une si jolie taille! Avais-je raison de le trouver mieux que mes autres voisins, M. Giraudeau, le commis voyageur, et M. Cabrion? Ah! mon Dieu! à propos de Cabrion… M. Pipelet et sa femme, où sont-ils donc? Le médecin avait dit qu’ils devaient venir aussi, parce que votre père avait souvent prononcé leur nom…

– Ils ne tarderont pas. Quand j’ai quitté la maison, ils étaient partis depuis longtemps.

– Oh! alors ils ne manqueront pas au rendez-vous; pour l’exactitude, M. Pipelet est une vraie pendule… Mais revenons à mon mariage et à M. Rodolphe. Figurez-vous, Louise, que c’est d’abord lui qui m’a envoyée porter à Germain l’ordre qui le rendait libre. Vous pensez notre joie en sortant de cette maudite prison! Nous arrivons chez moi, et là, aidée de Germain, je fais une dînette… mais une dînette de vrais gourmands. Il est vrai que ça ne nous a pas servi à grand-chose; car, quand elle a été prête, nous n’avons mangé ni l’un ni l’autre, nous étions trop contents. À onze heures, Germain s’en va; nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain matin. À cinq heures, j’étais debout et à l’ouvrage, car j’étais au moins de deux jours de travail en retard. À huit heures, on frappe, j’ouvre: qui est-ce qui entre? M. Rodolphe… D’abord, je commence à le remercier du fond du cœur pour ce qu’il a fait pour Germain; il ne me laisse pas finir. «- Ma voisine, me dit-il, Germain va venir, vous lui remettrez cette lettre. Vous et lui prendrez un fiacre; vous vous rendrez tout de suite à un petit village appelé Bouqueval, près d’Écouen, route de Saint-Denis. Une fois là, vous demanderez Mme Georges… et bien du plaisir. – Monsieur Rodolphe, je vais vous dire; c’est que ce sera encore une journée de perdue, et, sans reproche, ça fera trois. – Rassurez-vous, ma voisine, vous trouverez de l’ouvrage chez Mme Georges; c’est une excellente pratique que je vous donne. – Si c’est comme ça, à la bonne heure, monsieur Rodolphe. – Adieu, ma voisine. – Adieu et merci, mon voisin.» Il part, et Germain arrive; je lui conte la chose, M. Rodolphe ne pouvait pas nous tromper; nous montons en voiture, gais comme des fous, nous si tristes la veille… Jugez… nous arrivons… Ah! ma bonne Louise… tenez, malgré moi, les larmes m’en viennent encore aux yeux… Cette Mme Georges que voilà devant nous, c’était la mère de Germain.

– Sa mère!!!

– Mon Dieu, oui… sa mère, à qui on l’avait enlevé tout enfant, et qu’il n’espérait plus revoir. Vous pensez leur bonheur à tous deux. Quand Mme Georges a eu bien pleuré, bien embrassé son fils, ç’a été mon tour. M. Rodolphe lui avait sans doute écrit de bonnes choses de moi, car elle m’a dit, en me serrant dans ses bras, qu’elle savait ma conduite pour son fils. «Et si vous le voulez, ma mère, dit Germain, Rigolette sera votre fille aussi. – Si je le veux! mes enfants, de tout mon cœur; je le sais, jamais tu ne trouveras une meilleure ni une plus gentille femme.» Nous voilà donc installés dans une belle ferme avec Germain, sa mère et ses oiseaux, que j’avais fait venir, pauvres petites bêtes! pour qu’ils soient aussi de la partie. Quoique je n’aime pas la campagne, les jours passaient si vite que c’était comme un rêve; je ne travaillais que pour mon plaisir: j’aidais Mme Georges, je me promenais avec Germain, je chantais, je sautais, c’était à en devenir folle… Enfin notre mariage est arrêté pour il y a eu hier quinze jours… La surveille, qui est-ce qui arrive dans une belle voiture? un grand gros monsieur chauve, l’air excellent, qui m’apporte, de la part de M. Rodolphe, une corbeille de mariage. Figurez-vous, Louise, un grand coffre de bois de rose, avec ces mots écrits dessus en lettres d’or sur une plaque de porcelaine bleue: «Travail et sagesse, amour et bonheur.» J’ouvre le coffre, qu’est-ce que je trouve? des petits bonnets de dentelle comme celui que je porte, des robes en pièces, des bijoux, des gants, cette écharpe, un beau châle; enfin, c’était comme un conte de fées.

– C’est vrai au moins que c’est comme un conte de fées; mais voyez comme ça vous a porté bonheur… d’être si bonne, si laborieuse.

– Quant à être bonne et laborieuse… ma chère Louise, je ne l’ai pas fait exprès… ça s’est trouvé ainsi… tant mieux pour moi… Mais ça n’est pas tout: au fond du coffret je découvre un joli portefeuille avec ces mots: «Le voisin à sa voisine.» Je l’ouvre: il y avait deux enveloppes, l’une pour Germain, l’autre pour moi; dans celle de Germain, je trouve un papier qui le nommait directeur d’une banque pour les pauvres, avec quatre mille francs d’appointements; lui, dans l’enveloppe qui m’était destinée, trouve un bon de quarante mille francs sur le… sur le Trésor… oui… c’est cela, c’était ma dot… Je veux le refuser; mais Mme Georges, qui avait causé avec le grand monsieur chauve et avec Germain, me dit: «Mon enfant, vous pouvez, vous devez accepter; c’est la récompense de votre sagesse, de votre travail… et de votre dévouement à ceux qui souffrent… Car c’est en prenant sur vos nuits, au risque de vous rendre malade et de perdre ainsi vos seuls moyens d’existence, que vous êtes allée consoler vos amis malheureux.»

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