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– Non… vous la verrez plus tard.

– En effet… j’ai le temps… Faites, je vous prie, venir le prince…

– Ma sœur… je ne sais… mais votre air est étrange… sinistre.

– Voulez-vous que je rie? Croyez-vous que l’ambition assouvie ait une expression douce et tendre?… Faites venir le prince!

Malgré lui Seyton était inquiet du calme de Sarah. Un moment il crut voir dans ses yeux des larmes contenues; après une nouvelle hésitation, il ouvrit une porte, qu’il laissa ouverte, et sortit.

– Maintenant, dit Sarah, pourvu que je voie… que j’embrasse ma fille, je serai satisfaite… Ce sera bien difficile à obtenir… Rodolphe, pour me punir, me refusera… Mais j’y parviendrai… oh! j’y parviendrai… Le voici.

Rodolphe entra et ferma la porte.

– Votre frère vous a tout dit? demanda froidement le prince à Sarah.

– Tout…

– Votre… ambition… est satisfaite?

– Elle est… satisfaite…

– Le ministre… et les témoins… sont là…

– Je le sais…

– Ils peuvent entrer… je pense?…

– Un mot… monseigneur…

– Parlez… madame…

– Je voudrais… voir ma fille…

– C’est impossible…

– Je vous dis, monseigneur, que je veux voir ma fille!

– Elle est à peine convalescente… elle a éprouvé déjà ce matin une violente secousse… cette entrevue lui serait funeste…

– Mais au moins… elle embrassera sa mère…

– À quoi bon? Vous voici princesse souveraine…

– Je ne le suis pas encore… et je ne le serai qu’après avoir embrassé ma fille…

Rodolphe regarda la comtesse avec un profond étonnement.

– Comment! s’écria-t-il, vous soumettez la satisfaction de votre orgueil…

– À la satisfaction… de ma tendresse maternelle… Cela vous surprend… monseigneur?…

– Hélas!… oui.

– Verrai-je ma fille?

– Mais…

– Prenez garde, monseigneur, les moments sont peut-être comptés… Ainsi que l’a dit mon frère… cette crise peut me sauver comme elle peut me tuer… Dans ce moment… je rassemble toutes mes forces… toute mon énergie… et il m’en faut beaucoup… pour lutter contre le saisissement d’une telle découverte… Je veux voir ma fille… ou sinon… je refuse votre main… et si je meurs… sa naissance ne sera pas légitimée…

– Fleur-de-Marie… n’est pas ici… il faudrait l’envoyer chercher… chez moi.

– Envoyez-la chercher à l’instant… et je consens à tout. Comme les moments sont peut-être comptés, je vous l’ai dit… le mariage se fera… pendant le temps que Fleur-de-Marie mettra à se rendre ici.

– Quoique ce sentiment m’étonne de votre part… il est trop louable pour que je n’y aie pas égard… Vous verrez Fleur-de-Marie… Je vais lui écrire…

– Là… sur ce bureau… où j’ai été frappée…

Pendant que Rodolphe écrivait quelques mots à la hâte, la comtesse essuya la sueur glacée qui coulait de son front, ses traits jusqu’alors calmes trahirent une souffrance violente et cachée; on eût dit que Sarah, en cessant de se contraindre, se reposait d’une dissimulation douloureuse.

Sa lettre écrite, Rodolphe se leva et dit à la comtesse:

– Je vais envoyer cette lettre à ma fille par un de mes aides de camp. Elle sera ici dans une demi-heure… puis-je rentrer avec le ministre et les témoins?…

– Vous le pouvez… ou plutôt… je vous en prie, sonnez… ne me laissez pas seule… Chargez sir Walter de cette commission… Il ramènera les témoins et le ministre.

Rodolphe sonna, une des femmes de Sarah parut…

– Priez mon frère d’envoyer ici sir Walter Murph, dit la comtesse.

La femme de chambre sortit.

– Cette union est triste, Rodolphe… dit amèrement la comtesse. Triste pour moi… Pour vous, elle sera heureuse!

Le prince fit un mouvement.

– Elle sera heureuse pour vous, Rodolphe, car je n’y survivrai pas!

À ce moment, Murph entra.

– Mon ami, lui dit Rodolphe, envoie à l’instant cette lettre à ma fille par le colonel; il la ramènera dans ma voiture… Prie le ministre et les témoins d’entrer dans la salle voisine.

– Mon Dieu! s’écria Sarah d’un ton suppliant lorsque le squire eut disparu, faites qu’il me reste assez de forces pour la voir! que je ne meure pas avant son arrivée!

– Ah! que n’avez-vous toujours été aussi bonne mère!

– Grâce à vous, du moins, je connais le repentir, le dévouement, l’abnégation… Oui, tout à l’heure, quand mon frère m’a appris que notre fille vivait… laissez-moi dire notre fille, je ne le dirai pas longtemps, j’ai senti au cœur un coup affreux; j’ai senti que j’étais frappée à mort. J’ai caché cela, mais j’étais heureuse… La naissance de notre enfant serait légitimée, et je mourrais ensuite…

– Ne parlez pas ainsi!

– Oh! cette fois, je ne vous trompe pas… vous verrez!

– Et aucun vestige de cette ambition implacable qui vous a perdue! Pourquoi la fatalité a-t-elle voulu que votre repentir fût si tardif?

– Il est tardif, mais profond, mais sincère, je vous le jure. À ce moment solennel, si je remercie Dieu de me retirer de ce monde, c’est que ma vie vous eût été un horrible fardeau…

– Sarah! de grâce…

– Rodolphe… une dernière prière… votre main…

Le prince, détournant la vue, tendit sa main à la comtesse, qui la prit vivement entre les siennes.

– Ah! les vôtres sont glacées! s’écria Rodolphe avec effroi.

– Oui… je me sens mourir! Peut-être, par une dernière punition… Dieu ne voudra-t-il pas que j’embrasse ma fille!

– Oh! si… si! il sera touché de vos remords.

– Et vous, mon ami, en êtes-vous touché?… me pardonnez-vous?… Oh! de grâce, dites-le! Tout à l’heure, quand notre fille sera là, si elle arrive à temps, vous ne pourrez pas me pardonner devant elle… ce serait lui apprendre combien j’ai été coupable… et cela, vous ne le voudrez pas… Une fois que je serai morte, qu’est-ce que cela vous fait qu’elle m’aime?

– Rassurez-vous… elle ne saura rien!

– Rodolphe… pardon!… oh! pardon!… Serez-vous sans pitié?… Ne suis-je pas assez malheureuse?…

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